Dès le second quart du 20e siècle, selon la formule de l’évangile de Jean «la lumière a brillé dans les ténèbres et les ténèbres ne l’ont pas arrêtée». Les teintes vives ont illuminé de nombreuses églises de Suisse et des édifices sont devenus des œuvres d’art à part entière. Telle a été la mission et le travail de la société artistique catholique suisse connue en Suisse romande sous le nom de Groupe de Saint-Luc, née il y a un siècle.
Pour lui rendre hommage, le Vitromusée Romont convie le public à admirer, du 26 octobre 2024 au 21 avril 2025, des dizaines d’œuvres emblématiques de ce mouvement qui a changé la face de l’art sacré dans le pays et au-delà. Plus que les émotions esthétiques, l’exposition propose d’explorer la richesse des arts verriers du Groupe de Saint-Luc et son héritage.
Ou plutôt faudrait-il dire «la Société de Saint-Luc» (SSL), fait remarquer à cath.ch Camille Noverraz, l’une des trois commissaires de l’exposition avec Valérie Sauterel et Jennifer Burkard. Car le Groupe de Saint-Luc désigne principalement la partie romande de cette société d’ampleur nationale. Cette dernière voit le jour en 1924 à Bâle, à l’occasion d’une exposition d’art religieux, dans le cadre du Katholikentag. Les artistes romands et alémaniques qui s’y retrouvent brûlent du même désir de nouveauté et de modernité.
Alexandre Cingria et Marcel Poncet notamment veulent rebondir d’une première déconvenue. En 1919, ils avaient créé à Genève le Groupe de Saint-Luc et Saint-Maurice, qui fit faillite quelques années plus tard. «Cette fois, le mouvement aura une ampleur nationale», souligne Camille Noverraz, qui a réalisé sa thèse sur le Groupe de Saint-Luc. Avec la même ambition de donner un nouveau souffle à l’art religieux, ils créent un cercle allant bien au-delà du monde des artistes, incluant des membres du clergé, des professeurs, des entrepreneurs, des architectes, ou encore des politiciens. Signe de sa portée nationale, la SSL prendra ainsi également le nom latin de ›Societas Sancti Lucae’, Société Saint-Luc en françaiset ›St. Lukasgesellschaft en allemand.
Les personnalités romandes du groupe qui y sont dès l’origine prendront une place très importante dans son destin,et la Suisse romande deviendra un espace majeur de déploiement de leurs talents. Le Groupe de St-Luc va être en particulier très dynamique dans le sillage de l’architecte Fernand Dumas. Dans toute la Suisse romande, des dizaines d’églises seront construites ou rénovées sous la direction de l’architecte romontois avec la contribution de nombreux artistes de la SSL.
Pour cette raison, la vaste étude menée par le Vitrocentre et dont l’exposition du Vitromusée est issue, s’est concentrée sur des réalisations de la partie romande du Groupe de St-Luc. Trente-cinq édifices ont été analysés et leurs œuvres verrières inventoriées, dont les résultats sont consultables sur la base de données en ligne en Open Access développée par le Vitrocentre Romont, vitrosearch.ch, ainsi qu’au travers d’une publication également en Open Access sortie parallèlement à l’exposition.
Malgré le focus sur la Suisse francophone, l’événement s’ouvre également à la partie alémanique de la SSL, en présentant des œuvres verrières de membres actuels de la St. Lukasgesellschaft, qui a perduré jusqu’à nos jours. La partie romande de la Sociétés’est étiolée et a fini par disparaître dès 1945, à la suite du décès d’Alexandre Cingria, qui en était la principale cheville ouvrière.
Les œuvres de la St. Lukasgesellschaft expriment une spiritualité au-delà du catholicisme, note Camille Noverraz. Car l’une des caractéristiques du Groupe de Saint-Luc a été sa forte identité catholique. «Avec même un côté militant», précise l’historienne de l’art. Le mouvement s’inscrit ainsi dans une époque particulière pour l’Église catholique. Malmenée par le Kulturkampf dans les décennies précédentes, l’institution veut partir d’un nouveau pied et se montrer plus proactive. En 1925, un an après la fondation de la SSL, le pape Pie XI institue notamment la fête du Christ-Roi, afin de mettre en lumière l’idée que les nations devraient obéir aux lois du Christ.
