«Il ne faut pas attendre pour dire 'Je t’aime’ à nos personnes âgées»

«Dans ma vieillesse, ne m’abandonne pas». Tel est le thème choisi par le pape François pour la IVe Journée mondiale des grands-parents et des personnes âgées, célébrée le 28 juillet 2024. L’aumônière en maisons de retraite Corinne Gossauer-Peroz scrute le défi de la solitude et la place de la foi au dernier âge de la vie.

Corinne Gossauer-Peroz est engagée depuis 2017 comme aumônière catholique dans plusieurs établissements médico-sociaux (EMS) du canton de Vaud. Elle a notamment tiré de son expérience le livre Garde-moi vivant, vieillir et le dire! (St-Augustin-2020). interview.

Comment la foi et la prière peuvent-elles aider les résidents à trouver du réconfort face à leurs craintes d’abandon?
Corinne Gossauer-Peroz: La foi et la prière sont les ressources premières et dernières de la génération des personnes qui ont entre 80 et 100 ans et plus, que je rencontre en EMS, parce qu’elles ont été élevées avec une éducation religieuse comme fondement. Pour certaines, cette éducation a donné lieu à une vie spirituelle vivante. Ainsi, la foi et la prière peuvent être sources de réconfort si elles ont déjà été des ressources au cours de la vie active.

Corinne Gossauer-Peroz, accompagnatrice spirituelle en EMS vaudois | © Grégory Roth

La prière est une ressource essentielle autant sur le plan individuel que lors des célébrations. Beaucoup de personnes me disent: «Je prie tous les soirs». Un monsieur de plus de 90 ans, me disait récemment: «Tous les matins, je dis à Dieu: ‘Aide-moi!’ Et il le fait!». Il ajoutait: «Que l’individu est ingrat! Quand on est jeune, on oublie de dire ‘merci’ à Dieu, et quand on est âgé, on dit ‘aide-moi!’»

«Les proches viennent souvent visiter les résidents en leur apportant des réponses ou des solutions qu’ils ne sollicitent pas»

La prière du Notre Père est un fondamental! Je frissonne souvent à la fin d’une célébration en psychiatrie de l’âge avancé où, malgré des problèmes cognitifs, le Notre Père demeure dans les mémoires, restant une prière d’unité…

Quels rôles jouent les sacrements et les rituels religieux dans le soutien des résidents qui se sentent seuls ou abandonnés?
Pour les sacrements et les rituels religieux, c’est du même ordre que la prière: ils s’inscrivent dans ‘l’aujourd’hui’ seulement s’ils étaient des soutiens par le passé… Il n’y a pas de miracle!

Au cœur du vécu, en particulier pour les protestants évangéliques, les cantiques peuvent être – et sont souvent – des ressources qui vont jusqu’à accompagner la fin de la vie. Les paroles chantées et apprises dans la jeunesse voire l’âge adulte, sont un profond réconfort.

Quels passages bibliques ou prières vous arrive-t-il d’utiliser pour rassurer et encourager les résidents?
Le Psaume 70 (71), sur lequel le pape fonde ses réflexions pour cette année, est pour moi aussi un texte que j’utilise. J’ai du reste écrit une prière à partir de ce Psaume, dans le livre dont je suis l’auteure Garde-moi vivant: vieillir et le dire, et je la lis souvent. Le Psaume 22 (23): Le Seigneur est mon berger est aussi un texte que je lis souvent: il dit bien que le Seigneur accompagne toutes les étapes de la vie.  

Et la fin du chapitre de Romains 8: «Rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu» est aussi un joyau: l’assurance affirmée que ni la maladie, ni la vieillesse, ni la solitude, ni les doutes, ne peuvent nous séparer de l’amour de Dieu.

Pensez-vous que les proches des résidents sous-estiment parfois leur solitude et leurs besoins affectifs?
Je constate régulièrement que les proches viennent visiter les résidents en leur apportant des réponses ou des solutions qu’ils ne sollicitent pas…. Il y a une véritable difficulté à écouter les vrais besoins des personnes âgées, qu’elles soient toujours à domicile ou en EMS. Là aussi, l’affectif se vit sur ce qui a été – ou pas – partagé et exprimé au cœur des relations. La pudeur est un véritable phénomène… Savons-nous dire ou montrer à ceux que nous aimons que nous les aimons? Si aujourd’hui, nous n’y parvenons pas, il sera compliqué voire impossible de le faire quand ils seront âgés…

«La vieillesse est un lent et progressif ‘lâcher prise’»

Je n’oublie pas cette résidente entourée par ses enfants qui venaient souvent manger avec elle mais qui avaient les yeux rivés sur son assiette, «pour qu’elle mange tout!» Alors qu’elle aurait souhaité vivre un vrai moment d’échange avec eux, un moment qui aurait été un espace de joie et non d’encouragements pour finir son assiette.

La solitude est-elle le principal problème du grand âge?
Je trouve un peu réducteur voire simpliste de toujours parler de la solitude des personnes âgées car la solitude traverse tous les âges de la vie! Dans la vieillesse, une chose est sûre, les personnes voient leurs amis décéder; ainsi une dame m’a dit: «Ce qui est difficile, c’est de ne plus avoir quelqu’un avec qui je peux dire: tu te souviens?…»  

«L’humour et le pragmatisme des anciens est lumineux et contagieux!»

Je constate que les familles, même en étant présentes, ne peuvent combler l’immense douleur des renoncements par rapport à ce qui faisait une vie. Abandonner son chez soi d’abord, ses habitudes et ses repères, puis constater tous les jours que les forces physiques voire cognitives diminuent…  C’est ici, qu’il y a une profonde solitude qui peut être difficile à rejoindre quand on est plus jeune, avec ses capacités physiques, sa rapidité dans la réflexion et les déplacements, etc… La vieillesse est un lent et progressif «lâcher prise» qui est par définition un lieu de solitude:  il faut tout abandonner ou presque…

Quels gestes peuvent-ils soulager cette solitude?
Un autre aspect de la solitude est la question qui hante les jours et la fin de vie: «Qu’ai-je fait de ma vie? Elle est si vite passée!» Avec une relecture des événements qui font une vie, viennent des regrets ou des nostalgies… Rejoindre cette solitude, c’est pouvoir, par exemple, dire aux personnes vieillissantes ce à quoi elles ont contribué, ce qu’elles ont accompli, ce qu’elles ont transmis et qui demeurera…  En un mot, la différence qu’elles ont apporté autour d’elles et dans nos vies.

Qu’apportent finalement les personnes âgées et vulnérables aux autres et à la société?
En tant qu’aumônier/accompagnante spirituelle, je côtoie le découragement et les questionnements liés à la vieillesse et à la fin de vie, mais je constate tant de courage et de dignité. La contribution des personnes âgées est le «poids d’une vie», la richesse d’une vie, qui au-delà des souvenirs passionnants d’un autre temps est un témoignage de fidélité et de persévérance déployées au quotidien. Et puis l’humour et le pragmatisme des anciens est lumineux et contagieux! (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/il-ne-faut-pas-attendre-pour-dire-je-taime-a-nos-personnes-agees/