Que peut-on dire anthropologiquement de Lourdes?
Lourdes est un lieu pluriel, en grande partie cadré par l’Église catholique romaine, qui s’est développé sur la base d’une histoire très forte qui a débuté en 1858 avec Bernadette. Au fil du temps, des dispositifs ont été organisés ici, des rituels variés, sacramentels ou non, qui cherchent à favoriser et cadrer une mise en relation entre humains et êtres divins.
Les pèlerins, vont négocier, lors de ces temps rituels, comment comprendre leurs expériences de maladie, de malheurs, de questionnements, leurs difficultés de vie, de manière subjective et en regard avec ces temps vécus ensemble.
«Avec les autres pèlerins, le malade n’est plus seul avec son expérience de souffrance»
L’expérience d’un malade qui va aussi être mis en lien avec les autres personnes…
Oui, c’est une des grandes forces de l’expérience pèlerine! Avec les autres pèlerins, les hospitaliers, les brancardiers, les bretelles de cuir, les prêtres, et les autres malades, la place que la personne se fait dans ces nouvelles relations peut avoir un véritable effet sur la manière dont elle se perçoit et interprète ce qu’elle vit: elle fait pleinement partie d’une communauté!
Lourdes est un temps rituel qui favorise et ordonne l’expérience en lui donnant une profondeur particulière. Ainsi la personne n’est plus seule avec son expérience de maladie et de souffrance, mais elle la partage avec d’autres, et aussi, selon ses conceptions, avec Marie, Jésus, Dieu, … et Bernardette.
Il y en a pour tous les goûts…
Pour certains, c’est l’adoration eucharistique qui sera le point focal de la semaine, ou les processions à la Vierge en fin de journée. Pour d’autres, ce sera d’aller se baigner à la piscine ou le fait de ramener de l’eau de Lourdes à la maison pour pouvoir en boire toute l’année ou en distribuer à ses proches. C’est un lieu construit avec des dispositifs multiples pour permettre des expériences intenses, qui peuvent être donc transformantes pour les personnes.
«A Lourdes, la personne ‘bienportante’ va modifier son regard sur la maladie»
Les ‘bienportants’ disent souvent : «ici, ce sont les malades qui nous portent…»
Oui, parce que nous sommes dans une société ‘santéiste’ : la santé est le bien et la valeur suprêmes. Être en santé confère un statut enviable ; la personne malade est plutôt dévaluée socialement, notamment car elle peut vivre de la dépendance et avoir besoin des autres dans plusieurs sphères de sa vie. Dans l’espace public, il y a peu de représentations de corps malades.
Alors qu’à Lourdes, la proximité de la personne ‘bienportante’ avec le malade va lui permettre de modifier son regard sur la maladie et l’imaginaire associé. Le rapport à l’altérité n’est plus si marqué, parce que le point de rencontre est la foi : tout le monde est en cheminement dans cette vie vers quelque chose d’autre qui est au-delà du statut « terrestre », au-delà de la maladie.
«Un lieu qui souhaite rendre le divin plus proche, y compris de la maladie»
Pour les hospitalier·ère·s aussi, une expérience transformante est possible…
Oui, car les malades ne sont pas forcément avec les personnes qui s’occupent d’eux durant l’année. Et pour les hospitalier·ère·s – qui soient professionnel·le·s de soin ou non –, la sortie du contexte habituel permet davantage de rencontres. Le livre de Laurent Amiotte-Suchet est très éloquent à ce sujet. Pour une fois, la maladie n’est pas un obstacle, mais une porte d’entrée à la spiritualité et à la foi. Et Lourdes a vraiment cela de particulier: c’est un lieu qui souhaite rendre le divin plus proche, y compris de la maladie et de la souffrance humaine.
A Lourdes, tout ne tourne pas autour de la figure du clergé. Comment l’expliquer?
Il faut d’abord rappeler que dans l’histoire de Lourdes, il y a tout un temps de tâtonnements pour l’Église, entre ce que Bernadette dit de ses perceptions, et comment l’Église se positionne, communique à ce sujet et cadre la dévotion. Le livre d’Elisabeth Claverie est intéressant car elle raconte ces négociations à travers le temps.
Lourdes est un univers unique, où des personnes venues d’horizons divers se rencontrent, qui permet à différentes sensibilités de s’exprimer, que ce soit dans les dévotions mariales, dévotions personnelles, liées aux soins et à l’eau, qui ne nécessitent pas toujours de sacrement. Et pour les prêtres aussi, peut-être le changement de lieu leur permet d’expérimenter d’autres aspects de leur ministère, de se laisse porter et de se mettre à l’écoute des malades et des pèlerins d’une autre manière.
«Être valorisé et reconnu dans son chemin de maladie peut être une forme de guérison»
Qu’est-ce qui fait que les malades – non guéris – vont retourner à Lourdes?
Cela dépend comment vous voyez la guérison. Si la personne se met en relation avec des personnes intéressantes, des êtres spirituels et divins, et elle est valorisée et reconnue dans son chemin de maladie, cela peut être une forme de guérison ou d’apaisement. L’idée de la guérison, c’est d’abord un ‘mieux’, trouver un équilibre, et pas forcément la disparition de la maladie. En anglais, on distingue le ‘healing’ (guérir) du ‘curing’ (soigner).
Et cela dépend où vous situer l’attente, car elles sont multiples : désir de miracle ou non, mieux-être physique ou « miracle des cœurs »,… Il serait intéressant pour moi de m’entretenir avec plusieurs malades, accompagnant·e·s et membres du clergé pour découvrir ce que Lourdes a changé (ou non) dans leur vie. Cela pourrait être l’objet d’une prochaine étude [rire]… (cath.ch/gr)
En dialogue avec l’invisible
Aurélie Netz a publié un troisième livre d’entretiens pour comprendre la spiritualité d’aujourd’hui. Après une étude des cercles de femmes et des femmes en quête de guérison, elle élargit le spectre de recherche aux personnes qui estiment avoir des relations avec des êtres spirituels. Comment entretiennent-elles cette relation? Pourquoi est-ce important pour elles? Et comment cette relation change-t-elle leur vie? GR
Grégory Roth
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/lourdes-2024-sous-la-loupe-dune-anthropologue/