Si la raison apporte de solides arguments en faveur de l’existence de Dieu, ceux-ci trouvent rapidement leur limite. Car Dieu s’éprouve plus qu’il ne se prouve.
Avant de poser la question des preuves de l’existence de Dieu vous soulignez que le statut de la preuve en sciences comme en philosophie a totalement changé.
Emmanuel Tourpe**: A part en mathématiques, l’idée de certitude a disparu. On s’est rendu compte que la vie échappe à la capacité de tout ramener à une démonstration. La science élabore des modèles hautement probables, mais ce ne sont plus des démonstrations, ce sont des paradigmes auxquels on peut croire. Cette haute probabilité n’est cependant pas le relativisme du peut-être bien que oui – peut-être bien que non. Elle répond à une démarche rationnelle et rigoureuse.
Vous relevez que s’interroger sur l’existence de Dieu est forcément une démarche qui engage.
Nous sommes embarqués par la question que nous ne pouvons pas nous contenter de regarder en spectateur neutre. C’est une option qui implique notre volonté. Il s’agira d’une question de convenance entre la raison et le cœur.
On pourrait alors reformuler la question en disant: ‘Dieu existe-il pour moi?’
Il faut faire attention à ne pas tomber dans un subjectivisme ou chacun déciderait pour lui-même. Mais il n’y pas de preuve de Dieu qui ne passe par toute notre histoire. Nous adhérons ou non à des argumentations rationnelles selon les choix de notre vie. La preuve de Dieu n’existe que dans l’épreuve de Dieu. C’est un pari.
Par analogie, dans une relation amoureuse, je peux analyser les raisons d’aimer: les mots d’amour, le temps passé ensemble, la qualité de nos échanges, les cadeaux ou que sais-je encore. Mais ce ne sont pas des preuves si mon cœur n’y adhère pas.
Les questions fondamentales: ‘pourquoi y-a-t-il quelque chose plutôt que rien, d’où viennent le temps et l’espace?’ peuvent être abordées de manière rationnelle, mais la réponse ne vaudra que si j’y apporte mon adhésion personnelle. Il n’est pas nécessaire de dissocier la raison et le cœur, le désir et la démonstration. Ils ne sont pas antinomiques.
Pour beaucoup aujourd’hui, si Dieu existe, il échappe à notre connaissance.
Il faut ici éviter deux malentendus. Le premier serait d’affirmer que Dieu étant inconnaissable, tout ce que je pense de lui n’a pas de sens. C’est ce que fait la théologie dite ›négative’. On tente de définir Dieu par ce qu’il n’est pas. A mes yeux, c’est assez problématique.
A l’inverse penser que notre connaissance peut déterminer intégralement ce qu’Il est comme le faisait en 1919 le dominicain Garrigou-Lagrange en titrant un de ses ouvrages: Dieu son existence et sa nature, n’est pas plus convaincant. Il faut tenir un équilibre entre les deux.
«Qu’est-ce qui est plus grand que le mal? C’est Dieu.»
L’un des principaux arguments pour ne pas admettre l’existence de Dieu est la question: ‘Comment un Dieu bon peut-il permettre le mal?’
Il convient d’abord de souligner que l’idée d’un Dieu bon vient de la tradition judéo-chrétienne. Cette idée n’existe pas forcément dans les autres religions comme le bouddhisme ou l’hindouisme. La question est pour ainsi dire déjà orientée.
La première réponse à ce dilemme est d’ordre théologique. Dieu ne laisse pas le mal à distance et le prend sur lui. Il s’incarne en Jésus-christ qui meurt sur la croix avant de ressusciter. La résurrection ouvre les portes de la Vie.
Le deuxième argument, d’ordre philosophique, est plus rarement mis en avant. Nous sommes scandalisés devant la souffrance et la mort d’un enfant et c’est légitime. Mais pourquoi le sommes-nous? Nous comprenons que cela ne correspond au sens de notre être. Que nous ne sommes pas faits pour le mal. Que l’ordre de l’univers n’est pas le mal, mais le bien. Nous avons ainsi une définition ‘en creux’ qui nous ramène à la question de Dieu. Le mal n’a pas le dernier mot. Qu’est-ce qui est plus grand que le mal? C’est Dieu.
Saint Augustin, au IVe siècle, en a eu l’intuition profonde. Nous avons en nous-mêmes cette idée de Dieu comme une source d’absolu qui nous anime. Une notion que l’on retrouvera chez le psychiatre Viktor Frankl (1905-1997) qui évoque l’absence de sens comme une des racines des pathologies et qui parle d’un Dieu ‘inconscient’.
A l’appui de l’existence de Dieu, vous invoquez aussi les miracles et les saints. Cela ne paraît pas très scientifique.
