Fabienne Gapany: «Le catéchuménat révèle l’action de Dieu»

Coordinatrice du catéchuménat de l’Église catholique dans le canton de Vaud, Fabienne Gapany est revenue sur la forte hausse des catéchumènes en Suisse romande. Demandant le baptême ou la confirmation, «ils ne viennent pas pour l’Église institutionnelle», explique la coordinatrice du catéchuménat, mais pour le Christ dont ils ont reçu un appel. L’Église est là pour rendre visible cet appel, estime-t-elle.

«Les chiffres augmentent fortement depuis trois ans. Nous n’avons jamais eu autant de catéchumènes», explique Fabienne Gapany. Les célébrations de l’appel décisif à Lausanne et à Sion ont été significatives à cet égard. En marge de l’interview de la coordinatrice du catéchuménat de l’Église catholique dans le canton de Vaud, ses collègues romands confirment la tendance observée ces trois dernières années en Suisse romande (voir encadré), où le nombre de catéchumènes a quasiment doublé.

En février dernier, 61 catéchumènes étaient présents à Lausanne pour l’appel décisif, 58 autres à la cathédrale de Sion. Êtes-vous surprise?
Fabienne Gapany: Ce qui est surprenant, c’est qu’on n’arrive pas à expliquer l’augmentation du nombre de catéchumènes. On n’y trouve pas non plus de raison objective. Et nous avons constaté que la moyenne d’âge baisse. Il y a de plus en plus de jeunes entre 25 et 30 ans et des adolescents. Pourquoi? Je ne sais pas.
En même temps je ne suis pas surprise, parce que les chiffres augmentent fortement depuis trois ans. Nous n’avons jamais eu autant de catéchumènes. Et ce n’est pas un «effet covid» car nous n’avons pas eu de rattrapage à effectuer. Il a été possible de se rassembler par groupe de cinq personnes presque tout au long de la pandémie. Nous avons donc pu nous organiser pour poursuivre le catéchuménat durant cette période. L’appel décisif de cette année que vous évoquez concernait tous les catéchumènes du diocèse LGF. Cette année, une soixantaine de catéchumènes se sont inscrits pour le seul canton de Vaud.

Catéchumène: (en latin catechumenus, dérivé du grec ancien katêkhoúmenos, de katêkhéô, «faire retentir aux oreilles», d’où «instruire de vive voix») Une personne qui, ayant entendu parler de Jésus-Christ, demande à l’Église de le lui faire connaître et désire devenir chrétien par le baptême. Cette formation s’appelle le catéchuménat. 

Malgré la crise qu’elle traverse, l’Église attire encore du monde. Comment expliquez-vous cette hausse?
Tout ce qui se passe en Église n’est pas un frein. Les faits le démontrent. Ce n’est pas non plus un catalyseur, c’est un «à-côté». En accueillant des gens qui font des demandes sacramentelles, je me rends compte qu’ils ne sont pas là pour l’Église institutionnelle. Quelque chose de fort se passe dans la vie de ces personnes et la plupart ressentent un appel d’appartenance au Christ plus qu’à l’Église. Très peu de gens expriment le souhait d’être catholique, seuls quelques-uns ont une démarche identitaire. Les catéchumènes attendent de l’Église qu’elle visibilise l’appel du Christ qu’ils ont reçu. Il s’agit bien de l’Église-sacrement, non pas celle qui démontre sa puissance institutionnelle, mais celle qui est un lieu où les catéchumènes vont pouvoir rendre visible, approfondir et nommer l’appel reçu. Nous sommes dans la droite ligne de Vatican II.

«Tout ce qui se passe en Église n’est pas un frein. Les faits le démontrent. Ce n’est pas non plus un catalyseur, c’est un ‘à-côté.'»

L’Église serait-elle devenue exotique?
Sans doute. Même pour des vieux baptisés comme moi, l’Église est parfois complètement exotique. J’ai un grand respect pour la piété des gens, mais les canonisations et la vénération des reliques me paraissent anachroniques. Les catéchumènes ne viennent pas pour cela. Ils sont des pages blanches au sens du «catéchisme», de la compréhension de l’Église, de l’institution… mais pas au sens des expériences humaines et spirituelles. Je vois à travers les catéchumènes un appel pour nous en tant qu’institution à voir le monde tel qu’il est, habité par Dieu. D’autant plus que j’entends souvent: «Ce monde où tout va mal, où les familles implosent, etc.» alors que Dieu agit dans ce monde tel qu’il est, avec des gens qui ont des parcours de vie parfois surprenants. C’est un vrai appel à revenir sur cet essentiel qu’offre le catéchuménat qui révèle l’action de Dieu: quand tout d’un coup une personne est mise en route «de l’intérieur», qu’elle découvre que cela fait 35 ans qu’elle vivait avec Dieu et qu’elle ne le savait pas, ce n’est pas rien! Ou lorsque des gens nous disent: «Je croyais que je ne priais jamais et je réalise que je prie depuis mon enfance.» Ces révélations sont fortes. C’est à nous de nous déplacer pour contempler cela. Le parcours du catéchuménat donne une sorte de colonne vertébrale qui permet à la vie des gens de prendre du sens en regardant ce qui s’est passé.

