Plus que jamais, ce petit billet se veut une page de blog, c’est-à-dire un écrit contextuel, imparfait (comme tous nos écrits), inabouti même, et voulant susciter la discussion.
Je passe quelques jours à Rome pour un colloque. Cette ville est fascinante à plus d’un titre. Fascinante par son ambiguïté pour un chrétien d’obédience «catholique romaine» qui cherche son Seigneur, qui rencontre ici nombres d’autres sœurs et frères dans la même quête, mais qui est confronté en même temps à l’omniprésence des églises et de leurs volumes gigantesques, de leurs colonnes majestueuses mais aussi écrasantes ou encore de leurs baldaquins triomphalistes, comme celui du Bernin à St-Pierre qui semble fermer l’élévation du regard et faire redescendre celui-ci vers le jeu rituel formalisé à l’extrême que des humains exclusivement masculins déploient en dessous.
L’architecture, la convergence des touristes/pèlerins et des croyants du monde entier, créent une atmosphère qui donne immanquablement l’impression d’être au centre de quelque chose. Mais au centre de quoi?
«Penser l’Église est un exercice difficile»
Alors, et presque à chacune de mes visites ici, se rappelle à moi le malaise de cette ambiguïté. En tant que catholique, je suis formaté pour penser Rome comme centre. La confrontation à la réalité romaine architecturale, mais trop souvent aussi humaine, me rappelle que si je suis dans un centre administratif d’une communauté ecclésiale singulière, je ne suis pas plus et plutôt moins qu’en bien d’autres endroits du monde, proche du «centre» qui définit mon appartenance ecclésiale.
Questionner le statut de cette centralité me rappelle une notion importante pour penser les communautés en éthique sociale, celle des ensembles flous. Ce sont des ensembles qui n’ont pas de frontière nette (comme une nappe de brouillard ou le fait d’habiter près de la mer). L’appartenance n’est pas définie en mode binaire (dedans/dehors), mais elle peut être d’intensité variable et se dit dans le rapport et la résonance plus ou moins grands à un centre (ainsi les sympathisants d’un parti politique, inscrits ou non inscrits dans ce parti).
Penser l’Église est un exercice difficile. Dans sa complexité, celle-ci se dit à la fois comme un ensemble à bords nets dans lequel on entre par le baptême, et en même temps comme un ensemble flou, c’est-à-dire un espace pour lequel la logique humaine des séparations et des frontières ne fonctionne pas. Il est en effet impossible de circonscrire en un lieu l’agir salvifique divin ni même d’en comprendre le fonctionnement.
«Dans une logique floue, l’appartenance à l’Église va être dépendante du rapport à son centre»
Cette logique floue est une logique inconfortable parce qu’elle fait disparaître la séparation rassurante entre ceux qui sont dedans et ceux qui sont dehors. Elle nous force à chercher non pas un critère formel d’appartenance à une communauté ecclésiale humainement définie, mais à discerner notre place dans la communauté de la grâce, à nous focaliser sur le centre dense (Trinité) à partir duquel la grâce se communique et suscite des communautés dans des lieux les plus inattendus.
Revenons à Rome. Est-elle le centre de l’Église? Poser la question de cette manière, et oser répondre oui, c’est identifier l’Église de Jésus-Christ à l’église catholique romaine dans son fonctionnement mondain. Certains l’ont malheureusement fait. On ose espérer être sorti de ce radicalisme ecclésial même si parfois des doutes subsistent.
Dans une logique floue, l’appartenance à l’Église va être dépendante du rapport à son centre ou plus exactement dit à son cœur. Mais Rome n’est pas ce centre-là! Elle ne peut être que parmi d’autres une médiatrice non obligatoire de notre mise en résonance personnelle et communautaire avec Celui qui nous invite tous, pauvres estropiés et boiteux, même ceux qui n’ont pas la carte du parti, à entrer dans la salle du festin (Lc 14,13).
Thierry Collaud
4 septembre 2024
Portail catholique suisse
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