Surnommé par certains le «cardinal courage», le cardinal Nzapalainga est l’une des figures montantes de l’Église catholique en Afrique. Créé cardinal en 2016, à seulement 49 ans, l’archevêque de Bangui (Centrafrique) participe au Synode sur la synodalité qui se conclut à Rome en ce mois d’octobre.
Sur fond de tensions sociales, ethniques et religieuses, vous racontiez il y a deux ans dans un livre* le chaos qu’a connu votre pays. Quelle est la situation aujourd’hui?
Cardinal Nzapalainga: Nous pouvons observer des améliorations en termes de sécurité. Un climat de paix est revenu et cela nous permet de mener notre activité pastorale, de créer et de visiter des paroisses qui se situaient auparavant sur des terres tenues par les rebelles. Je peux dire que 95% du pays est désormais sous le contrôle du gouvernement. Les rebelles d’hier sont devenus des sortes de bandits de grand chemin. Ils n’arrêtent plus les voitures car ils ont peur. Mais ils rackettent encore des motos ou des piétons.
«La cause du changement vient effectivement de la présence russe en Centrafrique»
À Bangui, la capitale, la sécurité est revenue. Un indice: les avions peuvent désormais passer la nuit à l’aéroport. C’était impossible auparavant. Ce n’est pas encore idyllique, mais on revient de loin, d’une forme de chaos, de néant. Cela prendra du temps pour reconstruire les ponts, les écoles. Mon rôle est d’être vigilant et de veiller à ce que les fonds attribués à la reconstruction soient bien utilisés. J’ai la chance de pouvoir parler au président et d’être écouté. Je garde une grande liberté de parole.
L’arrivée de militaires russes dans votre pays a-t-elle contribué à l’amélioration de la situation sécuritaire?
Il faut dire la vérité: la cause du changement vient effectivement de la présence russe en Centrafrique. Les rebelles ont peur des Russes! Dès qu’ils en entendent parler, ils fuient.
Cette présence est donc bénéfique?
Nous avons connu dans un récent passé des crimes de masse. J’ai pleuré en voyant disparaître des hommes et des femmes d’avenir à cause de la violence barbare. La donne a changé avec la présence russe, c’est la vérité. Mais je ne suis pas dupe. Ce ne sont pas des enfants de chœur. Ils ont leur façon de fonctionner et je condamnerai toujours la violence.
On sait bien par ailleurs qu’ils sont venus chasser des rebelles qui occupaient des territoires riches en diamant et en or. On peut considérer que le gouvernement achète la sécurité en laissant aux Russes l’exploitation de ressources.
Avez-vous des contacts avec les Russes?
Non. Quand je me déplace, je le fais sans escorte. Plusieurs fois, le gouvernement, des groupes rebelles ou bien les Nations Unies m’ont proposé de m’escorter. Mais je refuse. Il y a deux ans, je suis resté bloqué 24 heures dans une ville du nord tenue par des rebelles. Cela s’est bien terminé.
En réponse au chaos sécuritaire dans votre pays, vous avez créé avec le pasteur et l’imam de Bangui une ‘Plateforme de Paix interreligieuse’. Tous les trois vous avez sillonné le pays pour désamorcer les conflits. La plateforme existe-t-elle toujours?
Bien sûr! Mais notre mode d’action a évolué car, avec le retour de la sécurité, nous sommes davantage auprès de nos communautés. Et puis l’intuition de la plateforme s’est développée. Dans les localités désormais, des pasteurs, des curés et des imams se mettent ensemble pour travailler. Toutefois, nous sommes encore appelés lorsqu’une situation les dépasse. C’est ainsi qu’il y a quatre mois, je suis allé avec le pasteur et l’imam de Bangui à Yaloké car des jeunes avaient vandalisé une mosquée et pillé des biens appartenant à des musulmans. Nous sommes restés quatre jours là-bas et nous sommes repartis une fois la situation apaisée.
Actuellement à Rome, 368 membres du Synode aux sensibilités très diverses sont en train de débattre de l’avenir de l’Église… Cette «Plateforme de Paix interreligieuse» résonne-t-elle avec ce qui se joue ici à Rome durant le Synode sur la synodalité auquel vous participez?
En Centrafrique, cette expérience de la plateforme de la paix m’a permis de sortir de ma communauté, d’aller à la rencontre d’une autre, de l’accueillir, de l’écouter, et de chercher avec elle des voies pour sauver des vies. Au Synode, avec la «conversation dans l’Esprit», il nous est aussi demandé de sortir de nous-même, d’écouter l’autre, et de chercher avec lui des voies pour l’Église. Je constate que la recherche de la paix vient lorsqu’on opère un dépassement et que l’on ne cherche pas à imposer le dernier mot.
«Il y a des questions difficiles mais nous avançons ensemble, dans un climat respectueux et digne»
À Bangui, le plus important était de sauver la vie. Ici, c’est l’unité de l’Église autour du Saint-Père que nous recherchons. Tous les membres du Synode viennent avec leurs contextes particuliers. Il ne faut pas les négliger. C’est de la réalité que nous partons. Mais il ne faut pas non plus en être esclave. Il faut ouvrir les yeux sur le contexte du voisin qui est aussi un frère. Avec la parole de Dieu et l’eucharistie qui nous unissent, nous cheminons.
