Beat Jans: «Le message des Églises ne s'arrête pas aux frontières.»

Le Conseiller fédéral Beat Jans loue les Églises pour leur engagement en faveur des personnes en fuite. Néanmoins, «je suis aussi ministre de la justice et je dois faire appliquer les lois», dit-il. Le socialiste bâlois, même s’il se déclare sans confession, avoue avoir besoin de temps en temps d’un service religieux pour «se retrouver».

Regula Pfeifer, kath.ch / traduction adaptation Maurice Page

Vous avez assisté à un service religieux avec des requérants d’asile le 24 août 2024 à Seewis (GR). Qu’en retirez-vous ?
Beat Jans*: Je l’ai trouvé très beau. Les moments de réflexion et de méditation sont importants pour tout le monde. Même pour ceux qui ont un agenda serré. Moi aussi, j’en ai besoin pour me retrouver de temps en temps. Ce service religieux m’a fait du bien. J’ai été particulièrement impressionné par les témoignages des personnes qui vivent au centre de renvoi de Flüeli. La situation dans laquelle ils se trouvent est très difficile. Cela montre qu’il faut continuer à travailler sur notre système d’asile.

Que voulez-vous dire concrètement?
Je ne suis pas là pour faire des promesses. Et je ne peux pas non plus résoudre des cas individuels. Je dois faire le point et voir où se situent les problèmes. Si quelqu’un se trouve dans un centre de renvoi et ne peut donc pas travailler, mais ne peut malgré tout pas être expulsé parce qu’il n’a pas de papiers – et ce pendant des années voire des décennies – quelque chose ne va pas. Ces personnes sont condamnées à la pauvreté et à l’isolement. C’est cela qu’il faut regarder.

Vous avez été en contact direct avec des demandeurs d’asile déboutés. Comment l’avez-vous vécu?
Le contact avec les gens – avec les réfugiés comme avec la population suisse – est très important pour moi. Cela me permet de connaître leur réalité. Je souhaite avoir de telles rencontres dans mon travail politique, afin de savoir de quoi il s’agit lorsque je prends des décisions. Dans toute forme de politique, il ne s’agit pas seulement de chiffres. Il y a toujours des personnes derrière. Les bonnes décisions, y compris au Parlement, doivent pouvoir répondre à ces questions humaines.

Vous contacte-t-on pour des décisions concrètes en matière d’asile?
En effet, je suis régulièrement confronté à des cas individuels, bien que, selon la loi, le SEM (Secrétariat d’État aux migrations) soit compétent pour les décisions d’asile. Les personnes des organisations bénévoles qui s’occupent des réfugiés s’engagent vraiment pour trouver des solutions. J’apprécie cette démarche.

«Le message évangélique des Eglises ne s’arrête pas à la frontière nationale».

Comment voyez-vous le rôle des Églises dans les questions d’asile?
Les Églises s’engagent beaucoup. L’événement de Seewis en est un exemple typique. Le message évangélique des Eglises ne s’arrête pas à la frontière nationale. Il s’applique à tous les êtres humains, d’où qu’ils viennent. Je tiens à remercier les Églises de prendre au sérieux cet engagement. Les personnes qui ont fui ont parfois vécu des choses terribles. Les Églises les aident en les écoutant et en leur offrant un sentiment de sécurité. Les gens peuvent ainsi mieux gérer leur souffrance.

Quelle est l’importance des Églises pour la société?
L’engagement civil – auquel participent également les Églises – est au moins aussi important pour les gens que les lois et la politique. Lorsque les gens se sentent seuls, ont des soucis, mais aussi lorsqu’ils recherchent la communauté, la joie et l’espoir, la politique ne peut les aider que de manière limitée. Il faut alors des institutions comme les Églises, qui sont bien plus à même de le faire parce qu’elles sont en contact humain direct. Et parce qu’elles peuvent transmettre des valeurs qui apportent l’espoir et font du bien à l’âme. Nous en avons tous besoin.

Le Conseiller fédéral Beat Jan en discussion avec Isabel Vasquez de Migratio | Regula Pfeifer

L’association Miteinander Valzeina, qui a coorganisé la manifestation, critique certains aspects du système d’asile. Par exemple, le fait que les personnes dans les centres de renvoi n’aient pas le droit de travailler, qu’elles soient isolées, etc.
Si les gens ont besoin de protection, ils doivent l’obtenir et devenir utiles le plus rapidement possible dans notre société, donc aussi travailler. C’est ma conviction. Mais je suis aussi ministre de la Justice et je dois faire appliquer les lois en vigueur. Cela fait partie de notre système démocratique.

«En tant que ministre de la Justice, je dis: nous n’acceptons pas la criminalité.»

Et que dites-vous en tant que ministre de la Justice?
Je dis: nous n’acceptons pas la criminalité ici. Et les centres d’asile sont là pour héberger les demandeurs d’asile et pour mener les procédures d’asile. Ce ne sont pas de simples lieux d’hébergement.
Chez nous, l’asile est accordé à ceux qui sont persécutés politiquement ou religieusement dans leur pays et dont la vie et l’intégrité corporelle sont menacées. Mais il y a toujours des gens qui essaient d’en profiter et qui déposent des demandes d’asile sans espoir de succès. Cela a conduit à de longues listes de demandes en suspens et à des goulots d’étranglement en matière d’hébergement. Ici, j’ai pris des mesures qui sont parfois considérées comme un durcissement. Mais je les considère comme nécessaires pour pouvoir offrir rapidement une protection aux personnes réellement persécutées.

«Des voix critiques, comme celle de l’association ‘Miteinander Valzeina’, sont importantes»

Que pensez-vous des ONG qui critiquent la politique d’asile? Sont-elles un obstacle pour vous?
Non, au contraire. Il faut que ces voix s’élèvent pour dire que ces personnes méritent une décision juste, qu’elles sont exposées à des dangers et à des souffrances si on les renvoie éventuellement chez elles. Ces voix sont très importantes. Je cherche le dialogue avec elles. Et j’espère qu’elles interviendront dans le débat politique aussi fort que celles qui ne parlent que d’abus et de criminalité en rapport avec l’asile. Le débat politique a besoin d’une analyse complète. Ce n’est qu’ainsi que nous pourrons trouver de bonnes solutions. (cath.ch/kath.ch/rp/mp)

*Le socialiste bâlois Beat Jans a été élu au Conseil fédéral le 13 décembre 2023 pour succéder au Fribourgeois Alain Berset. Il a repris la tête du Département fédéral de justice et police depuis le 1er janvier 2024.

Maurice Page

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