«Comme auteur et comme acteur, je m’intéresse aux personnages qui peuvent donner du sens à nos vie et à notre monde», explique Jean Winiger. Après avoir incarné, parmi bien d’autres, le général Dufour, le général Guisan, Nicolas de Flüe et plus récemment Charles de Foucauld, le comédien se met dans la peau du capucin fribourgeois Antoine-Marie Gachet missionnaire chez les Indiens d’Amérique.
Lors de sa mission de cinq ans dans l’État américain du Wisconsin,de 1857 à 1862, le religieux doué d’un esprit très curieux a fait un travail ethnographique remarquable en s’intéressant à la langue, aux coutumes, à l’artisanat de la tribu des Menominies. Bien que missionnaire soucieux d’évangélisation, Gachet se montre respectueux de la culture indigène, relève Jean Winiger. «Il est très conscient qu’on ne peut pas convertir par la force mais qu’il faut d’abord comprendre la vie des gens pour éventuellement les convertir.»
Pour cerner le personnage, Jean Winiger s’est plongé dans son ouvrage Cinq ans en Amérique. Journal d’un missionnaire. Dans ce livre de 600 pages, Antoine Marie Gachet relate avec minutie et un talent littéraire certain ses découvertes qu’il agrémente de nombreux dessins. Paru d’abord sous forme d’épisodes successifs dans la Revue de la Suisse catholique de 1882 à 1889 puis publié en 1890, mais pas réédité depuis, ce témoignage permet d’approcher les civilisations autochtones d’Amérique.
A partir de cette matière brute, Jean Winiger a rédigé un monologue pour raconter l’histoire du capucin fribourgeois.
Il commence par le portrait des ‘Yankees,’ que le missionnaire, avec un humour mordant, n’épargne pas. Il sont lourds, sales, grossiers préoccupés de leur seul profit (Times is Money) et de la chasse aux Indiens.
Gachet sait quitter ses certitudes pour chercher la source , pour trouver une présence dans le monde qui l’entoure. «Il sait regarder et voir. Il ne s’offusque pas. Il essaie de comprendre, d’ouvrir des portes. Il n’est pas obsédé par le péché de la chair comme pouvait l’être le clergé de cette époque.»
La religion des Folles-Avoines
«Il serait difficile de rédiger le symbole de leurs croyances. Nous nous trouvons en face de trois idées religieuses principale: celle du Grand Esprit , souverain seigneur de toutes choses (…); l’idée d’esprits subordonnés, plutôt mauvais que bons et dont il faut conjurer l’influence pernicieuse; et enfin l’idée d’une vie heureuse au-delà de la tombe pour tous ceux qui auront bien vécu et d’un état de souffrance qui attend dans la vie à venir ceux qui auront fait le mal. Nous pouvons conclure de ces données que la religion des Folles-Avoines consiste essentiellement dans le déisme, et un déisme qui semble ouvrir la porte au christianisme.»
Antoine-Marie Gachet in Cinq ans en Amérique
Le missionnaire fribourgeois s’intéresse d’abord à la langue des Indiens. alors que la plupart des missionnaires recourent à des interprètes, il est capable, au bout d’un an, de prêcher dans leur langue. Il publie dans la foulée une grammaire de l’algonquin. «Il avait parfaitement compris que la langue est le premier support de la culture.»
Pour Jean Winiger, le message d’Antoine-Marie Gachet peut aussi toucher les contemporains, y compris les non-chrétiens. Dans sa série de personnages, le Père Gachet se situe entre Charles de Foucauld et l’abbé Maurice Zundel que le comédien incarnera en 2025. «Tous les trois sont des philosophes et des théologiens, mais aussi des scientifiques curieux et passionnés par la découverte.»
Jean Winiger a aussi retenu la conclusion assez visionnaire du capucin qui évoque la rencontre des trois fleuves de civilisation noir, blanc et jaune. Il prédit l’invasion chinoise d’une grande partie de la planète. Il s’interroge sur la disparation de la société chrétienne: Préservera-t-elle ses principes éternels?
La lecture de Jean Winiger se fera dans le cadre et les locaux de Pro ethnographica au Marly Innovation Center (MIC). Créée en 2014, cette association d’intérêt public a hérité des collections ethnographiques de l’Université et de l’Etat de Fribourg. Elle s’est donné pour tâche de rassembler, d’inventorier et de conserver ces quelque 2’000 objets en provenance des cinq continents ramenés à Fribourg entre 1824 et 1960, le plus souvent par des missionnaires. Après avoir été hébergés au Château de Bulle, ces colletions ont trouvé en 2024 un nouvel abri au MIC. Outre leur valeur artistique et historique, certains de ces objets ont aussi une forte valeur marchande, précise Hans Werhonig. L’ancien président de Pro Ethnographica rêve de pouvoir un jour les exposer dans un musée.
Antoine Marie Gachet avait légué au Musée cantonal de Fribourg une quarantaine d’objets indiens artisanaux qu’il avait ramenés d’Amérique. Longtemps oubliés au fond de dépôts obscurs, ces objets sont aujourd’hui répertoriés et soigneusement conservés au MIC. (cath.ch/mp)
Deux présentations de Jean Winiger
Jean Winiger donnera deux présentations sur Antoine-Marie Gachet au Marly Innovation Center, bâtiment 170, les jeudis 22 et 29 août 2024 à 18h30. Ces présentations seront aussi l’occasion d’admirer la collection d’objets du Père Gachet.
Antoine Marie Gachet
Né en 1822, en Basse-Ville de Fribourg, Antoine Marie Gachet très tôt une vive intelligence et un goût pour l’étude. Au Collège St-Michel, il se passionne pour les langues anciennes, latin et grec et modernes. Il entre chez les capucins en 1841 et est ordonné prêtre en 1846, après sa formation théologique et philosophique. Très vite il devient gardien (supérieur) du couvent de Fribourg et maître des novices. Il apprend aussi l’hébreux. En 1857, alors qu’il ne s’y attend pas, il est envoyé en mission en Amérique du Nord , dans le Wisconsin où il participe à la fondation de la province des capucins du Mont Calvaire. Il rejoint ensuite la mission des Menominies (transcription du terme indigène ›manonimiwok’ c’est-à-dire hommes de l’avoine sauvage ou folles avoines). Il consigne alors les faits et gestes de sa vie missionnaire dans les cahiers qui deviendront Cinq ans en Amérique.
En 1863 de manière à nouveau inopinée, Antoine Marie Gachet est envoyé en Inde pour soutenir son confrère évêque Mgr Anasthasius Hartmann. Là aussi il développe les mêmes qualités: Il s’intéressera aux langues indiennes, en particulier l’ourdou dont il devient un excellent spécialiste. En 1868, après la mort de son évêque, il revient à Fribourg où il occupe diverses fonctions, mais refuse les charges qu’on lui propose comme professeur à Rome ou recteur du Collège St-Michel à Fribourg. Il mène un important travail de publications et enseigne la théologie pour les capucins de Fribourg et de Sion. Il est également prédicateur dans les deux cathédrales. Il meurt le 1e février 1890 à Fribourg. MP
Maurice Page
Portail catholique suisse
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