Jacqueline Straub, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Nikita Katsuba est chercheur en sciences sociales et collaborateur scientifique au Centre de recherche pastorale appliquée de l’Université de la Ruhr, à Bochum. Avec le théologien et chercheur en sciences sociales Matthias Sellmann, il a publié, à la demande de la Conférence épiscopale allemande, une étude sur la sociologie et la motivation des candidats à la prêtrise dans le pays. L’ouvrage Wer wird Priester? (qui sont les nouveaux prêtres?) est paru en mai 2024 aux éditions Echter (Wurtzbourg).
Votre étude a-t-elle mené à des conclusions surprenantes?
Nikita Katsuba: De façon paradoxale, ce qui m’a le plus étonné, c’est que les résultats ne sont justement guère surprenants, dans la mesure où ils confirment l’image stéréotypée que l’on a des prêtres.
«La majorité des prêtres est de moins en moins représentative, sur le plan social, des milieux centristes»
Ils viennent de familles d’origine catholique et mono-confessionnelles, ont eu une éducation religieuse au sein de l’Église, des impressions marquantes de l’Église pendant la phase décisive de leur socialisation; ils entretiennent des idées conservatrices – pour ne pas dire dépassées – sur le métier et la fonction de prêtre. Ils soutiennent en outre des conceptions conservatrices aussi bien de l’Église que de la société. Les exceptions à ce modèle sont minoritaires.
Pour cette étude, vous avez examiné les prêtres ordonnés entre 2010 et 2021.
Il s’agissait de jeunes prêtres âgés en moyenne de 37 ans. Leur habitus (manière d’être) les distingue nettement de leurs contemporains dans la population générale.
De quel façon les prêtres ont-ils évolué au cours des 30 dernières années?
Notre étude n’a couvert que les années d’ordination 2010 à 2021, elle ne permettent ainsi pas de réaliser de comparaisons directes avec les périodes précédentes. Nous avons toutefois comparé les résultats avec L’étude sur les prêtres 2000, de Paul Zulehner, et constaté des similitudes remarquables.
Bien qu’aucun des prêtres de notre étude n’ait été en fonction en 2000, nos répondants présentent des schémas de motivation similaires dans leur profession. Nous avons pu trouver trois modèles de motivation, que sont la paroisse, la liturgie et l’église populaire. Les prêtres d’aujourd’hui ressemblent donc aux types présentés par Paul Zulehner des générations précédentes, bien que la société ait changé de manière spectaculaire à cette époque
La majorité des prêtres, avec leur habitus catholique traditionnel, est de moins en moins représentative, sur le plan social, des milieux centristes, comme c’était encore le cas il y a quelques décennies. Ils constituent de plus en plus une frange conservatrice, démographiquement vieillissante et en perte de vitesse.
Voyez-vous en cela un effet indirect de la sécularisation?
L’importance de la religion et de l’Église ne cesse de diminuer dans leurs familles d’origine. On assiste ici à un dilemme théologique de la vocation: les prêtres se recrutent en grande partie dans des familles catholiques pratiquantes, dont la religiosité diminue pourtant de plus en plus. Avec la baisse de la religiosité, la probabilité d’une vocation diminue également.
A quoi ressembleront les prêtres de demain?
Dans les recommandations stratégiques que nous avons esquissées sur la base des résultats de l’étude, nous imaginons deux scénarios. Dans le scénario appelé «concentration», la pastorale des vocations continuera à puiser dans le milieu catholique et tentera de s’adresser de manière ciblée aux jeunes hommes de ce milieu par différents moyens et ressources disponibles.
«Une étude montre que les catholiques allemands font davantage confiance à l’Église protestante qu’à l’Église catholique»
Dans le second scénario dénommé «diversification», l’Église pourrait essayer de dépasser cette limitation des milieux, s’ouvrir à d’autres et finalement devenir un employeur et un lieu d’engagement attractif pour la jeune génération issue des milieux centristes – comme c’était le cas autrefois – et encourager ainsi de nouvelles vocations d’hommes issus de milieux socio-démographiques différents. Seul ce second scénario permettra de contrer la baisse dramatique du nombre de candidats au sacerdoce.
Que faudrait-il pour cela?
Cela nécessite une réorientation systématique de tous les aspects de l’Église – des questions morales à ses pratiques administratives. La réponse à la question de savoir laquelle de ces voies l’Église emprunte définit également l’image future du sacerdoce, qui se reflète dans la pastorale des vocations, les voies de formation, ainsi que la politique de recrutement. Continuera-t-elle à suivre la ligne conservatrice et à recruter des hommes en adéquation avec cela, ou s’ouvrira-t-elle à la diversité de la société moderne? Car les prêtres sont le visage et les figures dirigeantes qui façonnent en fin de compte l’Église.
Qu’est-ce que cela signifie pour l’avenir de l’Église que les jeunes prêtres proviennent pour la plupart de structures ecclésiales populaires, soient majoritairement conservateurs et réfractaires aux réformes, comme le montre votre étude?
