Didier Queloz: «Sans le savoir, notre espèce n’a pas d’avenir»

En septembre 2024, le pape François recevra les nouveaux membres de l’Académie pontificale des sciences. L’astrophysicien genevois Didier Queloz, Prix Nobel de physique en 2019, en fait partie. Il a expliqué à kath.ch ce que cette nomination signifie pour lui, et pourquoi il a «une envie infinie» d’en comprendre toujours plus.

Barbara Ludwig / kath.ch

Il y a quelques mois, vous avez été nommé par le pape François membre de l’Académie pontificale des sciences à Rome. Que signifie pour vous cette nomination?
Didier Queloz: C’est un honneur pour moi, car l’Académie est une assemblée illustre. En effet, elle compte parmi ses membres de nombreuses personnes de la communauté scientifique internationale, des chercheurs brillants, voire très brillants. Je ne pense pas qu’il y ait une autre académie qui réunisse autant d’esprits brillants dans le monde scientifique.

Savez-vous pourquoi vous avez été nommé?
On ne connaît jamais les raisons des nominations. Mais on peut les deviner. D’une part, j’étais déjà en contact avec l’Académie parce que mon domaine de recherche est tout à fait nouveau et traite de la question de la vie dans l’Univers, de la cosmogonie et de la cosmologie, donc de la formation et des structures de l’Univers. Ce sont des sujets d’un grand intérêt pour la société.
De plus, l’Académie m’a invité à donner une conférence il y a quelques années. Je pense qu’elle a plu aux responsables. Dans cette conférence, j’ai parlé du défi que représente la divergence entre la science et la société: Le progrès scientifique ne cesse de croître, mais la société a du mal à intégrer ce savoir croissant.

L’univers compterait des milliards de galaxies. | © Pixabay.

Le Prix Nobel que vous avez reçu en 2019 pour la découverte de la première planète extrasolaire a-t-il également joué un rôle?
Il est clair que les responsables de l’Académie aiment les lauréats du prix Nobel. Mais ma nomination pourrait aussi avoir un rapport avec le professeur de chimie zurichois Albert Eichenmoser, décédé en 2023. Il était membre de l’Académie et a mené des recherches sur le début de la vie dans les années 1960-70.

«Nous n’avons aucune compétence théologique»

Comment pouvez-vous, en tant que scientifique, participer à l’Académie?
Les membres se réunissent tous les deux ans en assemblée plénière au Vatican pour discuter de sujets scientifiques d’actualité. Nous ne parlons pas de théologie pour laquelle nous n’avons aucune compétence. Lors de ces réunions, il y a aussi des représentants du pape ainsi que des hommes d’Église qui sont en même temps des scientifiques.
Pour nous, chercheurs, les assemblées plénières sont très intéressantes. C’est extraordinaire de pouvoir rencontrer autant de brillants collègues d’autres disciplines – de la chimie, de la biochimie, de l’histoire des sciences, etc. – et de pouvoir discuter ensemble pendant trois jours. En tant que membre, je peux désormais y assister à chaque fois, je n’ai plus besoin d’invitation.

Pourquoi l’Académie pontificale est-elle importante?
Il s’agit très souvent de thèmes à l’interface entre la science et la société. Des sujets qui soulèvent des questions éthiques et morales. Comme l’intelligence artificielle ou les manipulations génétiques. Nous discutons de la réalité, de ce qui se passe actuellement dans les sciences. Il devrait y avoir plus d’académies de ce genre. Car nous avons aujourd’hui un gros problème: il y a trop peu de dialogue entre le savoir existant et la manière dont ce savoir est reçu par la société. Par manque de connaissances, beaucoup de gens disent des choses stupides.

Quoi, par exemple?
Le réchauffement climatique est un de ces cas. Depuis 50 ans, c’est un problème résolu pour les scientifiques: on sait que c’est à cause du CO2, qu’il y en a de plus en plus dans l’atmosphère terrestre et que nous les humains le produisons. Mais on n’a pas réussi à transférer ces connaissances dans la société. Ensuite, il y a aussi des sujets qui sont très émotionnels parce qu’ils touchent à des aspects éthiques. Certaines personnes refusent tout simplement de les comprendre. C’est justement sur les questions de bioéthique qu’il existe de forts blocages.
Il y a certes un dialogue entre la science et la société, mais il n’est pas intense. C’est inacceptable, car notre société est aujourd’hui totalement dominée par le savoir. Tout ce que nous utilisons dans notre vie quotidienne est le résultat de notre connaissance du monde. C’est parce que le dialogue entre la science et la société doit être renforcé que l’Académie pontificale est importante. Et c’est pourquoi je veux y participer.

Bureau de Didier Queloz, caricature de Chappatte lors de la remise du Prix Nobel à Michel Mayor et Didier Queloz pour la découverte de l’exo-planète 51 Pegasi b | © Barbara Ludwig

Comment pensez-vous que l’activité de l’Académie peut faire avancer ce dialogue?
Le Vatican peut s’adresser à plus d’un milliard de catholiques dans le monde. C’est un acteur important de la société. C’est pourquoi je souhaite qu’il sache de quoi il parle lorsqu’il s’exprime publiquement sur certains sujets.

Avez-vous déjà eu l’occasion de parler avec le pape?
Non. En septembre, les nouveaux membres de l’Académie seront reçus en audience par le pape. Je ne sais pas s’il sera possible d’avoir un échange personnel avec lui. Ce qui est intéressant en tout cas, ce sont les gens qui l’entourent – collaborateurs de l’Académie et évêques – avec lesquels on peut vraiment discuter.

