Il poursuit en montrant comment la littérature oblige à écouter la voix d’autrui. Elle permet de découvrir d’autres cultures, d’entrer dans d’autres existences que la sienne propre, elle invite au décentrement et à l’empathie et répare l’incapacité émotionnelle dont souffre le monde moderne.
J’ai repris la lecture de Rosa Candida, écrit par l’Islandaise Audur Ava Olafsdottir. C’est l’histoire d’un jeune homme qui a perdu sa mère et qui décide de quitter son île natale, son île aride et volcanique, pour aller voyager en Europe, rejoindre une roseraie laissée à l’abandon dans un monastère avec quelques boutures dans son sac au dos. Si le thème du voyage initiatique est classique, le ton de ce livre est original, et c’est ce qui fait son charme indéniable. Sous des airs faussement candides, le héros accomplit un véritable voyage intérieur, pose un regard neuf sur lui-même et revient différent.
En voyageant avec notre héros, et en participant à son cheminement intérieur, nous nous retrouvons face à nous-mêmes, avec nos certitudes et nos indécisions. Le héros, Arnljotur, est plongé dans un pays dont on ne connait pas le nom et dans une langue qui lui est étrangère et qu’il essaye de déchiffrer lentement. Il se laisse guider à la fois par une contemplation épurée des choses, par la contemplation de la nature, des roses, des oiseaux, des personnes qui l’entourent, et d’autre part, par le bouillonnement de ses angoisses, de sa sexualité et de sa solitude. La mort, l’abandon, un isolement métaphysique sont au cœur de ce livre, dont les solutions et remèdes ne sont jamais tout à fait efficaces mais permettent cependant d’avancer.
«Rosa Candida est un livre d’une douceur infinie, d’une profondeur psychologique surprenante, d’une audace rare»
«En ouvrant au lecteur une large vision de la richesse et de la misère de l’expérience humaine, la littérature éduque son regard à la lenteur de la compréhension, à l’humilité de la non-simplification, à la mansuétude de ne pas prétendre maîtriser la réalité et la condition humaine par le jugement.» C’est exactement ce qui se passe dans ce livre précisément. Il nous faut du temps pour comprendre la vie et les aléas d’Arnljotur et les questions métaphysiques que notre héros se pose. Il faut persévérer dans la découverte de ce personnage déconcertant qui nous amène à le regarder avec bienveillance et tendresse.
«En reconnaissant l’inutilité et peut-être même l’impossibilité de réduire le mystère du monde et de l’être humain à une polarité antinomique vrai/faux, ou juste/injuste, le lecteur accepte le devoir de juger non pas comme un instrument de domination mais comme un élan vers une écoute incessante et comme une disponibilité à s’impliquer dans cette extraordinaire richesse de l’histoire.»
J’attache à ce livre une importance particulière. Après la mort de mon père, je n’arrivais plus à lire. Tout me paraissait insipide. C’est une amie bibliothécaire qui me l’a offert, et qui m’a redonné goût à la lecture. C’est un livre d’une douceur infinie, d’une profondeur psychologique surprenante, d’une audace rare. Je suis toujours ravie quand l’auteur est capable de nous conduire sur des chemins de traverses et de nous mener là où on ne s’y attend pas. Ce livre me procure toujours un sentiment d’une paix indicible et m’invite à méditer sur ce qui est invisible et qui est l’âme même de la littérature, celle de nommer les choses, «de donner du sens, de se faire instrument de communion entre la création et la Parole faite chair avec son pouvoir d’illuminer tous les aspects de la condition humaine.» Lettre du Saint-Père sur le rôle de la littérature dans la formation (17 juillet 2024) | François (vatican.va)
Isabelle Vernet
16 octobre 2024
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