Au Mali, l’enlèvement du Père Lohre a rapproché chrétiens et musulmans

Son «année sabbatique». C’est ainsi que le prêtre Hans Joachim Lohre décrit sa captivité par un groupe djihadiste au Mali, entre novembre 2022 et novembre 2023. Le Père Blanc allemand est persuadé que de cette épreuve est sorti un bien.

Le Père Lohre respire le calme et la sérénité. Rien n’indique dans l’attitude de ce grand homme à lunettes et à barbe blanche qu’il a traversé l’expérience particulièrement traumatisante de la prise d’otages. Pour le missionnaire, cela s’est passé entre le 20 novembre 2022 et le 26 novembre 2023, au Mali. De passage fin juillet 2024 à l’Africanum, le siège des Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) de Suisse, à Fribourg, il a raconté son histoire à cath.ch.

«C’est arrivé!»

«J’ai eu la grâce de rester parfaitement calme au moment où j’ai compris que j’étais en train de me faire enlever par des djihadistes», se souvient HansJoachim Lohre. Il a d’abord cru à une arrestation par les services secrets maliens. Les trois hommes qui l’ont fait monter de force dans une Mercedes portaient en effet les uniformes de l’armée nationale. «Je me suis alors demandé: qu’est-ce que j’ai pu écrire sur les réseaux sociaux qui leur a déplu? Mais je ne trouvais pas.»

Dès que la voiture a dépassé le secteur des bases militaires, le prêtre a réalisé qu’il ne s’agissait pas de vrais soldats. «Je me suis dit: voilà, c’est arrivé.» Depuis que la présence djihadiste s’était avérée au Mali en 2012, plusieurs enlèvements de religieux occidentaux s’étaient produits. «Bien sûr j’étais conscient que cela pouvait survenir. Mais pour rien au monde je ne serais rentré en Allemagne. Ce que je faisais dans ce pays donnait un sens à ma vie», assure le missionnaire.

Scène de rue à Bamako, la capitale du Mali | © Lonni Friedmann/Flickr/CC BY-NC 2.0

Hans-Joachim Lohre résidait depuis 1981 au Mali. Il y a exercé plusieurs fonctions, avec comme toile de fond les relations entre l’islam et le christianisme. Grand connaisseur de la religion musulmane, il  a notamment été responsable du dialogue interreligieux pour la Conférence épiscopale du Mali. Au moment de son enlèvement, le Père «Ha-Jo», comme il est appelé dans le pays, était une figure plutôt connue.

«Nous sommes en guerre contre l’Allemagne»

Ses ravisseurs l’ont d’abord amené dans un coin de brousse. Rapidement, l’un des kidnappeurs lui a dit: «Mon Père, n’ayez pas peur. Nous, on ne va rien vous faire. Nous sommes les bons, nous sommes d’AlQaïda. Nous ne sommes pas comme l’État islamique (EI) qui tuent les gens sans raison.» Le Père Lohre a compris qu’il était aux mains du Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans – JNIM),  lié au mouvement créé par Oussama Bin Laden. Le prêtre savait aussi que cette tribu touareg radicalisée n’avait pas l’habitude d’exécuter ses otages, mais plutôt de les libérer contre rançon.

«Nous t’avons enlevé parce que l’Allemagne est en guerre contre nous, lui a expliqué l’un des chefs. Nous voulons que tous les soldats allemands quittent le Mali. Ils soutiennent l’armée malienne pour nous tuer.» Effectivement un contingent allemand était à l’époque dans le pays dans le cadre d’une mission de l’Union européenne visant à la formation de l’armée nationale.

Messe de Noël en pleine brousse

Peu après être sorti de la voiture, on a demandé au missionnaire de se déshabiller, lui donnant un nouveau T-shirt. «Dessus, il était écrit ‘I love my King’. Le jour où j’ai été enlevé, c’était la solennité du Christ-Roi. Je me suis dit: «Vous pouvez tout me prendre, mais pas ma foi en Jésus.» Le désespoir n’a jamais gagné le prêtre. «Je me suis dit que je commençais mon année sabbatique, que j’allais avoir du temps pour prier, pour approfondir ma foi.»

Au cours de sa captivité, HansJoachim Lohre a été emmené dans plusieurs lieux du Mali. Ses conditions de détention ne se sont pas apparentées à d’autres cas de prises d’otages djihadistes, beaucoup plus brutales. «Je n’ai jamais été insulté, ni maltraité. Au contraire, tout a été fait pour que mon séjour soit le moins pénible possible.»

Les ravisseurs n’ont montré aucune animosité envers le prêtre, lui témoignant même du respect et de la sympathie. «Un jour, je voulais aller laver mon T-shirt. Un jeune qui me gardait, voyant que je voulais le faire, m’a pris mon vêtement des mains en disant: ›Donne, on va faire ça pour toi, parce que tu es le vieux’. Les jeunes africains ont toujours une grande estime pour les personnes âgées.»

«Ils veulent retrouver l’âge d’or des premiers siècles de l’islam, qui était pour eux une ère de perfection»

Dans un autre endroit, un de ses gardiens lui a offert son manteau de cachemire, afin qu’il n’ait pas froid la nuit. «Ils me demandaient souvent: ›On va au marché, qu’est-ce que tu veux que l’on te rapporte?’ J’ai demandé des fruits, et le jeune est revenu avec des bananes, des oranges, des pommes.»