Il ne faut pas sous-estimer cette ‘preuve’ de l’existence de Dieu. Car aux éléments philosophiques et théologiques, les miracles et les saints ajoutent la valeur de l’expérience. En effet malgré ce que prétendent certains, si la science peut expliciter certains miracles, elle ne pourra jamais tous les résoudre.
Les miracles sont un signe avec une dimension spirituelle. Mais le fait d’avoir cette dimension ne signifie pas que leur réalité historique et matérielle soit douteuse ou inexistante. Une certaine exégèse qui fait des miracles une description uniquement symbolique fait fausse route.
Le simple miracle de l’existence qui nous fait prier: «Donne nous aujourd’hui notre pain de ce jour» illustre que l’action de Dieu, que l’on nomme Providence, se manifeste de manière concrète dans nos vies. Il n’y pas besoin pour cela de faire de grandes expériences mystiques comme certains saints.
Certains diront faire l’expérience de Dieu dans la beauté et s’en satisfont.
On peut certes faire une expérience de Dieu à travers la beauté et l’art. Mais la beauté n’est pas le sublime. On dit parfois: ‘La beauté sauvera le monde’. Ce n’est pas vrai. Les SS aimaient l’art et la musique. On peut vouer un culte à la beauté indépendamment de toute considération morale.
Pour les chrétiens le sommet de la beauté se trouve dans le mystère de la croix. C’est une beauté défigurée qui dépasse les normes de la beauté humaine mais qui manifeste déjà la gloire du Christ. Face à ce spectacle, le centurion s’écrie:»Vraiment cet homme était Fils de Dieu.»
«La science ne prouve rien quant à l’existence ou l’inexistence de Dieu.»
D’autres encore mettent dans les découvertes scientifiques contemporaines, l’espoir d’obtenir de nouvelles preuves de l’existence de Dieu.
La science ne prouve rien quant à l’existence ou l’inexistence de Dieu. Ce n’est pas son domaine. La science s’occupe du comment, la philosophie du pourquoi. Cela dit, les découvertes scientifiques ouvrent des voies nouvelles à la réflexion. Depuis les années 1920, la cosmologie s’interroge sur la formation et le développement de l’univers. Avec nombre d’énigmes qui prêtent à méditation: «Y-a-t-il eu un commencement originel? L’expansion de l’univers est-elle infinie?»
Les neurosciences ont fait ces dernières années des avancées déterminantes qui redéfinissent les frontières traditionnelles entre le corps et l’âme. Et qui interrogent sur l’existence ou la nature d’une vie au-delà de la mort.
On essaie aujourd’hui de comprendre le fonctionnement de la conscience. Certaines expériences tendent par exemple à montrer que la conscience survit quelques instants après la mort du cerveau. Les expériences de mort imminente (EMI) sont prises beaucoup plus au sérieux. Mais on ne peut pas les utiliser comme une preuve de l’existence de l’âme ou de Dieu. Il ne faut pas se précipiter, mais l’explication strictement matérialiste est toujours plus en difficulté. On constate que les phénomènes de la nature et de l’esprit sont un.
Vous n’avez pas placé en premier les preuves classiques de l’existence de Dieu que l’on trouve chez les théologiens et les philosophes dont bien sûr Thomas d’Aquin ou Descartes. Pourquoi?
Pour moi, les preuves de Dieu ne sont pas uniquement, d’abord et surtout une question d’intelligence et de logique. Sans participation de tout notre être à cette question, les ›preuves intellectuelles’ de Dieu sont sans portée. D’ailleurs je remarque que Thomas d’Aquin ne parle pas de preuves mais de voies.
En outre il faut noter que la plupart de ces preuves fonctionnent qu’à partir de la foi en un Dieu chrétien. Ce qui ne signifie cependant pas qu’elles n’ont rien à nous dire. Mais elles ne me paraissent pas constituer le point de départ de la question des preuves de Dieu – plutôt leur sommet et leur achèvement.
Pour vous, l’existence de Dieu ne peut pas être dissociée de la question: ‘Qui est Dieu?’
C’est la question principale. Dieu n’est pas un pressentiment, une conscience universelle ou un grand horloger. C’est un Dieu qui a des attributs précis: il est créateur, hors du temps (éternel), infini et tout amour. Penser Dieu, c’est faire un chemin intérieur et non pas raisonner à vide. C’est l’acte suprême du discernement dans sa propre vie. Les preuves rationnelles de l’existence de Dieu ne sont qu’une étape dans l’épreuve intérieure de Dieu. (cath.ch/mp)
**Docteur habilité en philosophie, Emmanuel Tourpe a enseigné dans plusieurs universités et poursuit également une carrière dans les médias. Il est l’auteur de nombreux articles et ouvrages.
*Emmanuel Tourpe: L’épreuve de Dieu, peut-on encore prouver que Dieu existe? Paris 2024 165 p. Éditions Emmanuel
Maurice Page
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