Un an avec le bienheureux Maurice Tornay dans «l’urgence du Seigneur»

Se laisser inspirer chaque jour par la sagesse du bienheureux valaisan Maurice Tornay (1910-1949). Telle est la proposition du chanoine du Grand-Saint-Bernard Joseph Voutaz dans un dernier livre empreint de cette «urgence de vivre pour Dieu» que portait le martyr.

11 août 1949. Peu après le passage du col de Choula, quatre hommes de la lamaserie de Kamda sortent des fourrés et les coups de feu claquent. Maurice Tornay et Doci, son fidèle serviteur, s’effondrent. Le prêtre valaisan, chanoine du Grand-Saint-Bernard, aurait pu quitter définitivement le Tibet, où il était en mission depuis 1938, alors qu’il se savait menacé. Mais il voulait rester parmi ses paroissiens. Son martyr au nom de la foi a été reconnu en 1992. Il a été béatifié par le pape Jean Paul II un an plus tard.

Maurice Tornay en Chine

Originaire du hameau de La Rosière, au-dessus d’Orsières, Maurice Tornay est le seul bienheureux valaisan. Le personnage a toujours fasciné le curé d’Orsières, Joseph Voutaz, également chanoine du Grand-Saint-Bernard. Pour lui rendre hommage, il a rassemblé dans un petit livre des citations inspirantes de son illustre confrère. L’ouvrage intitulé 365 jours avec le bienheureux Maurice Tornay, paru en 2024 aux Editions St-Augustin (St-Maurice), propose un calendrier de paroles fortes du missionnaire, issues principalement de son abondante correspondance. Il a expliqué à cath.ch le sens de sa démarche.

Des ouvrages ont déjà été écrits sur Maurice Tornay, que pensez-vous apporter de plus avec celui-ci?
Joseph Voutaz: Je suis en fait de Sembrancher (un village juste en-dessous d’Orsières). J’ai été nommé curé d’Orsières il y a dix ans. C’est alors que je me suis intéressé de plus près à Maurice Tornay, «l’enfant du lieu». J’ai constaté qu’il était certes connu ici, mais pas si bien considéré. Peut-être simplement parce que «nul n’est prophète en son pays». En fait, il avait surtout la réputation d’avoir mauvais caractère. Une phrase qui court ici, venant de ceux qui l’avaient connu, dit: «Si lui a pu être saint, alors tout le monde le peut.»

Mais en m’intéressant à ses écrits, j’ai pu saisir qu’il ne se résumait pas à sa réputation. Et j’ai trouvé utile que l’on puisse retrouver, à travers ses citations, toute la force du personnage et la profondeur de sa pensée.

Mais pourquoi cette forme de calendrier?
Je ne suis pas un dévoreur de livres et je ne suis pas spécialement passionné par l’écriture. C’était pour moi une façon simple de mieux le faire connaître, ou juste connaître.

«Son mauvais caractère était surtout une carapace pour son hypersensibilité»

J’aime beaucoup ce style de livres, qui donnent l’occasion chaque jour de trouver une parole qui nous soutient, qui nous aide à avancer. Personnellement, lorsque parfois dans ma vie les choses vont moins bien, j’ai l’habitude de lire des pensées inspirantes, et celles de Maurice Tornay m’ont toujours beaucoup aidé. J’espère qu’elles pourront éclairer le chemin des lecteurs.

Une fête de clôture de l’année jubilaire marquant les 75 ans du martyre de Maurice Tornay se déroulera à l’église d’Orsières le dimanche 20 octobre 2024. L’événement verra la participation de Mgr Jean-Marie Lovey, évêque de Sion et de Jean-Pierre Voutaz, prévôt du Grand-Saint-Bernard. Pour la première fois, les reliques du bienheureux seront portées en procession à travers le village. RZ

Comment avez-vous choisi les citations?
Il y a grosso modo un ordre chronologique, qui correspond aux événements de sa vie. A certaines périodes il est plus lyrique, plus lumineux. A mesure que sa fin approche, son écriture se fait plus sombre, on le sent plus inquiet.

J’ai fait en sorte de mettre certaines citations en rapport avec la période de l’année. Il y a des passages où il parle de Noël, des vacances… J’espère avoir aussi été guidé par le Saint-Esprit pour faire la sélection la plus inspirante. Le livre est davantage destiné aux personnes lisant de manière homéopathique, comme moi.

Qu’est-ce qui vous touche particulièrement dans le personnage de Maurice Tornay?
Il est attachant. Effectivement, il avait mauvais caractère, ce n’était pas quelqu’un de facile. Mais je pense que c’était surtout une carapace pour un hypersensible. C’est une dimension que l’on retrouve tout le temps dans ses lettres. Quand il écrit à sa famille, il ne cache pas ses émotions, évoquant notamment ses larmes. Il est touchant parce que très humain. Il n’est pas un bienheureux héroïque, qui mène une vie parfaite, il a ses doutes, ses découragements, mais finalement il y va, il s’abandonne à Dieu.

