Par Christian Maurer, kath.ch / traduction et adaptation Grégory Roth
En quoi l’aumônerie pour les travailleuses du sexe diffère des autres services d’aumônerie?
Susanne-Andrea Birke: La SiTa [Seelsorge im Tabubereich– litt. aumônerie de la zone taboue, ndlr] permet aux travailleuses du sexe de se montrer entièrement, sans craindre d’être jugées pour leur travail ou d’être prises pour des victimes. Lorsqu’elles viennent me voir dans mon bureau, ce n’est pas si différent que lorsque d’autres femmes en situation de crise consultent l’aumônerie. Et pour celles qui sont concernées, les thèmes abordés se rapportent à leur passé de migrantes.
«J’accompagne beaucoup de femmes qui sont sous pression financière».
J’accompagne de nombreuses femmes qui subissent une pression financière. Elles profitent de leur séjour en Suisse pour gagner le plus d’argent possible. Ce qui est différent, c’est quand je vais les voir sur leurs lieux de travail: dans la zone de tolérance [lignes vertes de balisage du racolage permis par la Ville, ndlr.], les bars, les studios et les établissements du ›quartier rouge’ de Bâle. Je les rencontre aussi pendant le repas de midi du service spécialisé Aliena ou au café du soir de Rahab, une offre de l’Armée du Salut. Avec Rahab, j’organise aussi des célébrations de bénédiction, des excursions ou une fête de Noël avec Aliena.
Qu’est-ce qui a motivé le lancement de la SiTa?
Pour l’Église catholique-romaine de Bâle-Ville, il était et il est toujours important d’être présente aux marges de la société, d’aller vers les gens et de proposer une assistance spirituelle concrète dans un domaine tabou.
«La plupart des femmes que j’accompagne sont chrétiennes».
Les travailleuses du sexe sont-elles ouverte à la pastorale catholique?
Je rencontre une grande diversité de femmes. Elles ont différentes religions et confessions, et peuvent être ésotériques, agnostiques ou athées. Pour la plupart, je constate une ouverture d’esprit fondamentale, et pour beaucoup, leur foi est existentielle. Je me place là où elles se trouvent. Par exemple, si une musulmane me dit qu’elle trouve un soutien dans sa foi, cela me réjouit. La plupart des femmes que j’accompagne sont chrétiennes. La Vierge noire que je leur apporte comme «Bildli» –petite image – est presque toujours acceptée avec reconnaissance.
Compte tenu de la rigidité de la morale sexuelle de l’Église catholique, les travailleuses du sexe vous prennent-elles au sérieux?
Les femmes qui réagissent négativement sont une minorité. Jusqu’à présent, j’ai eu le plus long entretien pastoral avec une Suissesse qui avait quitté l’Église catholique. Elle avait des propos très clairs sur l’Église: la double morale, l’hostilité de l’enseignement à l’égard de la sexualité et du corps, les abus, etc. Mais la plupart du temps, il en va autrement.
«Malheureusement, de nombreuses travailleuses du sexe prennent très à cœur la morale sexuelle qui les condamne».
Malheureusement, de nombreuses travailleuses du sexe – mais pas toutes – prennent la morale sexuelle très à cœur et elles se blâment elles-mêmes. J’aimerais leur ouvrir d’autres perspectives et les rassurer sur l’amour inconditionnel de Dieu. Cela se termine souvent par de nombreuses larmes. Mais il est très important qu’elles puissent entendre que, ni Dieu ni moi en tant qu’aumônière, ne les jugeons à cause de leur travail.
Avec quels sujets, quelles inquiétudes et quels besoins les travailleuses du sexe viennent-elles vous voir?
C’est tout au long de leur vie qu’elles sont préoccupées. Au cours de ma première année en tant qu’aumônière, j’ai accompagné une femme enceinte et une autre en fin de vie. Souvent, il s’agit de soucis existentiels liés à une situation de vie précaire. Mais il y a tout le reste: les soucis liés aux enfants et la nostalgie de ceux-ci, la maladie et le deuil des proches, le bonheur et la souffrance dans les relations, les discriminations vécues en tant que travailleuse du sexe a fortiori immigrée ou personne de couleur, la fierté d’avoir réussi un examen, la peur d’être rejetée, et toujours le passé, qu’il s’agisse d’une enfance faite de privations ou ayant dû s’exiler.
«Je me suis parfois demandé si elles étaient forcées».
Je me suis parfois demandé si elles étaient forcées. Mais j’ai aussi rencontré des femmes qui travaillent comme escort girls et qui ont un salaire dont le montant est hallucinant. À l’aumônerie SiTa, les thèmes sont aussi variés que les femmes. Mais dans tout cela, la plupart d’entre elles accordent une grande importance à leur foi, qui les porte parfois ou avec laquelle elles luttent.
Les travailleurs du sexe sont-ils également concernés?
Le poste s’adresse explicitement aux femmes, ›cis’ comme ›trans’, mais pas aux hommes. Cela étant, cet été, nous avons lancé un projet pilote qui s’adresse également aux clients des travailleuses du sexe.
«Moi aussi, j’avais mes préjugés».
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris depuis un an que vous travaillez à la SiTa?
J’avais des préjugés, comme tout le monde. Par exemple, je m’imaginais les travailleuses du sexe étaient jeunes. Eh bien, non. J’ai rencontré des grands-mamans qui viennent travailler en Suisse pour subvenir aux besoins de leur enfants et petits-enfants.
Et qu’est-ce qui vous a réjoui?
Beaucoup de choses. Il y a souvent des discussions qui finissent par nous faire rire ensemble de bon cœur. Lors de la fête de Noël chez Aliena, par exemple, il y avait du café, des gâteaux, des discussions et des prières, mais aussi de la danse spontanée. Ce sont des joies du quotidien: quand une visite d’un enfant devient possible, quand l’argent suffit pour un meilleur logement. Ou quand des femmes viennent me voir pour qu’on dise ensemble une prière de remerciement parce qu’un de leur grand souhait s’est enfin réalisé pour elles, ou lorsqu’un gravec souci est enfin résolu. (cath.ch/kath/gr)
Le service SiTa
Susanne-Andrea Birke: «L’aumônerie SiTa n’est pas le seul service à Bâle à proposer une offre pour les travailleuses du sexe. L’association Aliena [reconnue d’utilité publique, ndlr.] et Rahab nous apportent un soutien essentiel. J’occupe un poste à 40%. À mes côtés, j’ai une bénévole qui m’aide à me rendre dans les bars de contact afin de proposer également des entretiens d’aumônerie aux clients des prostituées, dans le cadre de ce projet pilote. Si je le pouvais, j’aimerais obtenir du pourcentage pour des postes de traductrices. Car, à Bâle, les travailleuses du sexe viennent de partout». GR
Rédaction
Portail catholique suisse
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