Certains prêtres possèdent peut-être un trésor insoupçonné: leur connaissance du latin. Une langue certes morte, mais régulièrement ressuscitée par le cinéma qui aime mettre en scène des époques passées.
C’est ce qu’a pu constater le Père Bernhard Lütkemöller, il y a quelque temps. Rien ne prédestinait le prêtre né en Westphalie, à l’ouest de l’Allemagne, à jouer un rôle dans l’industrie cinématographique. Il a été, pendant la majeure partie de sa carrière, curé de la paroisse St. Vitus, à Olfen, une petite ville entre Münster et Dortmund. Jusqu’à ce que des problèmes de santé le forcent à quitter ses fonctions. Le prêtre trouve alors un nouveau foyer dans une résidence pour personnes âgées au cœur de Berlin. A proximité de son appartement, se situe une ancienne caserne.
Le lieu éveille la curiosité du Père Lütkemöller, qui se demande quel type d’activités peut s’y dérouler, raconte l’agence de presse allemande KNA. Un jour qu’il sort de la résidence pour aller prendre le train, il remarque deux personnes en train de fumer devant l’ancienne caserne. Il décide d’engager la conversation. Le prêtre apprend qu’ils sont des employés du studio d’enregistrement FFS Film- und Fernseh-Synchron GmbH, installé dans le bâtiment. L’entreprise double depuis 50 ans en allemand des films et des séries du monde entier. La FFS a permis aux spectateurs germanophones de comprendre plus de 7000 œuvres, dont la série de longs-métrages Harry Potter.
«Quand les acteurs américains parlent en latin, c’est incompréhensible»
«J’ai trouvé cela extrêmement intéressant», confie le prêtre à KNA. Il demande donc à pouvoir visiter les studios. Mais, à ce moment-là, la pandémie de Covid-19 ne lui permet pas de le faire. Il laisse donc aux deux employés sa carte de visite portant la mention: «Prêtre à la retraite, diplômé en théologie».
L’histoire aurait pu en rester là, mais Bernhard Lütkemöller est contacté quelque temps plus tard par le directeur du studio. Ce dernier lui propose un marché: il peut visiter les lieux s’il aide son équipe pour le doublage d’un film. Il s’agit de Killers of the Flower Moon, un film de Martin Scorsese, nominé aux Oscars, avec Leonardo di Caprio et Robert de Niro. Le long-métrage raconte l’histoire de la tribu amérindienne des Osages, dans l’Oklahoma des années 1920. Alors que certains membres de ce peuple s’étaient convertis au catholicisme, le film présente une scène de messe prononcée en latin.
La FFS a tout d’abord demandé à Bernhard Lütkemöller de coacher l’acteur chargé de doubler le prêtre. Il s’agissait de lui apprendre à prononcer correctement le latin et de lui faire comprendre les bases de la liturgie. Le prêtre allemand a d’abord dû décrypter la version originale. «Quand les acteurs américains parlent en latin, c’est incompréhensible», commente l’ecclésiastique.
Une fois ce travail réalisé, la directrice de l’enregistrement l’approche en lui indiquant avoir «encore quelque chose en latin». Cette fois, la difficulté monte d’un cran. Il ne s’agit plus de servir de consultant, mais d’effectuer un véritable doublage. Cela concerne la troisième saison de la série Netflix Vikings: Valhalla. L’histoire se déroule au 11e siècle. A une époque où existait une rivalité entre les vikings s’étant convertis au christianisme et ceux restés fidèles à l’ancienne religion païenne. Et où le latin était la langue parlée au Vatican. Il est demandé au Père Lütkemöller de doubler la voix du pape Jean XIX lors d’une audience du roi Knut avec son épouse.
«Salve, filia mea» (Sois saluée, ma fille) est l’une des phrases du pape à la reine que le prêtre a enregistrée en été 2023. Dans le magasine d’Église Kirche+Leben, l’ancien curé se montre modeste face à cette expérience. «Après tout, il ne s’agissait que de trois phrases. Ce n’est donc pas une grosse affaire.» Comme le studio a une réputation de professionnalisme à maintenir, il a tout de même dû suivre une formation accélérée en doublage. Son expérience de prédicateur l’a aidé dans cet exercice assure-t-il.
Bernhard Lütkemöller n’a pas non plus été dissuadé par la mauvaise réputation du pape Jean XIX. Lorsqu’il a accédé au trône de Pierre, en 1024, il n’était même pas prêtre. L’homme originaire du Latium a ravi ce titre suite à des intrigues de pouvoir et a bénéficié de toutes les ordinations d’un seul coup. Décédé en 1032, il était considéré comme mondain, cupide et inconstant. Il semble avoir été le premier pape à produire une indulgence en échange de l’octroi d’aumônes.
La troisième et dernière saison de Vikings: Valhalla, dans laquelle l’on peut entendre la tirade en latin du prêtre allemand, est sortie le 11 juillet 2024 sur Netflix. Le Père Lütkemöller a assuré qu’il ne comptait pas regarder la série, expliquant qu’il n’était pas abonné à Netflix. Il affirme cependant que sa voix grave a plu au studio d’enregistrement, dont les responsables lui ont dit qu’il «pouvait revenir». (cath.ch/kna/kircheundleben/arch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
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