Qu’est-ce qui les motive à demander le baptême?
Il n’y a pas forcément de raisons très précises. Ils sentent que c’est le moment, quelque chose s’est décanté. Parfois un événement est déclencheur: une longue maladie, une naissance. Certains ont fait un bout du chemin de St-Jacques de Compostelle et se sont dit ‘pourquoi pas?’. Lorsque les gens viennent nous voir, ils ne sont pas toujours très au clair. Il y a quelque chose qu’ils n’arrivent pas à nommer. Certains encore évoquent une prise de conscience à une date très précise et relisent leur vie à partir de là. Autant de personnes, autant d’appels. On tomberait à côté de la plaque en essayant de faire du «marketing» en fonction des raisons qui ont poussé les gens à venir nous voir.

«Le catéchuménat reste petit. Mais en même temps, bibliquement, le ‘petit’ est intéressant.»

Le catéchuménat a-t-il dépassé les baptêmes traditionnels?
Même si l’on peut être épaté par les chiffres, le catéchuménat reste assez marginal, alors que pour l’année à venir on prévoit une soixantaine de baptêmes d’adultes et 80 à 90 confirmations. Comparativement aux quelque 2400 confirmations qui ont eu lieu sur le diocèse, ça reste petit. Mais en même temps, bibliquement, le «petit» est intéressant. Ce n’est pas le nombre qui compte. Dans ce «petit», il y a quelque chose qui se dit qui est extrêmement important. Je suis admirative de ces gens à la vie professionnelle et familiale bien remplie qui arrivent à s’engager sur un parcours de catéchuménat qui représente une vingtaine de rencontres sur 8 ou 12 mois, même plus. C’est un engagement personnel exigeant dans la relecture de leur vie, dans un cheminement.

Fabienne Gapany, représentante de l’évêque de LGF pour le catéchuménat et la catéchèse lors de la rencontre du 22 septembre | © Bernard Hallet

Quand vous évoquez: ce «petit qui est important», qu’est-ce que cela vous inspire?
Il  s’agit de ne pas de se laisser épater par ce «grand» qu’on met souvent en avant. Nous vivons dans une société où la notion de masse est importante. Un grand rassemblement c’est sympa. Mais le travail en profondeur se situe justement dans ce qu’on ne voit pas. Bibliquement, cela me fait penser à l’onction de David: Samuel est envoyé dans la famille de Jessé pour trouver un roi à Israël, qui lui présente-t-on? Les costauds, les forts, les grands, les «hommes». Et lorsque Samuel demande s’il  ne reste pas encore un fils, parce que Dieu n’a choisi aucun des grands, on lui présente David, le petit dernier, le «gamin». Celui que Dieu a choisi, précisément. Que fait David lorsqu’il a reçu l’onction? Il retourne garder ses troupeaux, sa vie va connaître maints événements avant qu’il ne règne effectivement. C’est très parlant pour l’Église d’aujourd’hui. Ce n’est ni grand, ni immédiat. L’onction que David reçoit déploiera des années de vie avec Dieu. Il y a de nombreux exemples similaires dans la vie des gens qui viennent nous voir.

Cela peut-il vous inspirer pour faire évoluer le catéchisme habituel alors que la transmission de la foi a tendance à baisser?
La catéchèse est en chantier depuis longtemps, elle n’est plus «catéchisme» mais «résonance de la Parole de Dieu dans la vie des personnes». Je pense que nous parlons souvent un langage qui n’est plus compris. Si nous ne sommes pas attentifs, nous pouvons donner une idée fausse de ce que peut être la foi et comment elle vient changer la vie. Et que retiennent souvent les enfants quand ils sortent du catéchisme? Le goûter «était sympa» et la catéchiste «était gentille». Or la catéchèse est un lieu où l’on peut discuter ensemble de ce que «parle» la Parole de Dieu. Il y a peu, une de mes collègues a lu l’Évangile selon Marc avec des ados et en a discuté avec eux. L’un d’eux a été touché de découvrir que Jésus n’était pas «un type gentil», mais quelqu’un qui a une parole et des actes forts. «Ce Jésus-là, je veux le suivre!», a dit l’adolescent. C’est pour cette raison que le catéchuménat est intéressant: une attention à la manière dont nous présentons et vivons les choses et à la façon dont on peut se laisser bousculer par les textes bibliques.

