«À la racine du cléricalisme et du machisme, il y a un abus de pouvoir qui est en contradiction flagrante avec la synodalité et qui doit être surmonté», affirme Birgit Weiler. Experte au Synode 2024, portée par la foi, la religieuse tient un discours ferme et pragmatique sur la question des femmes dans l’Église et la décentralisation du pouvoir.
En février 2024, le pape François a élargi le groupe de conseillers pour le Synode. Parmi les six nouveaux membres du Conseil du Secrétariat général du Synode, figurent trois femmes, dont la religieuse allemande Birgit Weiler, de la Congrégation des Sœurs de la Mission Médicale (MMS). Cette professeure de théologie à l’Université catholique pontificale de Lima est une experte du chemin synodal, auquel elle a participé à tous les échelons, national, continental et à présent mondial.
Vous participez activement, mais virtuellement, au Synode en tant qu’experte. Pourquoi n’êtes-vous pas présente à l’assemblée de Rome?
Birgit Weiler: Ma nomination date de février dernier. Or seuls les membres de la première assemblée du Synode (2023) peuvent participer à la deuxième assemblée. Mon travail consiste à générer des contenus, selon mon expertise, pour l’Instrumentum laboris (IL). Ce document de travail a été préparé par le secrétariat du Synode à partir des consultations menées dans le monde. Il sert de base de réflexion aux participants à l’assemblée et leur propose des pistes. Nous préparons aussi des documents pour les secrétaires spéciaux qui rédigent au fur et à mesure le document final. Je travaille notamment sur la place des femmes dans l’Église.
Vous êtes professeure de théologie, conseillère théologique du Centre des programmes et réseaux pastoraux du Conseil épiscopal pour l’Amérique latine et les Caraïbes (CELAM), membre du groupe de théologiens du CELAM… Votre palmarès montre que les femmes peuvent trouver une place à leur juste mesure dans l’Église. Comment vivez-vous le clivage qui existe dans l’Église sur la place à ‘accorder’ aux femmes?
Ce fossé est très douloureux et doit être surmonté. Il s’agit là d’une question vitale pour l’Église, comme l’a montré l’ensemble du processus synodal.
Grâce à l’apport de plusieurs contributeurs aux sessions plénières du Synode d’octobre 2023, le rapport de synthèse de cette première assemblée dit clairement: «Lorsqu’au sein de l’Église, la dignité et la justice dans les relations entre les hommes et les femmes sont altérées, alors la crédibilité de la proclamation que nous adressons au monde est affaiblie. Le processus synodal montre qu’il est nécessaire d’ajuster les relations et de procéder à des changements structurels» (n° 9,g).
«Une transformation des structures et des procédures qui ne favorisent pas la synodalité» est nécessaire.
Je pense personnellement, dans une perspective de foi, que l’Esprit de Dieu a été et est toujours à l’œuvre dans ce chemin synodal. Et cela dans toutes ses phases. De nombreux espaces d’écoute attentive les uns des autres et de l’Esprit, de parole libre (parrêsia) et de discernement à propos des différentes vocations dans notre Église ont été créés. Et cela a été fait ensemble, hommes et femmes.
Vous parlez de différentes vocations. De nombreuses personnes dans l’Église aiment mentionner le ‘charisme’ spécifique des femmes. Qu’en pensez-vous?
Il est important d’éviter un ›essentialisme’, comme si les femmes en tant que telles avaient certains charismes spécifiques. Mais il faut tenir compte de la diversité des femmes. De nombreux dons relationnels sont effectivement volontiers attribués aux femmes, comme la capacité de prendre soin des autres, d’aller à la rencontre de l’autre, de construire des ponts, d’apprécier la variété et la diversité et donc l’unité dans la diversité, etc. Mais ce sont des dons que les hommes aussi possèdent et/ou sont capables de développer.
Ce mode de pensée est néanmoins encore très présent en Église… Peut-on croire qu’un vrai changement se dessine?
Durant le chemin synodal, de nombreuses contributions de femmes du monde entier – mais aussi d’hommes – ont rappelé que les femmes et les hommes sont revêtus de la même dignité baptismale et reçoivent également la diversité des dons de l’Esprit. Se référant à saint Paul – «…il n’y a plus l’homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu’un dans le Christ Jésus» (Galates 3,28) – le rapport de synthèse 2023 (n° 9,b) indique que «les hommes et les femmes sont appelés à une communion caractérisée par une coresponsabilité sans compétions, qui doit s’incarner à tous les niveaux de la vie de l’Église».
Mais ces contributions ont aussi identifié le cléricalisme et le machisme, en Amérique latine en tout cas, comme des mentalités et des attitudes qui freinent l’accomplissement d’une Église vraiment synodale. À la racine de ces deux phénomènes, il y a un abus de pouvoir qui est en contradiction flagrante avec la synodalité. Cela doit être surmonté.
«Les femmes doivent être incluses dans les espaces de discernement, de prise de décision et de formation, y compris dans les séminaires.»
