Les responsables ecclésiastiques d’Angleterre et du Pays de Galles ont uni leurs voix pour condamner fermement les émeutes d’extrême droite et anti-immigration qui, depuis plusieurs jours, ravagent plusieurs villes du Royaume-Uni, y compris Londres.
Les premières violences ont débuté après une attaque au couteau à Southport, au nord-ouest de l’Angleterre, lors de laquelle trois fillettes ont été tuées. La rumeur selon laquelle le suspect était un demandeur d’asile de confession musulmane s’est aussitôt répandu sur les réseaux sociaux. Le jeune homme de 17 ans est en fait né à Cardiff, au Pays de Galles, et serait d’origine rwandaise.
Depuis plus d’une semaine, les manifestants s’attaquent aux hôtels abritant des demandeurs d’asile, tel le Holiday Inn Express de Rotherham le week-end dernier, aux mosquées ou aux commerçants identifiés comme musulmans ou non-blancs. Le Premier ministre travailliste Keir Starmer a aussitôt réagi, promettant que ces actes ne resteraient pas impunis. Près de 400 personnes ont déjà été interpellées depuis le début des émeutes.
De son côté, le ministère de l’Intérieur conduit par Yvette Cooper a mis en place un dispositif de protection pour les mosquées qui pourraient faire l’objet d’actes de haine. De nouvelles manifestations sont attendues le 7 août dans une trentaine de villes britanniques et 6000 agents de police sont mobilisés. La police britannique se prépare en effet à devoir affronter le «pire jour de trouble».
Selon les spécialistes de l’extrémisme au Royaume-Uni, ces émeutes sont l’œuvre d’idéologues d’extrême droite qui n’ont pas de peine à réunir autour d’eux, grâce aux réseaux sociaux, des jeunes désœuvrés. «Ce sont plus souvent des réseaux en ligne de personnes qui partagent les mêmes idées, plutôt qu’une sorte d’organisation formelle», a expliqué à l’AFP Milo Comerford, responsable de recherche à l’Institute for Strategic Dialogue de Londres.
Les années 2010 ont ainsi connu l’émergence de nouveaux groupes plus diffus, liés au milieu du hooliganisme et s’opposant à l’islam, comme l’English Defence League (EDL) et, plus récemment, le groupe néonazi Patriotic Alternative, qui met l’accent sur une forme d’«autodéfense» anti-migrants.
Parmi les figures de proue de l’EDL se détache Tommy Robinson – Stephen Yaxley-Lennon de son vrai nom -, un agitateur au casier judiciaire fourni et l’un de ses fondateurs du mouvement. Il se trouve actuellement à l’étranger mais alimente abondamment les réseaux sociaux. Son compte X, suivi par près de 900’000 personnes, a été rétabli l’an passé par Elon Musk. Un Elon Musk qui ne se prive pas d’attiser les tensions. Réagissant à un propos d’un usager de X imputant les émeutes aux «effets des migrations de masse et aux frontières ouvertes», il a lui-même écrit le 4 aout 2024 que «la guerre civile est inévitable».
Face à ces violences communautaires, la Conférence des évêques catholiques d’Angleterre et du Pays de Galles (CBCEW) a condamné la violence à l’encontre des réfugiés en Grande-Bretagne et exprimé sa préoccupation et sa solidarité avec les victimes, ceux de l’assaillant au couteau et ceux des émeutiers.
Dans un communiqué du 29 juillet déjà, l’archevêque de Liverpool Malcolm McMahon a exhorté les catholiques à se joindre à lui dans la prière pour les victimes. «Nous prions pour ceux qui ont été blessés, pour ceux qui sont parents, famille et amis des blessés, pour tous ceux qui sont impliqués dans les services d’urgence, nous prions pour la bénédiction de Dieu, la paix de Dieu et la présence de Dieu.»
Une invitation à l’apaisement a aussi été lancée par les évêques du Pays de Galles. «Nos prières accompagnent tous ceux qui ont souffert à la suite de cet acte épouvantable (l’attaque au couteau: ndlr). Il n’est d’aucune aide pour les victimes ou leurs familles que leur perte agonisante soit utilisée pour susciter la violence, l’intimidation et la division (…) Nous prions pour qu’en cherchant à faire face à ces événements choquants, la raison et le respect prévalent et que personne d’autre ne soit mis en danger ou dans la peur.»
Chargé des migrants et des réfugiés, l’évêque auxiliaire Paul McAleenan de Westminster a tenu à assurer les migrants qu’ils sont toujours la bienvenue dans le pays. Il a aussi rappelé que ceux qui travaillent à bâtir une nation unie et solidaire sont plus nombreux que les manifestants.
