Les crises de l’Église (abus, sécularisation) ajoutées à celles du monde (conflits, environnement) soulèvent d’importantes questions de foi. Nos structures d’Église sont-elles adaptées aux enjeux actuels de l’évangélisation? Pour le théologien Daniel Kosch, le chemin synodal voulu par le pape François a toute sa raison d’être. Il était l’invité de la Communauté de base de Meyrin, le 5 octobre 2024.
«L’Église, c’est le peuple de Dieu d’abord, et non les ecclésiastiques; l’impulsion doit donc venir de la base.» Impossible pour les communautés chrétiennes de base (CDB) romandes de ne pas participer au processus synodal avec un tel ›credo’ présenté il y a un an pour leur 50e anniversaire.
La CDB Meyrin, impliquée dans la réflexion synodale suisse, a donc organisé une après-midi d’échange titrée Le chemin synodal allemand et le synode proposé par le pape François. Au menu, comme plat de résistance, une intervention de Daniel Kosch, secrétaire général jusqu’en novembre 2022 de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ), auditeur au Synode allemand et enseignant à l’Université de Lucerne d’un cours intitulé Réforme synodale de l’Église dans le contexte des structures suisses.
Le chemin synodal voulu par François est approprié à la crise vécue par l’Église, a souligné celui-ci. «La situation n’a jamais été aussi compliquée depuis la Réforme, à cause des scandales d’abus, bien sûr, mais aussi de l’évolution du rapport de nos sociétés à la transcendance et du désintérêt majeur pour les questions religieuses.» Marcher ensemble et chercher de nouvelles voies d’évangélisation n’est donc pas un simple exercice de style, ni une question de structures uniquement, insiste Daniel Kosch. Il en va pour lui de l’avenir de l’Église.
«Comment expliquer à nos enfants et petits-enfants que l’amour de Dieu reste important dans notre vie alors même que le téléjournal montre chaque jour qu’il y a des milliers d’enfants qui vivent sans ressentir cet amour? Comment allons-nous traduire le Credo pour eux?» lance l’invité de la CDB Meyrin.
Face aux guerres, aux crises économiques et environnementales, «il s’agit, en tant que communauté catholique, de définir ce qu’est pour nous la foi en Dieu et comment nous l’engageons dans le monde à la suite du pape François», remarque-t-il.
François, en effet, a remis au goût du jour dès le début de son pontificat le sensus fidelium (sens de la foi), avec Evangelii gaudium, en 2013. C’est là qu’a été lancée sa première invitation, informelle, à un chemin synodal, estime le théologien suisse. Dans son exhortation apostolique, «le pape François a mis en valeur la responsabilité de tous les baptisés, déclarant que les évêques ont quelque chose à apprendre des fidèles», rappelle Daniel Kosch. L’assemblée du reste ne porte plus le nom de Synode des évêques mais de Synode tout simplement.
Sur le plan de la durée, tout ne s’arrêtera pas dans un an. «La synodalité est destinée à nous accompagner pour les temps à venir!» lance l’expert suisse. En 2015, lors du 50e Synode des évêques, François a dit qu’elle était le chemin que Dieu demande à l’Église du 3e millénaire. Depuis, il n’a cessé de faire évoluer le concept. Il est d’ailleurs encore temps pour chacun et chacune de participer à cette vaste réflexion. Les cinq groupes d’experts constitués par le secrétariat du Synode, autour de la question du ministère ou de la responsabilité de l’évêque dans la lutte contre les abus notamment, ne rendront par leurs rapports avant un an. «Écrivez-leur! On peut être sûr que les groupes les plus conservateurs dans l’Église vont leur faire parvenir des lettres en masse de leur côté.»
Expert des réalités pastorales de Suisse, Daniel Kosch voit dans les structures d’Église des leviers à la vie de foi des fidèles. C’est à ce titre qu’elles doivent être revisitées. Intégrer les nouvelles réalités du terrain, c’est permettre aux baptisés de mieux accomplir leur mission d’évangélisation. «En Suisse, 5 à 6% des baptisés participent à la vie de la communauté. Les autres se contentent de payer leurs impôts – dans les cantons où ils existent. Mais les évêques ne semblent pas s’en préoccuper assez. Où serons-nous dans 30 ans?» interroge-t-il.
