Mgr Georges Bacouni, archevêque grec-catholique (melkite) de Beyrouth, fut précédemment évêque de Tyr au sud-Liban de 2005 à 2014 et de Haïfa au nord d’Israël de 2014 à 2018, ce qui en fait une des personnalités religieuses les plus compétentes pour parler d’une possible nouvelle guerre qui menace aujourd’hui son pays, et du conflit entre le Hezbollah et l’État juif.
Luc Balbont pour cath.ch, à Beyrouth
Le spectre d’une nouvelle guerre totale entre le Hezbollah et Israël plane sur le Liban depuis le 7 octobre 2023…
Mgr Georges Bacouni: Les Libanais sont habitués au pire depuis leur indépendance: conflits divers, guerre civile de quinze ans jusqu’en 1990, deux occupations étrangères, israélienne jusqu’en 2000 et syrienne jusqu’en 2005. Je suis né à Ain el Roumaneh en 1962, la ville où la guerre civile a débuté en 1975. J’ai vécu ces affrontements entre nos différentes communautés, chrétiennes, musulmanes et druzes.
Après une période plutôt calme de quelques années, nous avons été frappés à partir de 2019 par une crise économique terrible qui touche aujourd’hui de plein fouet toute la société libanaise, une explosion du port de Beyrouth en 2020, qui a détruit un tiers de la ville, et depuis octobre 2023, ces bombardements israéliens sur le Liban-sud qui poussent les populations à fuir vers le nord du pays. Sans compter les problèmes posés par l’afflux d’émigrés syriens de plus en plus nombreux dans notre pays (*1).
Alors cette guerre à distance, par bombardements réciproques, entre le Hezbollah et l’armée israélienne qui frappe le sud de notre pays depuis octobre, ne représente qu’un épisode dramatique supplémentaire à notre quotidien. Une succession de tragédies qui n’empêche pas les Libanais de vivre, de penser, de créer, d’agir, d’aimer, et de rester un peuple debout malgré tout.
Vous semblez ne pas croire à une guerre totale entre le Hezbollah et l’État israélien, et à une nouvelle incursion de l’armée israélienne sur le territoire libanais?
Ce conflit n’a pas commencé le 7 octobre 2023, comme l’affirme la propagande israélienne, mais en 1948, avec la prise de possession de territoires et de villages arabes par l’armée israélienne. Il dure depuis cette date. Les bombardements vont perdurer, s’amplifier parfois, mais je ne crois pas à une guerre totale entre les deux pays, et à une nouvelle occupation de notre territoire par les Israéliens. Et même si un cessez-le-feu était conclu demain, il faudra beaucoup de temps pour oublier cette guerre, ses rancœurs et ses morts.
Le sud-Liban, que je connais bien, comme ancien évêque de Tyr, va continuer à vivre dans l’angoisse. Subir le délabrement de ses récoltes, ravagées, polluées, invendables. De voir ses écoles fermées et ses villages se vider, mais il n’y aura pas d’occupation israélienne comme il y en a eu par le passé. Ce n’est pas l’intérêt des puissances dominantes, Amérique, Europe, Émirats sunnites et Iran chiite, d’avoir à leurs côtés un Liban envahi et occupé.
«Même si un cessez-le-feu était conclu demain, il faudra beaucoup de temps pour oublier cette guerre, ses rancœurs et ses morts.»
Vous avez été évêque de Tyr au sud Liban, puis de Haïfa, en Israël, quel regard portez-vous sur ces deux pays?
J’ai été évêque de ces deux diocèses et non de ces deux pays. De Tyr, au sud, où j’ai vécu de 2005 à 2014, je garde un souvenir superbe. Une ville agréable, bordée par une mer Méditerranée magnifique avec des habitants qui semblaient tranquilles et heureux. D’Haïfa, au nord d’Israël, je me souviens d’une ville ouverte, où juifs et arabes coexistaient en paix. Une cité à l’époque tolérante, où la religion baha’ie (*2), chassé par le régime islamique iranien, avait reconstruit son temple, qui dominait toute la ville.
Georges Bacouni, né le 16 mai 1962 à Aïn al-Roummaneh (Beyrouth) au Liban, est un prélat de l’Église grecque-catholique melkite, archevêque de Beyrouth et Jbeil des Melkites depuis 2019. Après des études de comptabilité et de droit et une courte carrière dans la banque, il entre au séminaire en 1990. Il est ordonné prêtre le 30 juillet 1995 puis évêque le 27 novembre 2005. Il a été évêque de Tyr au sud-Liban de 2005 à 2014 et de Haïfa au nord d’Israël de 2014 à 2018 et archevêque de Saint-Jean-d’Acre des Melkites de 2014 à 2018.
«Dieu nous a donné la terre» soutiennent les colons juifs, en face le Hamas à Gaza et le Hezbollah au Liban affirment que Dieu a fait du prophète Muhammad son dernier envoyé, et que cette Terre qualifié de Sainte est musulmane. Deux concepts religieux s’affrontent … Pour une paix durable, une solution politique n’est-elle elle pas préférable à une solution religieuse?
