L’ex-réd. chef Michel Danthe scrute le monde à travers la théologie

Michel Danthe, ancien journaliste bien connu en Suisse romande, s’est tourné vers la théologie afin de mieux comprendre notre monde actuel. Portrait d’un homme aux multiples dimensions, toujours prompt à repousser les limites de sa connaissance.

A l’instar de son homophone poète, Danthe n’a jamais redouté d’arpenter les lieux inconnus de la pensée, même ceux pouvant paraître à d’autres «infernaux». Le théologien protestant étonne ainsi par l’éclectisme de ses centres d’intérêt, dont fait partie l’Église catholique.

Michel Danthe est surtout connu des Romands pour sa carrière dans la presse régionale. Il a notamment dirigé Construire, le magazine francophone de la Migros, Le Matin Dimanche, et a été rédacteur en chef adjoint au Temps. Un monde qu’il a subitement abandonné en 2017, à l’âge de 61 ans, prenant une retraite anticipée.

La tentation des ordres

Mais une facette du brillant journaliste et chef d’équipe, passionné par l’actualité, restait dans l’ombre. «Les questionnements religieux, la culture religieuse m’ont toujours été proches», assure-t-il.

Michel Danthe se décrit comme un «protestant sociologique». Né en 1956 à Lausanne, d’un père protestant et d’une mère italienne et catholique, il suit un «cursus typique de jeune protestant», avec un catéchisme «tout à fait traditionnel». Après sa confirmation à l’église St-François, il devient même catéchète pour les futurs confirmands.

«La religion est une donnée essentielle de nos sociétés occidentales»

Sa carrière protestante toute tracée prend cependant un virage alors qu’il étudie au Gymnase de la Cité, à Lausanne. Son professeur de mathématiques est un converti au catholicisme. Michel Danthe est séduit par sa verve et son acuité d’esprit. Il est embarqué pendant trois ans dans un cours privé que ce maître propose dans une paroisse catholique, comprenant notamment des retraites au monastère bénédictin de St-Gingolph. «J’étais attiré à l’époque par la précision, la vivacité de la théologie thomiste dispensée par cette école dominicaine. Moi, je suis un intellectuel, j’aime les édifices intellectuels, en l’occurrence également théologico-spirituel. Donc cet univers m’a beaucoup tenté et je me suis sincèrement posé la question de ma conversion.» Le désir d’entrer dans les ordres se heurte cependant à la dimension charnelle. «Je suis homosexuel et je n’étais pas du tout disposé à abandonner cette réalité de mon existence» confie-t-il.

L’Église au milieu de l’histoire

De cette «tentation des ordres», il gardera néanmoins une «certaine appétence pour le catholicisme», un univers où «s’expriment de nombreux génies». Il se dit également «toujours admiratif de la manière dont l’Église romaine a réussi à se projeter dans les millénaires.»

Un intérêt pour le religieux qui ne le quitte pas dans sa carrière journalistique. En tant que rédacteur en chef, il encourage les journalistes à se saisir de ces sujets. «Je pense que la religion est une donnée essentielle de nos sociétés occidentales, autant sur le plan spirituel, que sociologique, politique, philosophique, juridique et bien sûr historique. Nous ne pouvons pas comprendre le monde dans lequel nous évoluons si nous faisons abstraction de sa dimension religieuse.»

«J’ai découvert que le corpus biblique était bien plus complexe que ce que j’imaginais»

Dans ses dernières années de journalisme, alors qu’il écrit au Temps, il devient un «spécialiste des encycliques». «Chaque fois qu’un texte pontifical sortait, j’entendais ‘Michel, fais-nous un article!’ Le milieu journalistique est peu croyant, et les sujets religieux représentent peu d’intérêt pour la presse généraliste, ce qui est dommage, car ils sont en fait énormément parlants.»

Comprendre le fonctionnement des Églises

En 2017, au sortir du monde de la presse, avec encore toutes ses capacités intellectuelles, mais aussi «d’émerveillement et d’enthousiasme», Michel Danthe réfléchit à la suite de sa vie. «J’avais envie de reprendre des études. Le choix s’est très vite porté sur la théologie, parce que j’avais toujours peu ou prou baigné dans ce milieu.» Il veut ainsi aller au-delà de l’approche «journalistique, amatrice… par la bande» de la religion. La Faculté de théologie de Genève lui ouvre donc ses portes. Un parcours couronné en 2024 par un Master en Sciences bibliques néo-testamentaires, avec un mémoire sur l’Évangile de Luc.

