Traitement des abus en Église: une mise en œuvre complexe

Un an après la sortie du rapport préliminaire sur les abus sexuels dans l’Eglise en Suisse, où en sont les promesses de réformes annoncées? Si la conviction et la volonté des divers acteurs sont bien présentes, la mise en œuvre se heurte à des défis complexes.

1. Mise en place d’une instance indépendante pour les abus sexuels

Ces vingt dernières années, les institutions ecclésiales ont instauré leurs propres services à l’intention des victimes d’abus sexuels. Dans les diocèses, des structures de signalement et d’aide ont été créées. Mais elles s’avèrent insuffisantes à plusieurs égards: manque de compétences spécialisées, manque d’indépendance vis-à-vis de l’autorité ecclésiale, absence de séparation entre le signalement d’abus et l’aide aux victimes, etc.

La diversité des langues, des cultures, des capacités financières et des structures ecclésiales ne facilite pas cette tâche. Le ‘fédéralisme’ de l’Église suisse n’est pas très agile car les régions et cantons jouissent d’une grande autonomie.

Collaboration avec les centres LAVI

Afin de pouvoir offrir aux victimes la meilleure aide et le meilleur soutien possible, les instances ecclésiales ont cherché à trouver un accord avec la Conférence suisse de l’aide aux victimes (CSOL-LAVI) et la Conférence des directeurs cantonaux des affaires sociales (CDAS). La direction de projet a entamé des discussions avec la CDAS fin 2023. Le concept a été présenté et discuté au sein de la CSOL-LAVI début avril 2024. Le principe de cette collaboration est aujourd’hui avalisé par tous les partenaires, a confirmé à cath.ch Roland Loos, président de la Conférence centrale catholique romaine de Suisse (RKZ). Reste à établir et à signer les diverses conventions.

Lausanne le 14 décembre 2023. Roland Loos, président de la RKZ | © Bernard Hallet

La RKZ a approuvé le 4 septembre le financement de ce dispositif d’accueil. Celui-ci devrait voir le jour à partir de janvier 2025. Actuellement déjà, les personnes concernées par des violences sexuelles au sein de l’Église catholique peuvent faire appel aux centres LAVI cantonaux. Cependant, les services publics manquent souvent de connaissances sur les structures de l’Église. De même, ils ne disposent pas de suffisamment de personnel pour prendre en charge les cas supplémentaires.

C’est là que la Conférence centrale va intervenir avec son plan de financement. Elle versera un forfait par cas à l’association d’aide aux victimes concernée, afin de couvrir le surcroît de travail nécessaire à leur traitement.

En outre, la Conférence centrale créera un centre d’information national en collaboration avec la Conférence des évêques suisses et la KOVOS, l’organisation faîtière des communautés religieuses. Celui-ci fournira son expertise ecclésiale aux centres de consultation pour victimes.

Les instances diocésaines seront maintenues. Elles sont appelées à harmoniser leur pratique en se basant sur des normes communes, indique en outre Roland Loos. Par contre, la création d’une structure de signalement ecclésiale nationale n’est pas envisagée pour l’heure.

2. Protection des archives

Tous les évêchés, ainsi que toutes les Églises cantonales ont signé un engagement par lequel ils déclarent renoncer à détruire les documents en lien avec des cas d’abus ou documentant leur gestion. Du côté des communautés religieuses, le recueil des signatures n’est en revanche pas encore acquis. Les manques concernent principalement des communautés féminines ne comptant que quelques religieuses âgées, a priori peu touchées par la question des abus sur mineurs.

3. Normes pour les dossiers personnels et l’échange d’informations

Il n’existe pas à ce jour d’échange institutionnalisé d’informations entre les diverses instances ecclésiales chargées des engagements du personnel. L’objectif est donc que les dossiers personnels documentent, dans le respect des dispositions légales, toutes les informations concernant la question des abus sexuels. Toutes les instances devront veiller à obtenir et transmettre les informations utiles, en cas de changement de poste ou d’engagement.
Le groupe de travail national a confié à une entreprise spécialisée un mandat visant à dresser un état des lieux exhaustif. Après une analyse de la situation, des normes pour la tenue des dossiers personnels seront élaborées d’ici décembre 2024 et introduites en 2025.

Le psychologue Marco Tuberoso, en 2019, lors d’un atelier sur la prévention des abus sexuels, dans le diocèse de Sion | © Bernard Hallet

4. Prévention

En matière de prévention, la mise en place d’entretiens psychologiques menés dans le cadre de la formation des prêtres et d’autres travailleurs en Église est projetée, avec, là encore, l’appui d’experts extérieurs. A noter que les diocèses ont déjà élaboré leur politique de prévention qu’il s’agit surtout d’améliorer et de professionnaliser. Les diocèses de Sion, Lausanne, Genève et Fribourg, ainsi que de Lugano ont par exemple rendu obligatoires les formations à la prévention des abus sexuels.

5. Indemnisation des victimes et poursuite de l’étude

Les financement du fonds d’indemnisation des victimes est assuré. Celui de l’étude principale sur les abus de l’Université de Zurich a été voté.

6. Tribunal pénal canonique national

Le gros chantier du tribunal canonique national doit être négocié avec Rome. La création de ce tribunal doit garantir une plus grande indépendance, pour éviter la partialité, les conflits de loyauté qui existent lorsque l’évêque est juge et partie. Une instance nationale pourrait également aborder les questions qui se posent, par exemple à propos de la réintégration d’un prêtre en cas de prescription, de non-lieu, etc.

Mgr Gmür, président de la CES, et Mgr Bonnemain se sont entretenus avec le pape sur la question des abus sexuels | © Vatican Media

Le président de la CES, Mgr Felix Gmür, et le responsable thématique, Mgr Joseph Bonnemain, ont mené fin 2023 des premiers entretiens avec le pape et les autorités compétentes à Rome. Début mai 2024, un entretien a eu lieu avec le Tribunal suprême de la Signature apostolique à Rome afin de déterminer la marge de manœuvre offerte par la législation de l’Église universelle. Roland Loos attend des progrès dans cette démarche dès cet automne. Le cas échéant, la RKZ pourrait participer à son financement. (cath.ch/mp)

Maurice Page

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