La foi est importante. C’est une raison de vivre. Elle donne une morale à l’homme, un comportement éthique, un sentiment de paix et d’épanouissement. La foi c’est d’abord une relation intime de l’être humain avec Dieu, qui conduit à une paix intérieure individuelle. Mais pour trouver une solution collective à un conflit comme celui qui oppose le Hezbollah à Israël, il faut des rencontres et des discussions. Trouver des compromis. En 1993, les accords d’Oslo, qui prévoyaient la création d’un État palestinien furent signés par le Palestinien Yasser Arafat et l’Israélien Yitzhak Rabin, après des pourparlers politiques sous l’égide des États-Unis.
«Pour trouver une solution collective à un conflit comme celui qui oppose le Hezbollah à Israël, il faut des rencontres et des discussions. Trouver des compromis.»
Souvenez-vous de cette photo: Arafat, Rabin, et Clinton, alors président des États-Unis se congratulaient pour saluer l’accord. Le cliché avait fait le tour du monde. Hélas, cette promesse d’un État Palestinien n’a jamais vu le jour. Rabin a été assassiné par un ultranationaliste juif (*3), en novembre 1995. Et depuis son retour au pouvoir, Netanyahou et ses alliés extrémistes ont tout fait pour empêcher la création d’un État palestinien, qui aurait pourtant changé bien des choses.
Juifs religieux extrémistes religieux, d’un côté et islamistes du Hamas de l’autre. Les partis religieux sont aux commandes…
Il y a du côté juif des voix qui dénoncent pourtant les injustices de l’actuel gouvernement. Des penseurs juifs qui condamnent l’attitude négative des responsables Israéliens qui, depuis des décennies ne respectent pas les résolutions de l’ONU, demandant la libération des territoires palestiniens. Si l’attaque du Hamas du 7 octobre est injustifiable et condamnable, comment qualifier alors la riposte de l’armée israélienne qui, depuis bientôt une an, dans ses opérations de représailles, a tué plus de 40’000 Palestiniens, certainement plus, dont la moitié de femmes et d’enfants? Le meurtre d’un innocent est grave et contraire à la dignité humaine, le cinquième commandement du Décalogue «tu ne tueras pas» est un interdit capital.
L’Europe et les États-Unis continuent à affirmer «qu’Israël a le droit de se défendre». En face, les pouvoirs arabes sunnites ne se mobilisent guère en faveur des Palestiniens…
Les pouvoirs sans doute, mais pas les opinions publiques. Des citoyens égyptiens, jordaniens, algérien et marocains descendent dans les rues du Caire, d’Amman, de Rabat ou d’Alger, pour protester contre Israël.
«Cette attaque modifie notamment l’image d’Israël dans le monde, en rétablissant une part de vérité plus conforme à la réalité.»
L’attaque du Hamas, et la riposte d’Israël qui s’en est suivies semble avoir changé le regard et l’opinion du monde sur le problème palestinien.
Cette attaque modifie notamment l’image d’Israël dans le monde, en rétablissant une part de vérité plus conforme à la réalité. On se rend compte que l’État hébreu, qui passait pour un petit État démocratique luttant pour protéger les libertés et les droits humains dans le monde, peut être capable du pire… (cath.ch/lbo/bh)
(*1) Entre 1 et 2 millions de refugiés syriens, selon les sources, sur une population totale de 5,5 millions de Libanais.
(*2) Religion nouvelle fondée en 1863 par le Persan Mirza Hussayn-Ali , qui affirme l’unité spirituelle de l’humanité.
(*3) Yigal Amir, un extrémiste israélien, le 4 novembre 1995.
Hezbollah- Israël, histoire d’un conflit permanent
Le Hezbollah a été fondé en 1982, après l’opération «Paix en Galilée», alors qu’Israël venait d’envahir le Liban pour lutter contre les combattants de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) qui s’y était installée depuis le début des année 1970. Le Hezbollah s’appelait alors «Amal islamique.» Soutenu par le régime iranien de l’ayatollah Khomeini, le Hezbollah proclame notamment dans sa charte fondatrice que sa «lutte ne prendra fin que lorsque cette entité, Israël, sera éliminée.»
Ce n’est qu’à partir de 1985, que le terme ‘Hezbollah’ (Parti de Dieu) est adopté officiellement. Hassan Nasrallah, en prend la tête. Le 25 mai 2000, après 22 ans d’occupation, Israël se retire du Sud-Liban. Ce retrait est une consécration du Hezbollah dans le monde arabe.
Pendant plusieurs années, les confrontations entre le Hezbollah et Israël se limitent à des actes isolés, ou à des opérations de courtes durées en territoire libanais, jusqu’à l’attaque du Hamas sur le sol israélien, le 7 octobre 2023. 1200 Israéliens sont tués, et plus de 200 civils et soldats sont faits prisonniers. En représailles, Israël bombarde dès le lendemain la bande de Gaza.
En soutien au Hamas, le Hezbollah envoie ses premières roquettes sur le nord d’Israël. L’armée israélienne opère des tirs d’artillerie et des frappes de drones sur des positions du Hezbollah dans le sud Liban. LB
Rédaction
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