L’an passé, le Synode avait commencé dans une ambiance agitée. Quelques jours avant l’ouverture de la session, des cardinaux avaient formulé au pape leurs doutes quant à certaines questions sensibles. L’atmosphère est-elle plus paisible cette année au sein de l’assemblée?
Oui, et cela s’explique par le fait que nous avons appris à nous connaître. Il y a eu de belles scènes de retrouvailles début octobre. Dans mon groupe linguistique, il n’y a qu’un seul nouveau par rapport à l’an dernier, un Haïtien. C’est facile de l’intégrer! Certes, il y a des questions difficiles mais nous avançons ensemble, dans un climat respectueux et digne.
«C’est une bonne chose de prendre le temps d’interroger l’histoire, l’anthropologie, la bible, la théologie…»
Le fait que le pape a créé en février des commissions extérieures pour affronter des questions sensibles a-t-il eu pour effet de soulager la «charge mentale» de l’assemblée synodale?
Sans doute, même si nous continuons à dialoguer avec ces groupes de travail. Cela a permis de convoquer des spécialistes pour creuser en profondeur les sujets. Dans l’assemblée, on peut parler avec notre cœur. Je crois que c’est une bonne chose de descendre plus encore au fond des sujets, de prendre le temps d’interroger l’histoire, l’anthropologie, la bible, la théologie, etc. Ces spécialistes apportent une contribution très appréciable.
Au début de la session d’octobre, le prédicateur du Synode, le cardinal désigné Timothy Radcliffe, est revenu sur le déclaration Fiducia supplicans qui a autorisé la bénédiction des couples de même sexe. Dans le monde et en Afrique particulièrement, des évêques avaient pris leurs distances par rapport au texte. Sentez-vous que cette déclaration inattendue a laissé des traces?
Pour répondre à cette question, je vais parler d’un sujet qui concerne l’Afrique: la polygamie. Quelle réponse pastorale pouvons-nous apporter à un converti qui a plusieurs femmes? Ce sujet est en train d’être travaillé par une commission dirigée par le cardinal Ambongo, archevêque de Kinshasa. Il a présenté en début de session à toute l’assemblée l’état de la réflexion, en expliquant notre contexte spécifique. Quand les travaux de la commission auront bien avancé, nous viendrons soumettre au Saint-Père les éléments et les propositions pastorales. Il y aura donc un va-et-vient avec Rome. C’est sans doute cela qui a manqué avec Fiducia supplicans.
«En Afrique, nous prenons le temps de parler des choses et nous avons le respect des aînés»
Par ailleurs, la réception de ce texte dans certaines régions du monde n’a pas été assez prise en compte en amont. Dans certaines sociétés, cette déclaration n’est pas applicable en l’état. Il y a donc eu un problème de méthode. Je crois que tout le monde a compris et je ne sens pas ici de crispation. Nous continuons d’avancer, en dialoguant et en apprenant.
Sur la place et le rôle des femmes dans l’Église, certains évêques jugent opportun, compte-tenu de leur contexte, d’avancer vers le diaconat féminin. Peut-on s’adapter aux besoins des Églises locales tout en gardant l’unité de l’Église? Comment?
Cette question spécifique se pose surtout en Europe. Je crois qu’il faudrait d’abord que les conférences épiscopales européennes puissent prendre le temps de réfléchir au sujet et d’essayer de tracer une voie. Ensuite, il faudrait que cette réflexion soit présentée aux autres Églises pour qu’un retour puisse être réalisé. Enfin, c’est à Rome de garantir l’unité. Dans l’Église, on ne peut pas faire cavalier seul ni généraliser un cas particulier s’il met en difficulté l’unité de l’Église.
Lors du Synode sur l’Amazonie, la question de l’ordination des ‘viri probati’ [hommes mariés jugés mûrs, NDLR] a beaucoup fait parler. Il y a eu des retours avec Rome qui finalement n’a pas jugé d’aller plus loin en ce sens. En Afrique, les femmes sont très actives dans la vie de l’Église. Sont-elles malheureuses?
Quelle est la singularité de l’Afrique dans ce synode?
En Afrique, nous prenons le temps de parler des choses et nous avons le respect des aînés. Vous connaissez l’arbre à palabres? C’est le lieu qui permet de nous réunir en société et de vider notre sac pour trouver des solutions aux difficultés. À la fin, une fois que tout le monde a parlé, le chef avec ses conseillers revient pour trancher. Nous avons cette culture.
Le catholicisme en Afrique est en croissance et représente une grande partie des vocations de demain. Néanmoins, certains observent que l’Afrique n’est pas assez présente à la Curie romaine ou bien dans le collège des cardinaux. Le catholicisme africain souffre-t-il d’un manque de représentation?
Nous entendons cela aussi et le faisons remonter. Évidemment, ce n’est pas à nous de choisir les cardinaux ou les préfets! Le pape a toujours le dernier mot. L’Église en Afrique a des choses à dire et je crois qu’elle le dit aujourd’hui avec une grande liberté. (cath.ch/imedia/hl/rz)
*Le livre autobiographique Je suis venu vous apporter la paix (Éditions Médiaspaul) a été écrit avec l’aide de Laurence Desjoyaux, journaliste à l’hebdomadaire La Vie. Il retrace l’épopée de ce Centrafricain né dans un quartier pauvre de Bangassou en 1967 d’un père catholique et d’une mère protestante. En 2013, quand la guerre civile éclate, il devient la voix de la paix en n’hésitant pas à se rendre avec un imam et un pasteur dans les villages ravagés par les violences communautaires. HL
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