Un prêtre ukrainien détenu en Russie: «Leur but était de nous briser»

Après un an et demi de détention par les troupes d’occupation russes, deux Pères rédemptoristes gréco-catholiques ukrainiens, Bohdan Geleta et Ivan Levytskyi, ont été libérés le 28 juin 2024. «Le but des Russes était de nous briser», témoignent-ils aujourd’hui en relatant les violences, les mauvais traitements et les brimades.  

Les deux prêtres ont été arrêtés, le 16 novembre 2022, à Berdiansk, une ville du sud-est de l’Ukraine occupée par les troupes russes. Les rédemptoristes étaient alors affectés depuis neuf mois à la paroisse de la Nativité de la Bienheureuse Vierge Marie.

Le Père Geleta a expliqué au site catholique américain  The Pillar qu’il y avait des tensions dans la ville à la veille de l’invasion de 2022, mais elles n’avaient pas dégénéré en conflit ouvert. Certaines personnes, influencées par la propagande russe, anticipaient l’arrivée du Russkyi mir. Mais le déclenchement d’une guerre à grande échelle a été un choc pour tout le monde.

Déterminés à rester sur place

«Dès le premier jour de l’occupation, le 27 février, lorsque les troupes d’invasion sont entrées dans Berdiansk, les gens ont commencé à fuir Marioupol et Melitopol. «Les gens étaient terrifiés, c’était la panique. Des personnes mouraient. On ne savait pas quoi faire ni comment vivre, et l’avenir était totalement incertain. Au cours de ces premières semaines, nous aurions pu partir en toute sécurité, et nous avons nous aussi ressenti la peur et la panique. Mais nous étions déterminés à rester, à continuer à servir Dieu et les gens.»

«L’enquêteur m’a dit que je risquais 25 ans de prison.»

Dans les premiers temps qui ont suivi l’invasion, la peur et l’incertitude ont attiré les habitants dans la paroisse, dont beaucoup semblaient auparavant indifférents à la religion. De leur côté, pendant les neuf premiers mois, les autorités d’occupation russes n’ont pas interféré avec les activités de la paroisse.  

Arrestation en novembre 2022

Mais en novembre 2022, les autorités russes ont commencé à prendre des mesures policières à l’encontre des communautés religieuses, ciblant plus particulièrement les gréco-catholiques et les protestants. À cette époque, trois autres prêtres de l’UGCC de la ville voisine de Melitopol ont été arrêtés.

Le 16 novembre 2022, les deux prêtres ont été appréhendés. Au moment de l’arrestation, seul le Père Geleta se trouvait dans la maison. De son côté le Père Ivan était à l’église. «J’étais déjà habillé pour célébrer la liturgie. Deux hommes sont entrés, masqués et armés. Ils m’ont dit qu’ils allaient vérifier mes documents et que je devais les suivre, puis que je pourrais revenir et continuer la liturgie. Et c’est tout», raconte-t-il.

Le 24 novembre, la chaîne de propagande militaire russe Zvezda a annoncé que les forces spéciales russes avaient trouvé des armes et des explosifs dans la maison rédemptoriste gréco-catholique ukrainienne. «L’enquêteur m’a dit que je risquais 25 ans de prison».

Une arrestation attendue

«Lorsque j’ai été arrêté, j’ai éprouvé un sentiment de soulagement en pensant que c’était enfin arrivé et que, quoi qu’il arrive, je le laisserais se produire selon la volonté de Dieu», relève le Père Geleta. Pourtant, l’incertitude et l’anxiété persistaient, surtout en ce qui concernait le Père Ivan, arrêté et détenu séparément.

«Les premiers jours, les expériences étaient très intenses car y avait une salle de torture en face de notre cellule, et nous pouvions entendre des voix et des gémissements. J’imaginais que le Père Ivan pensait à moi, comme je pensais à lui, en me demandant si je n’allais pas entendre sa voix, s’il était torturé. Je pense que c’est ce qui a été le plus difficile. La pression psychologique était immense.»

«Les gens posaient des questions difficiles: Pourquoi tout cela est-il arrivé? Où est Dieu dans tout cela?»

Le Père Geleta a été placé dans une cellule prévue pour deux personnes, mais qui en accueillait six à huit. Il devait parfois dormir à même le sol. La plupart de ses compagnons de cellule étaient détenus parce qu’ils étaient soupçonnés d’activités pro-ukrainiennes, de refus d’accepter un passeport russe, ou de refus de remplir des documents d’affaires, ainsi que des officiers militaires à la retraite, etc.

Comment parler de Dieu en prison?