«Si nous ne sommes pas attentifs, nous pouvons donner une idée fausse de ce que peut être la foi et comment elle vient changer la vie.»

Quelque chose est-il prévu à l’issue du catéchuménat?
Nous avons mis en place une rencontre après la réception des sacrements. Notamment pour avoir une relecture de ce qu’ils ont vécu et comment ils l’ont vécu. Le sacrement n’est pas la fin du parcours et ces catéchumènes ne nous appartiennent pas. Nous les avons accompagnés pour qu’ils se déploient. Certains sont très engagés dans leur paroisse, d’autres pas. Certains s’engagent dans du bénévolat, d’autres pas. Quelques uns ont fait le parcours Siloé*. Les jeunes poursuivent avec le groupe de jeunes, des étudiants s’engagent en aumônerie dans leur université. Chacun suit son chemin. Je reste persuadée que les gens trouvent un ancrage pour leur foi, que Dieu s’en occupe. Il y a mille et une façons de vivre son baptême. (cath.ch/bh)

*Le parcours Siloé est une formation biblique et théologique destinée aux adultes souhaitant lire en profondeur la Parole de Dieu et revisiter les grandes questions de la foi. Dispensée sur trois ans à raison de deux soirées par mois, elle porte une attention particulière aux enjeux spirituels et existentiels.


Suisse romande: les catéchumènes ont doublé en quatre ans

Le nombre de catéchumènes a quasiment doublé en Romandie en quatre ans. Ils étaient 360 catéchumènes en 2021 et 606 en 2024. Ces chiffres ne sont pas exhaustifs puisque les responsables du catéchuménat n’ont pas la totalité des données, certains baptêmes et confirmations s’étant déroulés dans les paroisses, d’autres dans les communautés linguistiques.

 2021202220232024
Vaud
Baptêmes
Bapt. enfants*
Confirmations

29
52
45

29
85
47
 
39
103
51
 
43
92
77
Neuchâtel
Baptêmes
Bapt. enfants*
Confirmations

11
5
3
 
4
10
13
 
4  
14
18

12  

22
Fribourg
Baptêmes
Bapt. enfants*
Confirmations

23
107
11

5
99
16

13
118
20

10
128
27
Sion
Baptême
Bapt. enfants*
Confirmations

6
31
33

12
42
49

17
41
81

14
50
50
Jura pastoral
Baptêmes
Bapt. enfants*
Confirmations

3
Covid
1

11
9
3

22
21
2

15
13
1
Genève
Confirmations
Pas de données
21

39

52
Total catéchumènes360455603606

*Baptêmes d’enfants en âge de scolarité.

Fribourg
«Le prochain chantier, déjà entamé sur Fribourg et j’espère bientôt peut-être conjoint et coordonné au niveau romand sera l’accompagnement et la préparation des adolescents (12-16 ans) qui demandent le baptême. Puisqu’ils sont aussi de plus en plus nombreux, on ne peut plus se contenter de les préparer comme des enfants», indique Paul Salle, responsable du catéchuménat pour le canton de Fribourg.

Neuchâtel
«Pour les âges, la fourchette va de 18 ans à 48 ans cette année et donc une moyenne autour de 30 ans. Un public jeune, désireux d’apprendre, de se former sérieusement et avec beaucoup de questions et d’interactions», commente François Perroset, du canton de Neuchâtel. «Les demandes pour les trois sacrements de l’initiation émanent de personnes qui désirent suivre Jésus.»
Pour les confirmations, il y a divers types de publics, poursuit François Perroset: ceux qui reprennent le catéchisme, les «recommençant», qui ont lâché le caté pendant l’enfance car pas compatible ou trop enfantin ou qui ont déménagé et ne se sont pas réinscrits dans leur paroisse. L’autre public concerne ceux qui, à l’occasion d’une demande pour être parrain ou marraine ou en vue d’un mariage, désirent poursuivre leur initiation chrétienne en recevant la confirmation, parfois en se préparant aussi à la communion.

Genève
Concernant Genève, l’accompagnement a commencé en 2021, ce qui explique qu’il n’y a pas de chiffres pour cette année-là. Les chiffres des baptêmes d’enfants en âge de scolarité (de 7 à 17 ans) sont lacunaires et nous avons obtenu une partie seulement des données des baptêmes d’adultes. A Genève, «ce sont les baptêmes qui ont eu lieu dans le cadre du groupe cantonal, il y a eu également des baptêmes en paroisses, tandis que la confirmation concerne tout le canton à l’exception des missions linguistiques», précise Sébastien Baertschi. Cintia Dubois-Pèlerin, du service du catéchuménat, observe avec surprise «que la moyenne d’âge des catéchumènes a fortement baissé pour se stabiliser autour des 25-35 ans». BH

Bernard Hallet

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