Un épisode universitaire qu’il voit aujourd’hui comme un approfondissement essentiel. «J’ai découvert que le corpus biblique était bien plus complexe que ce que j’imaginais. Mieux comprendre ces textes, notamment en les lisant dans leur langue d’origine, permet de beaucoup mieux saisir le fonctionnement des Églises.»

Vision plus tolérante

La théologie a ainsi amené le protestant à lire les prises de position du Vatican à travers les lignes. «Tout le monde a un avis sur le pape, le préservatif, l’avortement, avec des opinions extrêmement lapidaires. Mais si on tente de comprendre la logique qui est derrière, on en arrive presque obligatoirement à la position ‘Qui suis-je pour juger?’» Une approche d’autant plus cruciale dans une société où «nous sommes très vite poussés aux extrêmes, où on trouve que ceux qui ne pensent pas comme nous sont des imbéciles, bornés et obscurantistes.»

Plaidoyer pour «l’esprit de complexité»

Une perception qui ne touche pas que l’univers religieux, puisque Michel Danthe se méfie également des «extrémistes de la rationalité». Un conflit de fondamentalismes qui fait de nombreuses victimes collatérales. «Je suis évidemment persuadé que la rationalité est très importante, mais alors que la croyance remonte en force, et que de plus en plus de personnes se déterminent par elle, nous avons tout intérêt à comprendre comment elle fonctionne.» Michel Danthe estime ainsi que le meilleur moyen pour concilier ces deux univers est la «délibération entre gens de bonne volonté».

«J’ai alors pensé: mais pourquoi est-ce que je ne chante pas tous les jours des cantates de Bach?»

Il considère par ailleurs que le système de pensée de l’Église catholique est «spécialement bien exercé à traiter des situations très compliquées, où il faut pondérer les intérêts des uns et des autres, avec celui de la communauté». Sous cet angle, le droit canon, qui «fascine» le protestant, «est un plaidoyer pour l’esprit de complexité».

Sentiment océanique

Mais les études de théologie ont-elles amené l’intellectuel Michel Danthe à (re)trouver la foi? Une question à laquelle il avoue ne pas pouvoir «apporter de réponse tranchée», préférant raconter quelques expériences personnelles «situées dans ces eaux-là».

Quatre épisodes en tout, lors desquels, il s’est senti «dépassé par lui-même». En tant que critique de cinéma, au Festival de Cannes, il a notamment ressenti ce «sentiment océanique» en regardant Tokyo-Ga, un documentaire de Wim Wenders sur le réalisateur japonais Ozu. «J’ai été saisi, désarçonné et j’ai subi un effondrement émotionnel, accompagné d’une remise en question du cours que j’avais donné à ma vie.»

«Je veux garder la capacité de me laisser surprendre»

Une seconde expérience s’est produite lors du visionnement du film documentaire Les Thomaner: une année avec la maîtrise de l’église Saint-Thomas de Leipzig, consacré à une chorale de jeunes garçons interprétant traditionnellement des cantates de Bach. Même sentiment de retour sur sa vie. «J’ai alors pensé: mais qu’est-ce que je fais là, pourquoi est-ce que je ne chante pas tous les jours des cantates de Bach?»

Garder la capacité de se laisser surprendre

Autant de petites illuminations divines? Pas si simple pour l’ancien journaliste, qui se réfère toujours à «l’esprit de complexité». «Le Michel Danthe du début de sa vie y aurait certainement vu la marque du divin, mais avec l’âge et l’expérience, on essaye de ne pas tirer de conclusion hâtive. Le problème, avec ce genre d’événements, c’est que l’on s’en remet. Je n’ai finalement pas changé de vie suite à cela.»

Le Danthe avec un ‘h’ ne s’estime ainsi pas arrivé au dernier cercle des royaumes inconnus. «Je veux garder la capacité de me laisser surprendre», assure-t-il. Un souhait qu’il expérimentera peut-être en travaillant sur son doctorat en théologie, qu’il devrait rendre en 2029. «Si Dieu le veut», précise-t-il. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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