Dans l’histoire moderne de la Suisse et de Genève, peu de personnages auront suscité autant la controverse que Gaspard Mermillod. Rien ne semblait destiner ce fils de boulanger de la cité catholique de Carouge à revêtir un jour la pourpre cardinalice. Le garçon commence sa formation à Chambéry avant d’entrer au séminaire à Fribourg où il est ordonné prêtre en 1847.
Messe et conférence à Genève
L’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg, Charles Morerod, et le recteur de la basilique Notre-Dame Pascal Desthieux invitent à célébrer le bicentenaire de la naissance de leur prédécesseur, le cardinal Gaspard Mermillod le dimanche 22 septembre 2024 à la basilique Notre-Dame de Cornavin avec une messe à 11h30 et une conférence historique à 14h30 par le professeur Paul Bernard Hodel. Les fidèles pourront par ailleurs découvrir une toute nouvelle armoire d’exposition des objets ayant appartenu à Mgr Mermillod, dont son chapeau de cardinal. MP
Il revient la même année comme vicaire à Genève en pleine guerre du Sonderbund qui oppose les cantons catholiques aux protestants et qui voit la défaite des premiers. Immédiatement, le jeune prêtre s’attelle à défendre et à développer la communauté catholique. Avec l’accroissement démographique et surtout le rattachement à Genève en 1815 de terres savoyardes catholiques, la cité de Calvin est devenue un canton mixte, ce que certains protestants vivent assez mal.
En 1850, l’abbé Mermillod obtient du Conseil d’Etat la cession d’un terrain proche de la porte de Cornavin pour y ériger une église. Comme les catholiques n’ont pas d’argent, leur prêtre met en avant ses talents de prédicateur avec des tournées dans toute l’Europe pour récolter des fonds: en 1857, l’église Notre-Dame est consacrée.
Prédicateur capable de séduire les foules, Gaspard Mermillod avait tôt compris l’importance de la presse. En 1852, il fonde les Annales catholiques de Genève, revue mensuelle à laquelle succédera en 1868 Le Courrier de Genève, premier quotidien catholique de Suisse romande.
En 1854, Gaspard Mermillod, devenu entre-temps curé de Genève, se rend à Rome pour la proclamation du dogme de l’Immaculée Conception. Sa rencontre avec le pape Pie IX va alors sceller son destin. Le pontife envisage de reconstituer une hiérarchie catholique dans les pays où elle avait été chassée par la Réforme protestante et Genève figure évidemment dans sa liste. L’abbé Mermillod, qui avouera plus tard avoir rêvé dès l’âge de cinq ans de la conversion de Genève, adhère à ces vues. Le pape lui fait cadeau de la grande statue de la Vierge qui trône dans la nouvelle église de Cornavin.
En 1864, Pie IX lui confère personnellement l’ordination épiscopale, avec le titre d’évêque d’Hébron et la charge d’auxiliaire de Mgr Marilley, évêque de Lausanne. Dans l’immédiat, cette nomination ne suscite cependant pas d’opposition marquée.
Le ton change en 1868 avec l’arrivée au pouvoir du radical anticlérical Antoine Carteret. Mgr Mermillod monte aux barricades pour fustiger le ‘libéralisme hypocrite’ de ceux qui au nom des grands principes révolutionnaires ne cherchent en réalité que l’asservissement de l’Église à l’État. Le Kulturkampf (combat pour la civilisation contre l’obscurantisme ecclésial NDLR) déclenché en Allemagne par le chancelier Bismarck fait des émules en Suisse et à Genève en particulier.
En face, Mgr Mermillod est un des farouches soutiens de l’infaillibilité pontificale définie au Concile Vatican I en 1870. La crise atteint son paroxysme à partir de 1872. Le gouvernement genevois contraint le prélat à renoncer à exercer ses droits épiscopaux. Rome répond en érigeant Genève en préfecture apostolique, première étape en vue de la réinstallation d’un évêché dans la cité de Calvin. Sur proposition du gouvernement genevois, le Conseil fédéral ordonne expulsion du territoire suisse du prélat. Le 11 février 1873, Mgr Mermillod est reconduit par la police à la frontière.
Commencent pour lui dix ans d’exil, d’abord à Ferney puis à Monthoux, près d’Annemasse. Le journal Le Courrier comptera quotidiennement, dans un encadré noir en première page, les jours d’exil de son évêque qui ne renonce pas à gouverner son Église. Car dans le canton la situation s’aggrave pour les catholiques. Le gouvernement confisque les églises en chasse les prêtres et instaure une Église démocratique nationale séparée de Rome (qui deviendra l’Église catholique chrétienne NDLR). La majorité des catholiques et des prêtres refusent de passer au schisme et se réfugient dans la clandestinité. On prie dans les maisons, on se réunit dans des granges, on passe la frontière pour recevoir la confirmation de l’évêque.