C’est pourquoi une conversion profonde et continue du cœur et de l’esprit est nécessaire. Cela va de pair avec une transformation des structures et des procédures qui ne favorisent pas la synodalité. Celle-ci exige que la variété des charismes – des hommes et des femmes – soit appréciée et qu’on leur donne l’espace nécessaire pour se développer et contribuer au bien de l’Église, et favoriser ainsi sa mission dans le monde d’aujourd’hui.
Comment lutter efficacement contre le cléricalisme et le machisme?
Dans l’ensemble du processus synodal, il a été reconnu que ce sont principalement les femmes qui favorisent la synodalité dans notre Église. Elles contribuent dans une large mesure à la construction de la communauté et au renforcement de la vie de foi dans les paroisses et dans bien d’autres domaines de l’Église.
Il est donc nécessaire qu’elles soient beaucoup plus incluses dans les espaces de discernement et de prise de décision, ainsi que dans les espaces de formation, y compris dans les séminaires. Là où on fait de la théologie et où l’on enseigne.
Une grande partie des femmes et des hommes demandent également que les femmes puissent accéder au diaconat permanent en tant que ministère ordonné.
Le diaconat des femmes a pourtant été retiré des sujets de discussion de la deuxième assemblée synodale. Comment rester optimiste dans ce contexte?
Les choses bougent. Le sujet est revenu sur le tapis lors des sessions actuelles du Synode. Plusieurs membres de l’assemblée ont exprimé leur désir qu’il y ait un processus plus dialogique dans le traitement du sujet, afin qu’il ne soit pas seulement traité par les commissions respectives. On verra comment cela sera pris en compte par les responsables du processus synodal.
Une chose est certaine, la transparence dans la manière de procéder sur cette question est vitale. Cela implique que tous les arguments soient mis sur la table, qu’ils puissent être délibérés librement et discernés avec soin par les tenants des différentes positions.
Vous avez également suivi de près en 2019 le Synode sur l’Amazonie, ce ›grand banc d’essai’ du processus synodal. Il a généré beaucoup d’attentes… et de déceptions. Dans Querida Amazonia, le pape François n’a pas suivi les souhaits des Pères synodaux, n’instituant pas les viri probati. Se dirige-t-on vers ce même type de frustrations avec ce Synode?
Il faut préciser d’abord qu’un synode n’a pas le pouvoir de prendre des décisions, mais seulement de formuler des recommandations au pape. Cela dit, ma perception des résultats du Synode de l’Amazonie en ce qui concerne les points que vous mentionnez est différente. Dans Querida Amazonia, le pape François n’a pas fermé la porte à la question des viri probati ni à l’accès des femmes au diaconat ordonné.
Je suis impliquée dans l’Église d’Amazonie, et pour nous le Synode de l’Amazonie a porté beaucoup de fruits, qui n’ont pas fini de grandir. Il a déclenché une participation plus forte des femmes et des laïcs dans les espaces de discernement et de prise de décision amazoniens.
Un exemple concret est la création de la Conférence ecclésiale de l’Amazonie (CEAMA) et la composition de sa présidence. On y trouve un laïc, Mauricio López, représentant des laïcs, et deux femmes, une dirigeante indigène qui représente les peuples indigènes et une religieuse qui représente les religieux et religieuses de l’Amazonie. La CEAMA est un espace d’apprentissage de la croissance de la synodalité en Amazonie, tant au niveau de l’esprit que des structures, procédures et pratiques concrètes.
L’assemblée synodale compte des représentants du monde entier, avec des visions culturelles et de l’Église très différentes. Les tensions entre l’Église universelle et les particularismes locaux ont-elles une chance d’être dépassées sans une révision des modes de gouvernance?
Je crois fermement que nous avons besoin d’une «saine décentralisation», comme le pape François l’a envisagée dès 2013 dans son exhortation apostolique Evangelii Gaudium. Cela implique d’attribuer certaines compétences, c’est-à-dire un pouvoir de décision directe, au pouvoir exécutif des Églises locales.
Le pape a aussi souligné à plusieurs reprises que les Églises locales ont une connaissance plus concrète du contexte et des réalités du terrain. Cette connaissance est nécessaire au discernement et aux prises de décision locales sur de nombreuses questions.
Le processus synodal appelle justement notre Église à vivre en profondeur ce que signifie être catholique, c’est-à-dire à s’efforcer de vivre et de pratiquer l’unité dans la diversité. C’est un défi permanent que de grandir dans la catholicité! Cela requiert une appréciation de nos différences, une confiance mutuelle et la reconnaissance qu’il n’y a pas qu’une seule façon de vivre la synodalité, ni de développer des structures, des moyens et des procédures de gouvernance dans notre Église. Ceux-ci doivent répondre à la variété des contextes et des lieux qui façonnent nos façons de faire et d’être l’Église, de vivre et de célébrer notre foi.
L’Instrumentum laboris de la deuxième session du Synode offre d’importantes perspectives théologiques et pastorales à cet égard. Et au niveau de l’ensemble de l’Église, le pape a un rôle important à jouer pour l’aider à vivre de manière cohérente l’unité dans la diversité. (cath.ch/lb)
Lucienne Bittar
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