«Je condamne les violences épouvantables de la semaine dernière, en particulier celles dirigées contre les migrants et leurs lieux de résidence», a-t-il déclaré dans son communiqué du 5 août. «Elles témoignent d’un mépris total des valeurs qui sous-tendent la vie civile de notre pays.» Appelant à la prière, à l’unité et à la paix, il a souligné que «les actions des quelques personnes impliquées dans la violence contrastent fortement avec le travail des organisations caritatives, des groupes religieux et des bénévoles qui tendent inlassablement la main aux migrants dans des actes de solidarité». «Reconstruire les communautés après les terribles événements de ces derniers jours» demandera à tous un redoublement des efforts», a poursuivi Mgr McAleenan.
«Mes prières vont tout particulièrement à ceux qui se réfugient dans des hôtels ou qui se sentent menacés. Vous êtes aimés et bienvenus ici. Nous devons tous faire ce que nous pouvons pour que vous vous sentiez en sécurité.».
Parmi les organisations qui soutiennent les migrants en Grande-Bretagne figure le Service jésuite des réfugiés. Sarah Teather, la directrice de sa branche britannique, a appelé le gouvernement à prendre des mesures urgentes pour assurer la sécurité de toutes les personnes visées, y compris les personnes relevant du système d’asile «qui, dans de nombreux cas, ont déjà fui la violence et subi de profonds traumatismes». De nombreux réfugiés aidés par le JRS «vivent dans la peur et l’insécurité à la suite de ces attaques», a-t-elle souligné, appelant tous les citoyens britanniques à s’opposer à la désinformation et à la rhétorique raciste qui alimente cette hostilité. «Trop souvent, a-t-elle déploré, des personnes fuyant le danger et cherchant une chance de reconstruire leur vie ici ont été déshumanisées par des politiciens et d’autres personnes en position d’influence», rapporte Vatican News.
Du côté de l’Église anglicane, l’intervention sur la BBC de l’archevêque anglican de Canterbury, Mgr Justin Welby, a été très remarquée. Condamnant ces violences, le chef de la Communion anglicane a affirmé que les émeutiers «souillent le drapeau dans lequel ils se drapent». «Ils parlent de défendre les valeurs chrétiennes de ce pays, mais lorsqu’on a demandé à Jésus ce qu’il fallait faire pour avoir une bonne vie, il a répondu: ›Aimez Dieu, aimez votre voisin et aimez votre ennemi’.»
L’archevêque Justin Welby a également fait remarquer que si le fait de vivre dans un quartier délabré n’était pas une excuse à la violence, les richesses devaient être partagées plus équitablement entre les riches et les pauvres au Royaume-Uni, l’un des sept pays les plus riches de la planète. (cath.ch/lb)
La question migratoire, un sujet très sensible
En 2022 : selon les chiffres fournis en mai 2023 par l’Office national des statistiques britannique, la balance migratoire au Royaume-Uni est positive depuis 1993. Il y a toujours plus de personnes immigrées au Royaume-Uni que d’émigrées. Des chiffres records ont été annoncés pour 2022, avec 1,2 million de personnes entrées dans le pays contre 600’000 qui l’ont quitté. La plupart des personnes arrivées au Royaume-Uni en 2022 sont venues de pays hors de l’Union européenne (925’000). Les ressortissants de l’UE viennent en deuxième position, avec 151’000 personnes.
Les chiffres ont été dopés du fait de la guerre en Ukraine et de la crise à Hong Kong. Le Royaume-Uni a ainsi accordé en 2022 plus de 200’000 visas aux réfugiés ukrainiens et 50’000 aux ressortissants de l’ancienne colonie britannique. A noter aussi qu’environ 136’000 visas ont été délivrés à des étudiants étrangers, contre 16’000 en 2019, et que plus de 45’000 migrants ont traversé la Manche illégalement.
En 2023 : le parti conservateur, alors au pouvoir, a fait de la réduction de l’immigration l’une de ses priorités, durcissant les conditions d’installation dans le pays. Au cours de l’année 2023, l’immigration dans le cadre d’un visa de travail est devenue le principal motif d’arrivée au Royaume-Uni, dépassant les arrivées d’étudiants. Près de la moitié des visas de travail ont été attribués à des Nigérians et des Indiens, essentiellement dans le secteur de la santé et du soin. Le nombre de migrants faisant la traversée illégale de la manche est tombé pour sa part sous les 30’000. LB
Lucienne Bittar
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