Il faut attendre 1883 pour trouver une solution. A Rome le pape a changé et c’est désormais un Léon XIII beaucoup plus conciliant qui préside aux destinées de l’Église. Le Conseil fédéral lève la mesure d’expulsion de Mgr Mermillod qui pourra revenir en Suisse, non pas à Genève mais à Fribourg pour succéder à Mgr Cosandey décédé après seulement trois ans d’épiscopat. Ni lui, ni les Fribourgeois ne sont ravis, mais tous font contre mauvaise fortune bon coeur.
A Fribourg, Mgr Mermillod restera très actif dans deux domaines. Ultramontain et conservateur, ce fils de boulanger n’est n’est pas moins très sensible à la question sociale et à la condition des ouvriers écrasés par la révolution industrielle. Il met en place l’Union de Fribourg, un cercle d’intellectuels qui jettera les bases de la doctrine sociale de l’Église.
L’évêque joue aussi un rôle déterminant pour la création de l’Université de Fribourg. En bon prélat romain, Mermillod voudrait une université catholique dépendante de Rome. Le Conseiller d’État Georges Python veut une Université d’État qu’il confiera à l’ordre des dominicains. C’est lui qui l’emporte. L’évêque parvient cependant à maintenir au séminaire diocésain un enseignement théologique indépendant de l’université.
L’élévation au cardinalat de Mgr Mermillod en 1890 sonne comme un triomphe pour les catholiques suisses. Il n’est que le deuxième cardinal suisse après le valaisan Matthieu Schiner au XVIe siècle ! La réception dans sa ville de Fribourg est grandiose accompagnée de toute la population et de toutes les autorités civiles. Un brasseur local crée à cette occasion la bière du Cardinal dont la marque restera à la postérité.
Mais pour l’intéressé, qui doit démissionner de son siège de Fribourg, cette promotion sonne comme un dernier déplacement, une sorte de nouvel exil. Après à peine plus d’un an à Rome, Mermillod le batailleur meurt le 24 février 1892, à l’âge de 67 ans. En 1926, sa dépouille est rapatriée dans son église natale de Carouge. (cath.ch/mp)
Un prince de l’Eglise?
«L’Eglise de Rome compte un prince de moins et ce prince était genevois». Avec un sens aiguisé de la formule, la Tribune de Genève annonce la mort du cardinal Mermillod le 24 février 1892. Le torrent d’hommages et d’opprobres qui déferle dans la presse illustre bien le caractère clivant du personnage et les tensions religieuses persistantes.
‘Son’ journal Le Courrier de Genève salue «un des hommes de notre temps le plus connu dans le monde. L’apôtre le plus abondant, le plus répandu, le plus populaire.» «Dieu l’a trouvé mûr pour la couronne promise à ses vaillants serviteurs», entonne La Liberté. Le journal fribourgeois va jusqu’à la surenchère: «la cité de Calvin est devenue la cité de Mermillod.» Le Figaro à Paris rappelle que le «fougeux et batailleur Mermillod était en réalité le plus aimable des hommes.»
Des qualités que la presse radicale ne peut pas lui nier mais qui regrette qu’il les ait utilisées à si mauvais escient. «Nous regrettons qu’il ne soit pas né ailleurs, chez une nation où les aptitudes de son esprit et la sincérité de ses opinions se seraient développées librement au lieu de se mettre fatalement en révolte contre les institutions de son pays», souligne le Journal de Genève. »Il était prêtre romain avant d’être citoyen.» «Mermillod n’a jamais compris que Genève ne pouvait pas revenir trois siècles et demi en arrière», tranche la Gazette de Lausanne.
Dans le contexte fribourgeois, Le Confédéré dénonce «les larmes de crocodile». «On sait ici (…) que les petites tribulations du gouvernement fribourgeois ont écœuré les dernières années de M. Mermillod. (…) et les lamentations ne trompent que les naïfs.»
Ramener les protestants au vrai bercail
Le testament du cardinal, publié le 28 février, semble presque donner raison à ses détracteurs. Gaspard Mermillod revient sur les trois éléments marquants de sa vie: l’honneur d’avoir pu donner son ‘placet’ à la définition du dogme de l’infaillibilité pontificale, son désir d’amener «mes chers frères protestants, mon bien aimé pays de Genève, à l’unité du seul vrai bercail, sous le seul vrai Pasteur» et la résistance des prêtres de Genève qui «ont préféré subir la spoliation, la perte de leur traitement, l’expulsion de leurs églises et de leurs demeures plutôt que de trahir la foi.» MP
Maurice Page
Portail catholique suisse
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