Lucienne Bittar, cath.ch, envoyée spéciale à Rome
L’évangélisation a été la colonne vertébrale de tous les sujets discutés au Synode. Et c’est clairement celle de l’Église de Madagascar. «Nous voulons faire de l’Évangile la racine de chaque chrétien. Mieux faire découvrir la Parole et l’inscrire plus profondément dans la culture malgache, pour qu’elle ne soit pas juste un habit qu’on peut enlever», assure Sœur Solange Randrianirina, témoin africaine du processus synodal, rencontrée à Rome le 25 octobre 2024.
Cette sœur malgache, toute menue, a fait partie du groupe chargé par la Conférence des évêques de Madagascar d’animer le Synode sur le plan national. Elle a participé au processus sur le plan continental, à Addis-Abeba, en Éthiopie, et au niveau mondial à Rome. Elle a été durant six ans, jusqu’en juillet 2024, provinciale régionale de la Société des Filles de Saint-Paul (FSP) à Madagascar, une Congrégation religieuse dont la vocation est l’évangélisation à travers les moyens de la communication sociale.
Depuis une vingtaine d’années, Sœur Solange travaille pour la maison d’édition Md Paoly gérée pas la FSP. Les religieuses éditent en malgache des bibles, des ouvrages de catéchisme ou des fascicules liturgiques, privilégiant l’écrit, même si dans d’autres pays sa Congrégation investit les médias radios et télés et les réseaux sociaux. «Beaucoup de gens chez nous n’ont pas accès au numérique», souligne-t-elle, et un quart environ de la population adulte du pays est analphabète. «Quand tu n’as rien à lire ou que tu ne lis pas, tu deviens un alphabète ›naturel’. Nous préférons soutenir les écoles catholiques et produire des livres accessibles aux moins lettrés.»
Pour la sœur paulinienne, il est essentiel que de continuer à travailler sur l’insertion du catholicisme dans la culture malgache. «Une révision de la traduction du texte biblique en malgache, assortie de commentaires et de notes, est en cours. Nous voulons aider nos chrétiens à mieux comprendre la Bible. On ne peut pas la traduire à la lettre, ce serait incompréhensible.»
Ce travail se fait avec des spécialistes, des professeurs de la langue et de la culture malgache, sous la supervision de Mgr Jean Pascal Andriantsoavina, bibliste, évêque du diocèse d’Antsirabe et délégué au Synode. «Cela a été une joie de le retrouver au Synode. Je le connais depuis que je suis toute jeune. On vient du même quartier de la capitale», raconte Sœur Solange.
Le catholicisme, explique-t-elle encore, n’est pas tout à fait enraciné encore à Madagascar. «Il est venu chez nous avec les colons et les missionnaires français. Jusqu’à maintenant, certains pensent que c’est une religion étrangère à notre terre, une religion de colonisateurs. Ce que nous essayons de faire, avec ces traductions notamment, c’est de montrer que l’Évangile est aussi de chez nous. La Parole prend n’importe quel chemin, non?
«Nous devons faire comprendre que l’Église existe aussi en tant que malgache.»
Chez nous, cela a été celui des missionnaires. Nous leur en sommes reconnaissants, mais en même temps il y a des pas à faire pour guérir certaines blessures.» Ce n’est pas qu’une question de langue, précise la témoin du Synode. «Nous devons faire comprendre que l’Église existe aussi en tant que malgache, qu’elle n’est pas juste spirituelle mais qu’elle participe à la vie de son peuple, à la vie sociale.»
Selon les données 2021 du Pew Research Center, 85,3% de la population malgache est chrétienne, dont plus du tiers catholique. Ces dernières années cependant, de nombreuses petites communautés évangéliques ont émergé. Elles attirent les Malgaches qui les considèrent comme plus authentiques, car directement issues de leur terreau. En plus, elles prêchent parfois l’Evangile de la prospérité, qui enseigne que la foi chrétienne peut être un moyen de prospérer et de s’enrichir: un discours attirant dans un pays où le taux de pauvreté est estimé à 98% par la Banque Mondiale.
Reste que l’engagement social de longue haleine de l’Église malgache est pleinement reconnu et apprécié par la population. L’Église est très active dans les domaines de la lutte contre la pauvreté, de la santé et de l’éducation. «Elle a aussi de l’influence morale sur les dirigeants, politiques ou autres. Nos évêques écrivent régulièrement des lettres adressées à tous les chrétiens, à tous les peuples. Les gens ont hâte d’entendre ce qu’ils disent sur les questions sociales.»
Sans surprise, les participant africains à l’Assemblée synodale ont exprimé à Rome une sensibilité commune aux questions de pauvreté et justice sociale. «L’Afrique est connue pour sa pauvreté et pour les situations politiques catastrophiques, tant dans les pays anglophones que francophones. Notre préoccupation commune est de lutter contre la pauvreté injuste.»