Cela montre à quel point les opinions des représentants importants de l’Église et de la société – y compris des catholiques – divergent de plus en plus sur une large palette de questions actuelles concernant la politique, la morale et l’Église. Une enquête menée par l’Église évangélique allemande (EKD) montre à quel point les catholiques sont insatisfaits de leur Église. L’étude montre même ce fait particulièrement étonnant que les catholiques allemands font davantage confiance à l’Église protestante qu’à l’Église catholique.
«Seul un prêtre sur quatre voterait pour l’ordination des femmes»
La perte de confiance se manifeste par des sorties de l’institution. La plupart des jeunes prêtres sont cependant plutôt satisfaits de leur Église, demandant certes plus d’offres spirituelles, mais étant réticents quant aux réformes fondamentales. Il est difficile d’imaginer que l’Église puisse faire face à cette situation complexe sans prêtres «d’un nouveau genre».
Et si l’Église parvenait dès à présent à recruter de tels candidats à la prêtrise?
Les premiers d’entre eux ne deviendraient prêtres que dans huit ans environ. Pour avoir un impact significatif sur le sacerdoce, leur nombre devrait augmenter pendant au moins une décennie supplémentaire. Cela signifie que les changements dans la vocation sacerdotale qui doivent être initiés maintenant ne seront largement visibles dans l’Église que dans une vingtaine d’années. Or, compte tenu du nombre élevé de départs, l’Église ne dispose guère de ce temps.
Qu’en est-il de la possibilité, avec les jeunes prêtres actuels, de mettre en œuvre des processus synodaux et des réformes?
On peut dire que, de manière générale, ces thèmes n’intéressent guère les jeunes prêtres. A la question de savoir comment l’Église devrait être réformée, plus des trois quarts des jeunes prêtres mentionnent davantage d’offres avec une profondeur spirituelle ou une orientation plus marquée vers la transmission de contenus de foi. Ils sont nettement moins nombreux, à savoir 37%, à se prononcer en faveur d’une participation accrue des laïcs dans l’Église. Les thèmes de la démocratisation dans l’Église ou de l’abolition de l’obligation du célibat ne sont soutenus que par environ 30% des personnes interrogées. Et seul un prêtre sur quatre voterait pour l’ordination des femmes.
Les processus synodaux ne sont donc pas au centre de leur attention…
L’étude a révélé un groupe relativement restreint de jeunes prêtres (environ 18%) qui soutiennent tous ces thèmes et qui, dans l’ensemble, ne correspondent guère à l’image conservatrice du prêtre en ce qui concerne leur origine et leur vision du monde. Si les processus synodaux aboutissent, ce groupe pourrait être porteur d’espoir.
«Les jeunes prêtres visent plutôt à vivre leur propre spiritualité et à être des pasteurs»
Quelles sont les erreurs commises par les diocèses dans la recherche et la formation de la relève sacerdotale?
L’étude suggère que la clé de la solution ne se trouve pas en premier lieu entre les mains des diocèses. La pénurie de prêtres n’est pas liée à leur formation ou à la promotion de la profession, mais à la perte de confiance générale dans l’Église. Certains prêtres interrogés ont déclaré qu’ils avaient rencontré de la résistance dans leurs familles, même les pratiquantes, et chez leurs amis, lorsqu’ils ont décidé de devenir prêtres. En raison notamment des cas d’abus, mais aussi de sa mauvaise image générale, l’Église n’est plus un employeur respecté. Pour changer cela, il faut un changement systémique que les diocèses ne peuvent évidemment pas opérer seuls.
Comment pourrait-on améliorer la formation des prêtres?
L’étude a montré que les jeunes prêtres visent plutôt à vivre leur propre spiritualité et à être des pasteurs. Mais cette image ne correspond plus à la réalité, car aujourd’hui, on attend souvent des prêtres, toujours moins nombreux, qu’ils gèrent de grandes paroisses regroupées en tant que curés. Une meilleure formation des prêtres consisterait donc à mieux les préparer à assumer des fonctions de direction et à développer des capacités de travail en équipe et de communication.
Les données recueillies peuvent-elles être transposées à la Suisse ou donner des indications sur les prêtres de ce pays?
Nous n’avons certes interrogé que des jeunes prêtres allemands. Mais des données provenant des États-Unis indiquent également une certaine tendance conservatrice parmi les prêtres catholiques – par rapport à l’ensemble de la société. Le phénomène est donc peut-être international. Je ne prédis en aucun cas un tournant conservateur mondial dans l’Église. Mais on pourrait émettre l’hypothèse que le sacerdoce dans les pays industrialisés – et donc aussi en Suisse – connaît des transformations comparables en raison de leurs similitudes socio-structurelles – telle que la sécularisation. Mais nous sommes ici dans le domaine de la spéculation. (cath.ch/kath/js/rz)
Rédaction
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