«Moi, j’ai une envie infinie de comprendre toujours plus»

Votre spécialité est la recherche sur les origines de la vie. Qu’est-ce qui vous fascine dans ce domaine?
Je me suis spécialisé dans l’astrophysique et j’ai découvert de nombreuses planètes en dehors de notre système solaire. Quand on découvre de telles planètes, on se demande s’il y a de la vie. Ce qui me fascine, c’est d’explorer les particularités de l’Univers. Je veux comprendre l’Univers. Pourquoi? Parce que mon cerveau est ainsi fait. Tous les cerveaux veulent comprendre. Les enfants apprennent parce qu’ils veulent comprendre, parce qu’ils sont curieux. À l’âge adulte, la curiosité continue à se développer. Mais chez certaines personnes, elle s’endort. Moi, j’ai une envie infinie de comprendre toujours plus.

Mais vous auriez pu vous spécialiser dans autre chose?
C’est vrai. Lors de mes conférences, j’explique toujours que l’apparition de la vie est un événement symbolique important pour nous, les humains. Mais dans le cadre de la formation de l’Univers, ce n’est qu’un événement parmi d’autres. L’Univers est né avec sa structure de temps, d’espace et de matière. Ensuite, des étoiles se sont formées – ce qui ne va toutefois pas de soi. Certains critères doivent être réunis pour qu’une étoile naisse. Les étoiles, à leur tour, fabriquent des atomes, c’est-à-dire les éléments constitutifs de la matière. Tout naît dans les étoiles, c’est fantastique. Nous devons la naissance d’une étoile aux lois de la physique. Mais cela devient vraiment intéressant lorsque la chimie entre en jeu. C’est grâce à elle que la vie peut apparaître – si les conditions sont réunies. Sur Terre, elles sont optimales.

L’apparition de la vie est donc pour vous un processus chimique. Vous êtes également d’avis qu’il n’y a pas besoin de Dieu comme créateur de la vie. Pourquoi pas?
L’idée d’un plan divin est fausse. Notre Univers permet la naissance d’étoiles et le développement de la vie. Il n’y a pas besoin de plan pour cela. On peux imaginer qu’il y a un nombre infini d’autres univers avec des propriétés très différentes. Mais là on est au-delà des connaissances du monde physique intelligible.

«Le but de la science n’est pas de faire quelque chose. Elle cherche à comprendre»

Dans une interview accordée à un journal, vous avez déclaré: «Au cours de ce siècle, nous obtiendrons le pouvoir divin de création en créant la vie artificielle à partir de zéro." Pourquoi est-il important que l’homme puisse créer lui-même la vie?
La question de l’importance ou de la nécessité est une question morale, pas scientifique. Le but de la science n’est pas de faire quelque chose. Elle cherche à comprendre. Nous avons ainsi découvert l’énergie nucléaire et développé des armes nucléaires. L’explosion d’une bombe à hydrogène pourrait un jour nous anéantir. Devons-nous pour autant renoncer à la connaissance? Cela signifierait la fin de notre espèce, qui est basée sur la connaissance. Sans le savoir, elle n’a pas d’avenir. Nous nous trouvons dans une situation totalement illogique: nous devons au savoir le niveau de développement que nous avons atteint. Nous ne pouvons pas le rejeter. Car le désir et la capacité de comprendre font partie de nous. Nous avons un cerveau incroyablement efficace – un cadeau de l’Univers.

La Terre, si belle et si fragile | © DonkeyHotey/Flickr/CC BY 2.0

Malgré tout, certains se demandent à quoi sert toute cette recherche si nous ne parvenons même pas à préserver notre planète en tant qu’espace vital?
Vous avez raison. Mais je pense que vous ne posez pas la bonne question. Le fait que nous ne parvenions pas à protéger la planète n’a rien à voir avec la question de savoir si la recherche est utile ou non. Il ne s’agit pas d’un problème scientifique. Le problème vient de notre comportement. Notre espèce est dangereuse. Renoncer maintenant à la recherche et au savoir ne sert à rien. Cette solution arrive trop tard – nous aurions déjà dû disparaître il y a un million d’années. Aujourd’hui, nous devons nous demander: que pouvons-nous faire pour améliorer nos chances de survie en tant qu’homo sapiens? Comment pouvons-nous mettre en œuvre ces connaissances en ce qui concerne le comportement de notre espèce?

Une question personnelle: avez-vous été élevé dans une tradition religieuse?
La famille de mon père a des racines jurassiennes, elle est donc catholique. Ma mère est grecque orthodoxe. Mes parents étaient actifs dans le mouvement scout catholique. Je me souviens que nous participions à des messes familiales à l’église. J’ai reçu une certaine éducation catholique et j’ai été baptisé, mais je n’ai jamais reçu d’inspiration divine. Mais je m’intéresse aux phénomènes religieux. Les grands édifices religieux, par exemple, m’ont toujours fasciné. Quand on voit une cathédrale, on pense inévitablement: ces gens ont été inspirés, Dieu leur a parlé. Il est incroyablement difficile de construire une cathédrale. Les cathédrales sont des bâtiments magnifiques, et il y en a des centaines. (cath.ch/kath.ch/bal/mp)

*L’astrophysicien genevois Didier Queloz (58 ans) met en place depuis 2021 à l’EPF de Zurich un centre qui étudie les origines de la vie. En 2019, il a reçu le Prix Nobel avec Michel Mayor pour la découverte de la première planète en orbite autour d’une étoile semblable au soleil. Il est l’un des quelque 80 membres de l’Académie pontificale des sciences.

Rédaction

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