Il s’agit plutôt de dire ma satisfaction (ou plus exactement mon espoir) de voir cette question revenir ainsi sur le devant de la scène. Pour des chrétiens de mon âge, ce sujet est parfois perçu comme l’apanage de générations vieillissantes cherchant à jouer le match-retour des combats perdus dans leur jeunesse. Pourtant, outre le fait qu’on ne devrait jamais regarder avec trop de dédain les interrogations de ses aînés, il me semble qu’il nous faut réévaluer cette question épineuse.
Il le faut tout d’abord pour des raisons théologiques. Quand la Tradition (avec un grand T) de l’Église n’interdit pas une pratique, il serait grave de ne pas la considérer avec sérieux. Or la Tradition de l’Église catholique n’a jamais interdit l’ordination presbytérale d’hommes mariés et, surtout, elle la pratique de nos jours. Je pense ici aux Églises catholiques orientales mais aussi aux prêtres d’origine anglicane que, depuis le pontificat de Benoît XVI en particulier, l’Église catholique ordonne prêtres sans leur demander d’embrasser le célibat. S’il y a des différences de disciplines et si certains de ces cas constituent des exceptions, il n’y a pas deux sacrements de l’Ordre: l’un qui «prendrait» avec plus de puissance chez les célibataires et l’autre qui serait en «mode mineur» chez les prêtres catholiques mariés. Pourtant, il est frappant de voir comment l’ordination d’hommes mariés est abordée, en monde latin, comme le marqueur d’un bouleversement théologique absolu, au point que, pour certains, il ne serait même pas digne d’un catholique d’évoquer la question… Il y a là quelque chose d’inquiétant quant à ce qui fonde la possibilité de débattre entre catholiques. Ce qui encadre ce débat est bien la Tradition de l’Église (d’Orient et d’Occident) et non les coutumes ou même les disciplines auxquelles les uns ou les autres sont attachés.
Il est nécessaire, ensuite, de reparler de l’ordination d’hommes mariés pour des raisons spirituelles liées à ce qu’on appelle la «vocation». La vocation du prêtre – à la différence de la vocation religieuse – n’est pas d’abord un appel à un état de vie singulier; elle est une vocation au service d’un Peuple. Il suffit de relire la vocation de saint Augustin pour s’en souvenir: ce n’est pas au terme d’une retraite de discernement que le futur évêque d’Hippone accepte d’être ordonné mais parce que le Peuple de la ville où il se trouve l’y appelle. Il faut donc oser reposer la question: à force de lier célibat et appel au presbytérat ne contribue-t-on à pervertir le caractère ecclésial de la mission du prêtre pour mettre un poids excessif sur l’appel d’individus à un état de vie singulier?
Je crois, enfin, qu’il serait bon de reparler de cette question pour des raisons démographiques ou – si on veut le dire en d’autres termes – d’ «obéissance au réel». Il y a trente ans, il était courant de dire que l’ordination d’hommes mariés ne permettrait pas de pallier les manques sacramentels de la plupart des diocèses occidentaux. C’était sans doute vrai à l’époque. Mais aujourd’hui, il ne s’agit plus d’éviter que des chrétiens fassent 20 kilomètres pour se rendre à la messe. Il s’agit, ni plus ni moins, de ne pas priver les chrétiens de l’Eucharistie. Nous connaissons tous, dans nos paroisses, des hommes mariés qui seraient susceptibles d’être formés et ordonnés pour ce ministère et permettraient au Peuple chrétien d’avoir accès aux sacrements dont ils ont un besoin vital.
Comme religieux, je suis profondément attaché au célibat à la suite du Christ. Je sais aussi combien de prêtres diocésains le vivent comme liés à leur ministère. Mon but n’est pas ici de remettre en cause des témoignages authentiques et une discipline catholique latine plus que vénérable. Ma question est simple et pragmatique. Peut-on priver plus longtemps l’Église de l’Eucharistie qui la fait vivre en se livrant à des débats sur la place respective des prêtres et des laïcs ou, à l’inverse, sur le témoignage rendu par le célibat sacerdotal?
Il y a des solutions – audacieuses mais applicables immédiatement – que nous offre la Tradition. Ne perdons pas notre temps en vaines querelles de mots. Ne nous réfugions pas dans une prière «pour les vocations» qui serait hypocrite si elle ne considérait pas toutes les possibilités à notre disposition. Aujourd’hui, des chrétiens meurent spirituellement de faim. Dès demain, ils seront encore plus nombreux. Ne regardons pas ailleurs.
Jacques-Benoît Rauscher OP
13 novembre 2024
*Marie-Jo Thiel, La grâce et la pesanteur. Le célibat obligatoire des prêtres en question, Paris, DDB, 2024.
Portail catholique suisse