Plus de 100 émeutiers ont attaqué, le 4 août 2024, les bureaux de la Caritas, à Khulna, au sud-ouest du Bangladesh, a confirmé l’œuvre d’entraide catholique à l’agence vaticane Fides. Personne n’a été blessé dans l’attaque. Les assaillants seraient partis après une vingtaine de minutes, constatant peut-être qu’ils s’étaient trompés de cible.
Malgré tout, d’autres atteintes aux personnes et aux biens de la communauté chrétienne du pays ont été enregistrées. Selon différents médias nationaux et internationaux, ainsi que des rapports des communautés locales, des dizaines de maisons appartenant à des membres des minorités religieuses ont été attaquées. Le Bangladesh Hindu Buddhist Christian Unity Council a indiqué que des centaines de familles ont été visées par des actions de vandalisme et ont reçu des menaces de mort.
Les violences ont principalement touché la minorité hindoue, qui représente près de 8% des 170 millions d’habitants. Plus de 15 temples hindouistes auraient été vandalisés, incendiés et pillés dans 45 districts du pays. «Les chrétiens ont également été victimes de violences, bien que sous une forme moins grave, et Dieu merci, nous n’avons pas de morts ou de blessés graves à signaler», a déclaré à Fides une source au sein de l’Église catholique locale. L’incident le plus grave a été l’incendie qui a détruit le Centre diocésain pour les migrants internes à la recherche d’un emploi, récemment ouvert à Dhaka, la capitale.
Le Bangladesh vit depuis des semaines d’intenses bouleversements politiques. Les manifestations contre le gouvernement de la Première ministre Sheikh Hasina ont commencé début juillet par des demandes d’étudiants des universités d’abolir les quotas dans les emplois de la fonction publique. Les étudiants ont réclamé un système fondé sur le mérite, jugeant le système actuel injuste et partial.
«Le Bangladesh est un pays stratégique au cœur de l’Asie, situé entre les grandes puissances que sont l’Inde et la Chine»
Face au refus du gouvernement, le mouvement a pris de l’ampleur et s’est transformé en un soulèvement national. La répression par les forces de l’ordre a fait plus de 400 morts.
Devant la pression des manifestants, Sheikh Hasina a démissionné le 5 août. Le prix Nobel de la paix bangladeshi Muhammad Yunus a été nommé à la tête d’un gouvernement intérimaire composé de personnalités issues de différents partis politiques, à l’exclusion de la formation de Sheikh Hasina, la Ligue Awami. La transition est supervisée par l’armée, qui s’est engagée à faciliter un transfert pacifique du pouvoir sans gouverner directement le pays.
Dans ce contexte, il est difficile de déterminer si les chrétiens font les frais de l’insécurité générale et de l’effondrement des forces de l’ordre, ou si les attaques ont un but précis. Les chrétiens constituent une toute petite minorité de 500’000 personnes au Bangladesh (environ 0,3% de la population). Il est probable que les violences commises à l’encontre de la minorité hindoue, soient instiguées par le Jamaat-e-Islami, un parti islamiste inspiré par les Frères musulmans, qui s’était opposé à la partition du Pakistan et à l’indépendance du Bangladesh, adversaire historique de la Ligue Awami. Il n’est pas impossible qu’il ait également participé à des attaques contre les chrétiens.
Historiquement, à l’instar de la plupart des autres minorités, les chrétiens sont favorables à la Ligue Awami de Sheikh Hasina, un parti laïque ouvert à la liberté religieuse. Mais la donne géopolitique rend la situation plus complexe. Le Bangladesh est un pays stratégique au cœur de l’Asie, situé entre les grandes puissances que sont l’Inde et la Chine.
La Ligue Awami, perçue comme un rempart contre les islamistes, a les faveurs de l’Inde de Narendra Modi. Ce qui explique en partie les violences contre les intérêts hindous. L’éviction de Sheikh Hasina est ainsi considérée comme un affaiblissement de l’influence de New Delhi, au profit du Pakistan et de la Chine, commente Fides.
L’Inde mène également un jeu trouble avec les puissances occidentales, notamment les États-Unis. Le gouvernement de Narendra Modi, bien qu’engagé dans une alliance stratégique avec Washington, voit d’un mauvais œil les manœuvres américaines pour se positionner dans le Golfe du Bengale, afin de contrer l’influence chinoise grandissante dans cette région.