«À Berdiansk, il ne nous était pas interdit de prier, alors nous avons prié dans la cellule. Nous parlions de sujets religieux, de Dieu, et nous priions constamment », se souvient Bohdan Geleta. «Les gens posaient des questions difficiles: Pourquoi tout cela est-il arrivé ? Où est Dieu dans tout cela ? Il était très difficile d’y répondre. En fait, je n’ai même pas essayé de convaincre qui que ce soit. (…) Parfois, il vaut mieux s’asseoir en silence avec eux. Mais malgré tout, je crois que le Seigneur est toujours à l’œuvre.»

Pendant toute sa détention, le prêtre n’a jamais pu célébrer la Divine Liturgie, pas même en privé. Les inspections des cellules étaient minutieuses, tous les objets étant soigneusement vérifiés lors des brèves promenades d’une demi-heure, de sorte qu’il était impossible de cacher quoi que ce soit.

«Leur but était de nous briser. La lutte était constante. J’ai même eu l’impression que j’allais devenir fou.»

Les prisonniers n’avaient pas non plus accès à des informations fiables sur les événements extérieurs; leur seule source d’information était le bruit de l’artillerie, qui indiquait que l’Ukraine résistait encore à l’occupation russe.

La ›salle de musique’

L’expérience la plus difficile fut celle de la ›salle de musique’, une cellule d’isolement où de la musique soviétique était diffusée toute la journée. «C’était une cellule en béton dont la porte ressemblait à un coffre-fort en fer. Ils n’éteignaient la musique que la nuit, d’une heure à six heures du matin. Je pouvais sentir, même physiquement, que les vibrations m’affectaient négativement. Mais lorsqu’une personne prie, il y a un autre type de vibration qui devient une barrière contre cela. Leur but était de nous briser. La lutte était constante. J’ai même eu l’impression que j’allais devenir fou.»

Transfert dans un camp de prisonniers de guerre

Après quatre mois de détention à Berdiansk, les prêtres ont été transférés à Horlivka, où ils ont été détenus dans un camp de prisonniers contenant environ 2’000 soldats ukrainiens capturés. C’est là qu’ils se sont retrouvés. À Horlivka, comme à Berdiansk, la pression morale s’est poursuivie, à laquelle se sont ajoutés des abus physiques.

«La prison est un environnement où l’on comprend que le temps ne doit pas être perdu.»

Bien qu’il lui soit toujours impossible de célébrer la Divine Liturgie ou de prier les heures canoniques, le Père Geleta entendait les confessions des prisonniers chaque fois qu’il en avait l’occasion.

Une épreuve pour la foi

Pour le prêtre, sa période de détention a approfondi sa foi. »La prison est un environnement où l’on comprend que le temps ne doit pas être perdu. Bien que je me sente physiquement et psychologiquement brisé, cette période a renforcé ma foi. Les doutes que j’avais auparavant, non pas sur Dieu mais sur ma vocation, ont disparu. Je sais maintenant ce que je vais faire et comment je vais le faire. Je suis lucide et j’ai un but. Ma foi en mon travail ici sur terre s’est approfondie ».

«Je voulais juste respirer, garder la tête haute, regarder les gens dans les yeux.»

Enfin libres

Quelques jours avant leur libération, les prêtres ont été transportés de Horlivka à Rostov-sur-le-Don. «Ils nous ont mis dans un avion, et nous avons volé assis sur le plancher d’un avion cargo militaire avec plus de 100 personnes. Personne ne savait où nous allions. Nos mains et nos yeux étaient bandés. A Rostov, le Père Ivan et moi avons été séparés des autres. Nous pensions être transportés quelque part en Russie, dans un camp de prisonniers. Au lieu de cela, ils nous ont emmenés à Moscou et nous ont remis au FSB, où nous avons passé trois jours dans leur prison avant d’être libérés.»

Gratitude envers Dieu

Le Père Levytskyi a célébré leur première liturgie peu après leur libération. « Lorsque j’ai réalisé que j’étais libre, mon premier sentiment a été la gratitude. La gratitude envers Dieu. Je voulais juste respirer, garder la tête haute, regarder les gens dans les yeux. Je voulais simplement me promener, sentir les fleurs, l’herbe ».

Après l’arrestation des prêtres, les Rédemptoristes n’avaient que peu d’informations sur leur localisation et sur leur état physique. Bien que les détails de leur libération n’aient pas été élucidés, il est largement admis que des diplomates du Saint-Siège ont joué un rôle essentiel pour l’obtenir. (cath.ch/thePillar/mp)  

Maurice Page

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