Une nouvelle dynamique ecclésiale qui imprègne l’activité du Groupe de St-Luc. «Le Groupe est dans un esprit conquérant, à la limite de la propagande, note Camille Noverraz. Cela se verra notamment dans la représentation du Christ que l’on retrouve dans plusieurs vitraux. Il sera souvent montré une épée à la main, resplendissant, tel un roi et un guerrier puissant. Les artistes du Groupe veulent se détacher de l’art sacré du 19e siècle, qu’ils qualifient de ›saint-sulpicien’ de manière très négative, et qui tend à présenter un Christ faible, souffrant, doux.» Le mouvement est également soutenu par l’Église, en tout cas par des membres du clergé romand, en particulier Mgr Marius Besson, évêque e Lausanne, Genève et Fribourg (1876-1945).
Une «contre-offensive» artistique catholique qui inquiétera les réformés de Suisse. Ils lanceront ainsi de leur côté des initiatives similaires pour redonner une place à l’art dans les temples.
La SSL prendra le contrepied du 19e siècle et du début du 20e en terme de conception artistique générale. «Ses acteurs reprochent aux décennies précédentes une propension à remplir les églises avec des éléments disparates achetés sur catalogue, le Groupe de St-Luc veut faire de l’art collectif en cohérence».
Ce nouvel art sacré se fait désormais en collaboration. Si elles seront fructueuses dans beaucoup d’églises, Camille Noverraz met cependant en garde de ne pas les surévaluer. «En fait, dans de nombreux projets, les collaborations sont très tendues au niveau des artistes. Le choix des artistes est souvent motivé par des motifs financiers ou politiques, parfois complètement en porte-à-faux avec les souhaits des artistes. Dans ce contexte, la cohérence de l’ensemble peut dans certains cas être questionnée. En fait, il s’agissait surtout d’un idéal».
Les artistes du Groupe de Saint-Luc ont pris le tournant de la modernité, qui se manifeste dans leurs œuvres verrières de différentes manières. Tout en restant fidèles à la tradition, ils s’efforcent de voir plus loin, de se défaire des normes. Le Groupe de St-Luc le fait notamment en puisant dans les répertoires de plusieurs courants artistiques en vogue, tels que le cubisme, le fauvisme, ou encore l’Art déco, et en se détachant des normes de représentation conventionnelles.
Ils innovent également dans de multiples techniques verrières nouvelles, à l’instar de la dalle de verre ou du vitrail sans plomb. «Depuis le Moyen Age, on a l’idée que la lumière représente le divin. Le vitrail donne donc à l’édifice son atmosphère, sa ›teinte spirituelle’ particulière, relève Camille Noverraz. C’est pourquoi, le verre joue un rôle si essentiel dans le projet artistique.»
Les artistes du Groupe de St-Luc innovent donc dans de multiples techniques et disciplines. Parmi celles-ci, l’art verrier tient une place prépondérante. «Depuis le Moyen Age, on a l’idée que la lumière représente Dieu. Le vitrail donne donc à l’édifice son atmosphère, sa ‘teinte spirituelle’ particulière, relève Camille Noverraz. C’est pourquoi, le verre est au centre du projet artistique.»
Autant de dimensions du Groupe de Saint-Luc que les visiteurs du Vitromusée Romont auront l’occasion d’approfondir à travers six sections de l’exposition. L’arrangement des salles invitera tout d’abord à se pencher sur les prémices du Groupe de Saint-Luc, puis son déploiement dans toute la Suisse romande. La modernité et les innovations artistiques et techniques qu’elle propose dans le domaine des arts verriers seront plus loin mises en lumière, ainsi que son inscription dans l’architecture sacrée. La visite se terminera par un éclairage sur l’héritage de la Société, dès la seconde moitié du XXe siècle, ainsi que sur son développement actuel. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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