Sœur Solange souligne, par contre, la chance du continent africain d’avoir une population jeune. En mai 2024, le Vatican a organisé pour la première fois la Journée mondiale de l’enfance, «chez nous, cela faisait déjà quatre ans que nous en célébrons une, remarque-t-elle. Les enfants, les jeunes sont engagés dans notre Église. Elle est peut-être pauvre financièrement, mais riche sur le plan de l’amitié et des relations personnelles.»
Pour la sœur paulinienne, le visage souriant, solidaire et communautaire de l’Église malgache trouve son terreau dans la culture même du pays, en résonance avec l’Évangile. Cette solidarité se manifeste en premier lieu dans la famille, a souligné le Synode.
«Pour nous, la famille est précieuse. C’est la plus petite église, l’église domestique, comme dans les premiers temps du christianisme où les gens se retrouvaient dans les maisons et célébraient ensemble. Puis un groupe de familles finit par former une communauté de base, et au fur et à mesure, on s’agrandit ainsi et on devient paroisse. Chacun participe, prend ses responsabilités selon ses capacités, ses dons et sa place dans la famille, comme le papa, la maman et les enfants. C’est très beau. Je crois que si la famille est unie, l’Église l’est aussi. Mais si la famille est brisée…»
«La famille, c’est la plus petite église, l’église domestique.»
Vues de Madagascar, les familles occidentalisées plus éclatées, où «des femmes-mères élèvent seules leurs enfants» sont regardées avec un peu de tristesse. «Quand il n’y a pas de papa, quelque chose manque dans l’éducation.» Elle porte un même regard un peu désolé sur les églises vides en Europe. «Cela m’a frappé d’entendre ça au Synode. Chez nous, on n’a pas suffisamment d’églises. Mais ici, en Europe… c’est un gâchis.»
Pour la sœur malgache, la complémentarité entre femmes et hommes n’a rien d’une exclusion. «On ne sent pas dans notre Église cette discrimination contre les femmes souvent dénoncée à l’Assemblée synodale. À Madagascar, nous, les femmes, laïques ou religieuses, nous agissons et travaillons partout, dans l’enseignement, en pastorale… Sans nous, l’Église serait handicapée.»
L’expérience internationale de ces petites communautés a été bien mise en valeur durant le Synode, estime-t-elle encore. «En Europe, vous pensez parfois que quand il n’y a pas de prêtre, pas de messe, il n’y a pas d’Église. Pas pour nous. L’Église, c’est l’assemblée dominicale, avec ou sans prêtre. Un prêtre dessert de 25 à 60 églises. Quand il n’est pas avec nous, on ne regrette pas son absence car on fait une célébration de la parole. On n’est pas là seulement pour la communion eucharistique.» Plus rarement, «quand on est sûr que le Saint-Sacrement est bien respecté», un séminariste ou un catéchiste, homme ou femme (ils sont plus de 4000 sur l’île), a la permission de distribuer la communion.»
Les catéchistes ont une fonction de poids dans l’Église malgache. Ils donnent des cours aux enfants et assurent l’approfondissement de la foi de la communauté. Chaque mois, ils se réunissent avec les prêtres pour une formation, qu’ils relayent ensuite dans leur paroisse. Ce sont des médiateurs.
Pour cette fille de Saint-Paul, l’échange des dons est toujours à développer dans l’Église universelle. Pas seulement au niveau matériel ou financier, mais personnel. «Vous êtes allés chez nous, c’est à notre tour de sortir de chez nous pour aller vers vous en tant que missionnaires.» D’expérience, elle sait l’effort d’adaptation que cela induit, tant du côté du migrant que des paroisses d’accueil, pour ne pas plaquer sans autre deux cultures d’Église l’une sur l’autre.
«À l’avenir, grâce à tous les migrants qui vont un peu partout, on aura peut-être les mêmes couleurs partout dans le monde. On sera tous couleur malgache», taquine-t-elle. (cath.ch/lb)
Victoire Rasoamanarivo, une figure féminine vénérée dans le pays
Quand en 1883, suite à la première guerre franco-malgache, les missionnaires sont expulsés de la grande île et les églises fermées par le gouvernement, la jeune communauté catholique malgache survit grâce aux laïcs, aux jeunes de l’Union catholique, au Frère malgache Raphaël Louis Rafiringa, mais aussi grâce au soutien politique de Victoire Rasoamanarivo.
Belle fille du Premier ministre de l’époque, elle faisait partie des grandes familles protestantes de l’île proches de la royauté, mais avait choisi pour sa part le catholicisme. Elle œuvra au maintien des communautés catholiques. Elle a été déclarée bienheureuse par le pape Jean Paul II en 1989, quand celui-ci s’est rendu à Madagascar. LB
Lucienne Bittar
Portail catholique suisse
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