Francesco Papagni pour kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Les archives secrètes du Vatican, rebaptisées archives apostoliques par le pape François, sont un lieu qui stimule l’imagination. Ce qui est estampillé «secret» suscite toujours la curiosité. Pourtant, jusqu’au XIXe siècle, le terme «secret» signifiait simplement «privé». Les archives secrètes ne sont finalement rien d’autre que les archives privées du pape.
L’archiviste en chef, Mgr Sergio Pagano, est un homme discret. Il a l’habitude de refuser toute demande d’interview. Mais récemment, le vaticaniste italien Massimo Franco a réussi à gagner sa confiance. Le fruit en a été un livre intitulé Secretum (éditions Solferino, Milan, 2024), uniquement disponible en italien. Dans ce long entretien, il est question de l’histoire complexe des archives, qui ont survécu à plusieurs tempêtes de l’histoire. Le livre évoque également les documents conservés, sur lesquels Mgr Pagano fait quelques observations remarquables.
La «mémoire d’éléphant» (Edmund Arens) de l’Église catholique, avec ses 2000 ans d’histoire, est entreposée dans les archives apostoliques. On y trouve notamment les documents rédigés par les papes, ainsi que les archives privées de nombreuses familles nobles qui étaient et sont toujours liées à la Curie. A Rome, ces familles sont appelées «l’aristocratie noire». Leurs fils ont occupé pendant des siècles des postes importants dans l’Église, c’est pourquoi ces archives sont particulièrement intéressantes.
La tâche des archivistes est de mettre de l’ordre dans cette mer de documents. Il s’agit d’abord de trier l’énorme matériel et d’établir des listes d’inventaire. Sans un inventaire fiable, les archives n’ont aucune valeur. Mgr Pagano ne cache pas sa fierté pour le travail accompli par lui et son équipe depuis des décennies. Les archives apostoliques sont classées de manière à ce que les chercheurs du monde entier puissent consulter les documents. En ce moment, par exemple, un groupe de chercheurs réunis autour du célèbre historien de l’Église Hubert Wolf (prêtre et professeur à l’Université de Münster) se penche sur le pape Pie XII et sur son rôle pendant la Seconde Guerre mondiale.
Comme il a été dit, Sergio Pagano est un homme discret. Nombre de ses déclarations sont diplomatiques et nuancées. En tant que chef des documents ecclésiastiques, il est régulièrement sollicité pour donner son avis d’expert dans les procédures de canonisation. Dans le livre de Massimo Franco, ce sujet le fait sortir de sa réserve et réaliser des déclarations étonnantes.
«Autrefois, l’Église laissait s’écouler des décennies au moins entre la mort de la personne et la proclamation de sa sainteté»
Sous le pontificat de Jean Paul II – alors qu’il était déjà en fonction – le nombre de canonisations a augmenté de manière spectaculaire. Lors de ses voyages, le pape polonais voulait à chaque fois proclamer de nouveaux saints issus des pays visités. Massimo Franco lui demande s’il n’y a pas eu des pressions pour conclure les procédures. Sergio Pagano, qui ne siège pas formellement dans la congrégation concernée, mais qui est bien sûr parfaitement informé, répond par la négative: «Il n’y a jamais eu de pression de la part du pape. Mais personne à la Curie ne voulait le décevoir. Même sans instruction formelle, les procédures ont été accélérées.»
Mgr Pagano est un conservateur. Le fait qu’il soit désormais inscrit «frères et sœurs» au lieu de «frères» dans l’adresse des lettres de Paul est un pas par trop moderniste pour lui. Mais c’est un homme consciencieux, doté d’une grande éthique professionnelle: il s’assure en tout temps que les documents soient examinés de manière approfondie et complète. Une tâche extrêmement chronophage, mais qui n’est pas possible dans le cas de procédures de canonisation rapides, ce qui contrarie beaucoup l’archiviste. Autrefois, l’Église laissait s’écouler des décennies au moins entre la mort de la personne et la proclamation de sa sainteté. Cela pour une bonne raison: ce n’est qu’avec le temps que les faits défavorables apparaissent au grand jour.
«Pie XII n’aborde pas ce que les juifs ont vécu»
Le cas de Karol Wojtyla n’est pas cité, la gloire de ce pape étant trop considérable. Mais le slogan «Santo subito», prononcé dès ses funérailles, pose question. Il faut parfois résister à la pression du peuple de l’Église. L’archiviste indique que de nombreuses communautés et mouvements spirituels souhaitent que leur fondateur ou leur fondatrice soit canonisés. Certains d’entre eux sont influents et atteignent cet objectif étonnamment rapidement. Mgr Pagano est trop diplomate pour citer des noms. Au cours des dernières décennies, des cas éminents sont survenus.
En ce moment, il n’y a pas d’affaire plus délicate en matière de canonisation que celle de Pie XII, dont le pontificat coïncide avec la période de la Seconde Guerre mondiale. La procédure est en cours, mais semble être réduite à sa plus simple expression. Le pape François n’est manifestement pas intéressé par la canonisation d’Eugenio Pacelli (1876-1958).
Mais le débat historique est en cours, d’autant plus que les documents de l’époque de la guerre sont désormais consultables dans les archives apostoliques. Le groupe de chercheurs autour de Hubert Wolf y travaille. Le pape Pie XII a-t-il fait tout ce qui était humainement possible pour sauver les juifs? Aurait-il pu en faire plus? Des questions qui préoccupent beaucoup de monde. Mgr Pagano fait remarquer que le silence a commencé bien avant l’arrivée des nouvelles sur l’Holocauste.
Début août 1939, alors que la guerre est déjà en cours, Pie XII prononce un discours mémorable: tout est gagné avec la paix, tout est perdu avec la guerre, dit-il. Lorsque l’Allemagne nazie envahit la Pologne le 1er septembre 1939, le pape est pressé de condamner l’agresseur. Après tout, les Polonais catholiques sont ses protégés. Mais Pie XII reste silencieux sur le sort des juifs.
Mgr Pagano mentionne encore un autre événement, que seul un archiviste pontifical peut connaître: quelques semaines après la fin de la guerre, un groupe de survivants de l’Holocauste se présente à l’audience. Le pape ne trouve que des mots généraux pour eux. Il n’aborde pas ce qu’ils ont vécu. Les survivants de l’Holocauste sont déçus. Cela donne une image peu flatteuse du pape Pie XII. Un saint aurait sans doute réagi différemment. (cath.ch/kath/fp/rz)
Raphaël Zbinden
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