Ce contexte peut expliquer le surgissement, il y a quelques mois, d’une étrange affirmation de Sheikh Hasina concernant un «plan» visant à créer un État chrétien sur une partie du Bangladesh et du Myanmar. La dirigeante bangladeshi avait en effet, fin mai 2024, annoncé publiquement que «sur le modèle du Timor oriental [un petit État du sud-est asiatique composé à plus de 90% de chrétiens, ndlr], ils veulent façonner un État chrétien en prenant des parties du Bangladesh (le Chattogram) et du Myanmar, avec une base sur le Golfe du Bengale.» Sheikh Hasina a affirmé avoir été approchée en janvier 2024 par un «homme à la peau blanche», lui assurant une «élection facile» si elle acceptait qu’un pays étranger établisse une base aérienne au Bangladesh.
«Les chrétiens du pays tournent à présent leurs attentes vers Muhamad Yunus, qui possède une aura et une crédibilité internationales»
Si elle n’a pas nommé le pays en question, la référence aux États-Unis a paru à tous évidente. La presse indienne proche du pouvoir suggère ainsi que Washington comploterait effectivement pour créer un État chrétien qui lui serait favorable afin d’obtenir des avantages militaires dans la région. Cette même presse sous-entend que les services secrets américains (comme pakistanais et chinois) ne seraient pas étrangers au mouvement contestataire.
Il est certain que l’attitude américaine est «perçue avec une certaine méfiance par les Indiens», note Fides dans une analyse. Washington avait notamment dénoncé les élections bangladaises du début de l’année (remportées par Hasina) comme «non libres et non équitables». Les États-Unis ont également souhaité la «bienvenue au gouvernement intérimaire de Dhaka» quelques heures après que Sheikh Hasina ait fui le pays. Le fait que le visa d’entrée de l’ancienne Première ministre ait été refusé par la Grande-Bretagne et les États-Unis reflète également une orientation défavorable des deux puissances envers la démissionnaire.
La thèse du «complot chrétien» a suscité de vives protestations de la part des Églises locales. La Conférence des évêques catholiques du Bangladesh (CBCB), ainsi que le Forum uni des Églises (UFCB) se sont déclarés «surpris et inquiets». «Dans notre monde globalisé et sécularisé d’aujourd’hui, l’idée d’un ‘État chrétien’ est absurde, affirme le communiqué signé par Mgr Bejoy N. D’Cruze, archevêque de Dhaka et président de la CBCB, relayé par UcaNews. Mgr D’Cruze assure que les chrétiens du Bangladesh soutiennent toujours pleinement la souveraineté du Bangladesh, ceci depuis la guerre d’indépendance de 1971. «Le complot présumé n’est ni soutenu ni accepté par les chrétiens», martèle le communiqué, mettant en garde contre le fait que «des opportunistes puissent saisir cette occasion pour détruire l’harmonie existante [entre les communautés, ndlr] au Bangladesh».
Mais même si les autorités chrétiennes s’en offusquent, un tel ‘complot’ pour un État chrétien a-t-il une quelconque réalité? «Ce que nous savons, c’est qu’il existe un certain niveau d’insurrection à Bandarban et que les Kukis et les Chins ont revendiqué leurs droits. Mais même si certains d’entre eux sont chrétiens, ils ne demandent pas un État chrétien», a déclaré à UcaNews l’analyste miliataire Ishfaq Ilahi Choudhury.
Il est plus plausible que la déclaration de Sheikh Hasina ait eu pour but de détourner l’attention face à une opposition croissante en désignant un bouc émissaire sous la forme d’une «menace chrétienne». Une opération déjà vue dans d’autres pays possédant une minorité chrétienne souvent sans défense et facile à instrumentaliser. Il est à craindre que la tactique puisse trouver un écho dans un pays traditionnellement tolérant.
En espérant éviter cela, les chrétiens du pays tournent à présent leurs attentes vers Muhamad Yunus, qui possède une aura et une crédibilité internationales. Ce dernier a reçu le prix Nobel de la paix en 2006 pour son travail de développement des marchés du microcrédit. Lors de son installation, il a promis de restaurer l’ordre et a condamné les violences contre les minorités religieuses du pays. (cath.ch/fides/ucanews/crux/ag/arch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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