Il y a deux ans, le pape François s’est rendu au Canada afin de présenter des excuses historiques pour le rôle ‘dévastateur’ de l’Église dans le système des pensionnats autochtones du pays, et en juin 2024, les évêques américains ont présenté des excuses pour les mauvais traitements infligés par l’Église aux populations indigènes. Si cesdémarches ont été généralement accueillies favorablement, elles ne suffisent pas à réparer les blessures. Alors que le Canada avait lancé en 2008 une commission vérité et réconciliation, aux Etats-Unis, le processus de mémoire n’a vraiment débuté qu’en 2020.
En 2022, le Département de l’intérieur a publié un rapport initial sur les internats autochtones du pays. Le document montrait que les écoliers avaient été victimes de châtiments corporels, notamment l’isolement cellulaire, la privation de nourriture, les coups de fouet et d’autres violences physiques et sexuelles. Un dossier du National Catholic Reporter a récemment fait le point de la situation.
Premier fait remarquable, le gouvernement fédéral n’avait aucune liste des internats qu’il avait financés au cours de l’histoire. La plupart de ces institutions ont été gérées par les diverses Églises, catholique, mais aussi presbytérienne, méthodiste, baptiste, ou encore les quakers.
Une des premières étapes du travail de mémoire a donc été la création du Catholic Native Boarding School Accountability and Healing Project (AHP) chargé de recenser les internats indigènes et de faire le lien avec les congrégations religieuses qui les dirigeaient. Il travaille sur une liste complète d’écoles catholiques des années 1820 à 1970 dans le cadre d’une recherche plus large pour aborder le rôle joué par l’Eglise dans l’entreprise de ‘génocide culturel’ du gouvernement américain. La liste doit permettre aux peuples autochtones de retrouver la trace des enfants placés dans ces centres.
Le site de l’organisation catholique énumère 87 internats autochtones gérés par les catholiques avant 1978 dans 22 États américains. 74 de ces écoles étaient dirigées par des religieuses de 53 congrégations différentes. Ces chiffres illustrent également la complexité des recherches d’archives, notamment lorsque les écoles ou les congrégations ont disparu.
Les écoles indigènes ont fait partie d’un plan pour éradiquer la culture amérindienne; selon les mots de Richard H. Pratt, un des architectes du système, pour «tuer l’Indien» et «sauver l’homme». Brigadier-général de l’armée américaine, qui avait participé aux guerres indiennes, Richard H. Pratt est le fondateur et directeur de l’école industrielle indienne de Carlisle, en Pennsylvanie. Cet institut qui avait ouvert ses portes en 1879, a été l’un des premiers et des plus célèbres internats pour enfants amérindiens, et a servi de référence à la plupart des pensionnats du pays.
Alors qu’il avait la charge de 70 prisonniers de guerre amérindiens en Floride, Pratt avait introduit des cours d’anglais et d’artisanat pour les détenus. Il eut alors l’idée que si l’on isolait les autochtones de leur famille et de leur vie tribale et qu’on les immergeait dans la culture blanche américaine standard, ils deviendraient comme tout le monde. Malgré son racisme, Pratt, s’est intéressé aux cultures indigènes et considérait les Amérindiens comme dignes de respect et d’aide, et capables d’une pleine participation à la société. A sa suite, l’État, les Églises et les congrégations religieuses ont mis leur foi dans cette mission ‘civilisatrice’.
Les élèves ont été dépouillés de toutes les choses associées à la vie autochtone. Leurs cheveux longs, source de fierté pour de nombreux peuples autochtones, ont été coupés. Ils ont échangé leurs vêtements traditionnels contre des uniformes et ont dû se plier à un régime de type militaire strict. Les écoliers étaient physiquement punis pour avoir parlé leur langue autochtone. Les contacts avec les membres de la famille et de la communauté étaient découragés voire interdits. Les survivants ont décrit une culture de violence physique et sexuelle omniprésente. La nourriture et les soins médicaux étaient rares; de nombreux élèves mouraient. Parfois, leurs parents n’apprenaient leur décès qu’après leur enterrement dans des cimetières scolaires, dont certaines tombes n’étaient pas marquées. Environ sept générations d’Amérindiens ont ainsi fréquenté ces écoles.
Dans le Montana, les trois écoles Saint-Labre, fondées entre 1884 et 1891 et gérées successivement par diverses congrégations religieuses, ont lancé une vaste enquête notamment pour établir si des tombes anonymes, comme celles découvertes au Canada, pouvaient exister sur les terres des réserves de Crow et de Northern Cheyenne.