Ce questionnement a été ouvert en premier par les Allemands, rappelle Daniel Kosch. Bouleversée par le résultat d’une étude sur les abus sexuels dans l’Église, la Conférence des évêques allemands (DEBK) a proposé en 2018 l’instauration d’un chemin synodal national incluant les laïcs, pour redonner de la crédibilité aux structures d’Église.
Pour pouvoir remplir sa mission évangélisatrice, l’Église doit retrouver la confiance de ceux à qui elle s’adresse, avait affirmé le cardinal Reinhard Marx, alors président de la DBK. «Nous constatons que pour de nombreuses personnes, c’est l’Église elle-même qui obscurcit l’image de Dieu. Nous misons sur la force du Saint-Esprit pour renouveler l’Église afin qu’elle puisse témoigner de manière crédible de Jésus-Christ comme lumière du monde», annonce le Préambule des statuts de la voie synodale allemande.
Le processus s’est déroulé de 2020 à 2023 à Francfort. Le Comité central des catholiques allemands (ZDK) a accepté d’y participer, à condition que le thème du rôle des femmes dans l’Église soit intégré. Marqué par le covid et par une culture organisationnelle allemande, le synode allemand a pris des accents par trop techniques par moments, avec une manière de travailler parlementaire non transposable dans d’autres pays d’Europe. Il n’en est pas moins l’expression d’un travail imposant et d’un chemin spirituel réel, a souligné l’ancien secrétaire général de la RKZ.
A l’inverse, le synode sur la synodalité paraît pour certains observateurs trop peu concret. «Le style synodal est tiraillé entre la recherche spirituelle d’un consensus et la nécessité d’obtenir des décisions claires. Il est difficile de mettre ensemble la logique démocratique, qui est la nôtre en Suisse, et la logique du droit canon. (…) Si le processus n’aboutit pas à une révision des doctrines actuelles et à des réformes du droit canonique, l’Église n’avancera pas vraiment», estime le théologien.
Cette deuxième assemblée synodale aboutira-t-elle à de vraies réformes? Daniel Kosch dit espérer que les questions qui fâchent ne soient pas toutes évacuées, que les laïcs présents à Rome, et les femmes en particulier, «prennent leur courage à deux mains pour dire ce qui les brûle vraiment», à l’instar de Sœur Philippa Rath. Le 30 janvier 2020, cette bénédictine déléguée des ordres religieux au sein du processus synodal allemand avait déclaré: «Qui sommes-nous, je me demande, pour vouloir dicter à Dieu qui Il appelle, à quels postes et services dans son Église et quel doit être le sexe de ces appelés?» (cath.ch/lb)
Il faut traverser une certaine mort de l’Église
Ouverte à tous les membres des communautés chrétiennes de base (CDB) genevoises et à leurs proches, l’après-midi de réflexion autour du Synode organisée par la CDB Meyrin a réuni une vingtaine de personnes au Centre œcuménique de Meyrin. Sa méthode de travail a rejoint tant celle instituée par le synode que celle adoptée de longue date dans les CDB: réfléchir ensemble, s’écouter, puis tirer des conclusions communes… si possible.
A la suite à l’intervention du théologien Daniel Kosch, a eu lieu un temps de travail en petits groupes sur l’un ou l’autre thème au choix – distanciation croissante par rapport à l’Église, rôle des femmes en Église, décentralisation, formation à une pastorale synodale, etc. – puis un retour de chaque groupe à l’assemblée, et enfin un temps de prière commune, «pour réaliser l’apostolat de l’oreille».
Pour le groupe réuni autour de la distanciation actuelle des baptisés avec leur Église, celle-ci doit beaucoup au fossé existant entre les exigences imposées par l’Église en termes de moralité sexuelle et les scandales d’abus en son sein. Il y a là une «mort» à traverser. La prise de conscience de cette hypocrisie est nécessaire pour renouveler le chemin d’évangélisation. «J’ai pris de la distance avec l’Église, mais cela n’a rien changé à ma foi et je suis engagée dans les prisons», dit Hélène. «Il faut aller dedans, pour ressortir et retrouver un témoignage dont le fondement est basé sur l’amour plutôt que sur la loi», conclut le groupe. LB
Lucienne Bittar
Portail catholique suisse
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