Le Père Blanc a également pu bénéficier de visites médicales, de tous les médicaments dont il avait besoin, ainsi que d’une radio. C’est ainsi que, le 24 décembre 2022, il a pu écouter la messe de Noël en direct de St-Pierre de Rome. «Un moment très émouvant, qui m’a fait vivre ce Noël en communion avec l’Église universelle.»

Prières simultanées

Ses gardiens le laissaient également pratiquer sa religion. Ils priaient en même temps, lui, selon les rites chrétiens et eux musulmans. Il a célébré ainsi l’Eucharistie avec le pain des djihadistes, mais n’a jamais pu obtenir de vin. Pendant le Ramadan, il s’est «auto-prêché» une retraite ignatienne de 30 jours.

Les kidnappeurs ont tout de même tenté de le convertir à l’islam, mais sans menace. «Mahmud, un jeune qui me gardait dans les derniers mois, m’aimait beaucoup. Il me demandait régulièrement de devenir musulman. Un jour, il a pleuré parce que j’irais en enfer si je ne convertissais pas. Je lui ai dit: ‘Non, moi j’irai au Ciel. Ce sont ceux qui tuent qui iront en enfer’.»

«Je n’ai jamais eu aucune haine ni rancœur pour eux»

Au cours des semaines, il a appris à connaître les vies de ses ravisseurs et leurs motivations. Il a discuté longuement avec certains, notamment sur des thématiques de religion. «Je pense que ma connaissance de l’islam m’a aidé à communiquer avec eux, à me faire accepter et respecter.»

Des personnes pas méchantes, mais «mal guidées»

Ces gardiens étaient souvent des hommes très jeunes, parfois des adolescents. Certains d’entre eux venaient de Bamako, où ils étaient au chômage ou faisaient de petits boulots, d’autres étaient des bergers de la campagne. Quand le Père Lohre leur demandait pourquoi ils étaient devenus djihadistes ils disaient: «Nous avons été écœurés de voir que les musulmans ne vivent pas leur foi, qu’ils boivent, qu’ils fument, qu’ils se droguent, que les filles portent des mini-jupes et tombent enceintes avant le mariage.»

Paysage du Mali | photo d’illustration © Hugues/Flickr/CC BY-SA 2.0

Un jour, au sortir d’une mosquée, quelqu’un leur a dit qu’il fallait prendre la parole du Coran au sérieux, et que si le gouvernement ne le faisait pas, il fallait prendre les armes pour imposer la charia (loi islamique) au Mali. «Ils veulent retrouver l’âge d’or des premiers siècles de l’islam, qui était pour eux une ère de perfection, explique HansJoachim Lohre. Ils se voient comme les premiers adeptes du prophète Mahomet, qui se battaient contre les infidèles, qui sont maintenant, les États-Unis, l’Occident en général. Ils disaient notamment que le gouvernement malien veut ‘imposer la démocratie des blancs’. Ce ne sont pas des gens méchants, mais qui sont juste mal guidés».

Retour vers l’Allemagne

Vers la fin de sa captivité, il a été en contact avec trois otages italiens, dont un jeune missionnaire témoin de Jéhovah. Ces contacts humains avec des personnes partageant sa condition ont été précieux et lui ont permis de soutenir son moral. Malgré tout, un soir de novembre 2023, face au ciel du désert, il a dit à Dieu qu’il ne serait pas encore trop tard pour accomplir le miracle, c’est-à-dire le ramener à la maison avant un an de captivité.

Quelques jours plus tard, l’un des chefs est venu lui signifier qu’il rentrait en Allemagne. Le dimanche 26 novembre, solennité du Christ-Roi … à nouveau… et jour anniversaire de la mort du fondateur des Missionnaires d Afrique, il était libre, en route vers son pays natal.

Le mal changé en bien

Au moment de partir, plusieurs ravisseurs lui ont demandé pardon pour ce qu’ils lui avaient fait subir. «Mais je n’avais rien à pardonner, assure le missionnaire. Je n’ai jamais eu aucune haine ni rancœur pour eux.» Au contraire, le Père «Ha-Jo» estime que cette expérience lui a beaucoup apporté spirituellement. «Dès le début de mon enlèvement, j’ai repensé à l’histoire de Joseph, dans l’Ancien Testament, qui est vendu par ses frères, avant de devenir un homme puissant en Égypte. Lorsqu’il les retrouve, ils sont sûrs qu’il va se venger, mais Joseph leur dit: ‘Soyez sans crainte; car suis-je à la place de Dieu? Vous aviez médité de me faire du mal: Dieu l’a changé en bien’ (Genèse,50,20)».

Et le bien, le Père Blanc le voit aussi dans la réaction qu’a provoquée son enlèvement. Une mobilisation immense au Mali, dont le prêtre s’est rendu compte plus tard. Les Pères Blancs ont notamment lancé un mouvement de prière pour sa libération, relayé dans les mosquées du pays. «C’est un fait, que cet événement a rapproché les musulmans et les chrétiens du pays.»

Aujourd’hui, HansJoachim Lohre aimerait revenir au Mali. Mais les risques sont trop élevés, car les personnes enlevées une seconde fois ne reviennent d’habitude pas. «J’ai conscience maintenant que si, pour moi, cette expérience a été moins dure que pour d’autres, cela a été terrible pour mes proches qui étaient sans nouvelles et dans l’angoisse continuellement. Je ne voudrais pas que ma famille me renie définitivement», sourit-il. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

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