L’enquête, qui a duré 16 mois, n’a trouvé aucune indication de tombes non identifiées. Mais le rapport de 150 pages, présenté en juillet 2024, révèle qu’entre 1884 et 1960, au moins 113 élèves sont décédés alors qu’ils étaient inscrits dans un de ces établissements. Selon le rapport, 90% des décès sont dus à des maladies, très souvent la tuberculose. 10% étant dus à d’autres causes, y compris des accidents. Ce pourcentage élevé correspond à peu près aux estimations globales pour les États-Unis, où les maladies ont décimé les populations autochtones à la suite de la colonisation européenne. La surpopulation, les mauvaises pratiques sanitaires et l’accès peu fiable aux soins médicaux ont en outre contribué à ces décès.
Ainsi Sarah Standing Elk, âgée de 4 ans, «fille d’Eugène Standing Elk», est décédée le 6 mars 1898, peut-on lire dans une inscription au registre d’une école. Enterrée dans le cimetière de la mission de Saint-Labre, elle a été identifiée comme la ‘petite Sarah’.
Le rapport indique qu’il est probable que beaucoup d’autres élèves soient morts, mais que leur décès n’a pas été documenté dans les archives. Il note également qu’il est peu probable qu’un décès causé par un abus ou une négligence soit enregistré comme tel dans les archives. On a appris aussi que nombre d’enfants malades étaient renvoyés dans leur famille où ils mouraient, sans que leur décès ne soit répertorié.
Autre effet pervers selon le rapport, le financement des écoles était directement lié au nombre d’élèves. «Les archives historiques regorgent de cas où les écoles ont fait appel à la police indienne pour faire venir des élèves, retrouver des fugueurs ou empêcher des enfants de partir avec leurs parents».
D’autres écoles et d›autres diocèses catholiques ont également désormais lancé des enquêtes sur ces pratiques.
Walter Fleming membre de la tribu Kickapoo du Kansas, qui a grandi dans la réserve des Cheyennes du Nord, dans le Montana, est l’un des quatre autochtones de la commission d’enquête. Pour lui, les séances d’écoute ont été des moments cathartiques pour de nombreux participants, car c’était l’occasion de reconnaître et de consigner leurs histoires, certaines positives, d’autres douloureuses. Une participante a par exemple raconté que le premier jour d’école de sa grand-mère, sa tresse lui avait été coupée et jetée. »Cette nuit-là, elle est retournée à la poubelle et a récupéré sa tresse, puis l’a rapportée à son grand-père pendant le week-end. Il a enveloppée et l’a noué dans une peau brute et l’a mise dans un arbre, par respect».
Pendant longtemps les religieuses catholiques n’ont pas eu conscience de leur complicité dans le mouvement d’éradication des cultures indigènes et sont restées persuadées d’avoir accompli une œuvre charitable et éducative d’envergure. C’était le cas de Sœur Eileen Mckenzie, supérieure des Sœurs franciscaines de l’adoration perpétuelle. Ce n’est qu’en 2020, à la lecture d’un article de magazine sur la réalité des pensionnats indigènes, qu’elle s’est rendu compte du rôle de sa congrégation dans cette sinistre histoire. De fait, jusqu’aux années 2020, la population américaine avait quasiment occulté l’histoire des internats autochtones, alors que le Canada avait abordé le problème une quinzaine d’années plus tôt.
«Il y a eu un effacement effectif. Dans mon monde, cette politique a fonctionné, mais mon monde est celui de la suprématie blanche», reconnaît Sœur Mckenzie. «Ne sommes-nous pas censés être de bonnes personnes? N’avons-nous pas éduqué des enfants pour les amener à un autre étape de leur vie? Mais notre impact a été très différent de nos intentions. Certaines anciennes sœurs disent: ‘C’était les meilleurs jours de ma vie’, d’autres affirment: ‘C’était un un racisme systémique’.»
«Pour les autochtones, ce n’est pas une nouvelle, c’est de l’histoire. C’est l’histoire de la famille», a déclaré Maka Black Elk, membre de la tribu des Sioux d’Oglala.»C’est vraiment frappant quand on se rend compte qu’il n’y a presque aucun indigène dans ce pays qui n’a pas quelqu’un dans sa famille qui a fréquenté l’une de ces écoles.»
Professeure à la retraite, poète et artiste Denise Lajimodiere, auteure d’un recueil de d’histoires orales de survivants des internats dans le Dakota du Nord, estime que la guérison ne peut pas commencer sans la reconnaissance de la responsabilité. «L’Eglise doit se regarder elle-même, mais les populations autochtones doivent aussi trouver la guérison en elles-mêmes. Nous devons apprendre à pardonner l’impardonnable. Comment le ferons-nous?» (cath.ch/ncr/mp)
Maurice Page
Portail catholique suisse
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