C’est un «saint de la porte d’à côté», comme dit le pape François?
Absolument. Il est comme nous. Ni meilleur, ni pire. Mais il est bienheureux parce qu’il ouvre un chemin.

C’est un vrai Valaisan?
(Rires) Oui, sans doute, en tout cas un montagnard. Il était entier, endurant et déterminé. Il a un côté très «paysan» et terre à terre allié à une dimension spirituelle très forte. Deux aspects qui se mélangent souvent dans ces lettres où il peut parler de la grâce de Dieu et la phrase suivante demander que sa famille lui fasse parvenir de nouveaux caleçons.

Etait-il emblématique de la spiritualité du Grand-Saint-Bernard?
Il y a certainement chez les chanoines cette passion pour la montagne, l’idée que c’est un endroit privilégié pour rencontrer Dieu. Et Maurice Tornay avait sans nul doute cette sensibilité. Les chanoines ont toujours eu un charisme du secours, autrefois physique, puisqu’il s’agissait de porter assistance aux personnes passant le col, aujourd’hui plus spirituel. C’est ce qu’a fait Maurice Tornay en partant pour le Tibet, s’efforçant de faire connaître Dieu à ces populations, dans un contexte extrêmement difficile et ingrat. Une mission réalisée dans une grande humilité et abnégation.

«Maurice Tornay nous dit: ‘Courons pour Dieu, cela vaut la peine de vivre, d’aimer…’»

Son message parle-t-il encore aux personnes d’aujourd’hui?
J’en suis persuadé, et cela à plusieurs niveaux. Nous vivons actuellement dans un monde à la recherche de sens, qui donne beaucoup de poids à la vie terrestre. Maurice Tornay, dans ses lettres, parle tout le temps du Ciel. Il s’inscrit dans cette perspective où il ne cherche pas à survivre à tout prix et où il met toute son espérance en Dieu. Le Seigneur est omniprésent dans sa vie, et c’est aussi ce que je souhaite transmettre avec mon livre, de lui accorder chaque jour une place.

Mais ce qui me touche peut-être le plus, c’est cette notion «d’urgence». Ce n’est pas pour rien que figure sur la couverture du livre le passage d’une lettre écrite à sa sœur, où il dit: «Il faut nous dépêcher, à notre âge d’autres étaient saints.» Alors que notre vie ici-bas passe rapidement, il s’agit de ne pas «vivoter», un état auquel notre monde contemporain peut facilement nous amener. Il ne faut pas tarder à investir pour le Ciel. Maurice Tornay nous dit: «Courons pour Dieu, cela vaut la peine de vivre, d’aimer…» (cath.ch/rz)

Maurice Tornay est né le 31 août 1910 à La Rosière, un hameau surplombant le village d’Orsières, dans le Val d’Entremont (VS). Il grandit dans une famille d’agriculteurs de huit enfants. En 1925, il entre au collège de St-Maurice. Élève doué, il intègre en 1931 le noviciat du Grand-Saint-Bernard, situé au dessus d’Orsières. Il en devient chanoine régulier en 1935.

Il rejoint ensuite ses confrères partis pour fonder un hospice au Tibet et arrive en 1936 dans la mission des marches tibétaines du Yunnan. Ordonné prêtre à Hanoï (Vietnam) en 1938, il dirige le petit séminaire destiné à former le clergé indigène de 1938 à 1945. Nommé curé de Yerkalo, seul poste implanté dans le Tibet indépendant, en juin 1945, il est en butte à l’hostilité des lamas et expulsé en janvier 1946. Il cherche en vain des appuis auprès des représentants diplomatiques des nations occidentales à Nankin, et du nonce apostolique. 
Il conçoit finalement le projet d’aller plaider sa cause auprès du dalaï-lama. Avec l’assentiment de ses supérieurs, il se joint en juillet 1949 à une caravane en partance pour Lhassa. A mi-chemin, on l’oblige à revenir sur ses pas. Il est abattu avec son serviteur tibétain au col du Choula, à la frontière sino-tibétaine. Son corps repose dans le jardin de la mission de Yerkalo.

En 1992, le pape Jean Paul II reconnaît à Maurice Tornay le titre de martyr de la foi et procède à sa béatification le 16 mai 1993. Sa fête liturgique est fixée au 12 août. Chaque année, à cette date, de nombreux amis du bienheureux viennent à La Rosière pour célébrer l’office divin rappelant son martyre.
Dans le hameau, il est possible de visiter sa maison natale, ainsi que la chapelle, dotée en 1994 de quatre vitraux retraçant sa vie. Dans l’église d’Orsières, une chapelle dédiée au chanoine a été inaugurée en 2021. L’église abrite également une petite exposition où l’on peut voir des documents, des photos et des objets emblématiques.

Une Association des amis de Maurice Tornay, basée à Orsières, s’efforce d’entretenir la mémoire du bienheureux. RZ (source: bienheureuxmauricetornay.ch)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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