50 ans plus tard, l'esprit de réconciliation souffle peu sur Chypre

Le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis et le président turc Recep Tayyip Erdogan se sont rendus à Chypre le 20 juillet 2024, restant chacun d’eux d’un côté des barbelés, pour commémorer les 50 ans de l’invasion du nord de l’île par l’armée turque et la partition du territoire. Tout un symbole…

Située à l’est de la Méditerranée, l’île de Chypre est scindée depuis un demi-siècle entre les Chypriotes turcs au nord et les Chypriotes grecs au sud. Le 15 juillet 1974, le pouvoir grec, alors tenu par une junte militaire, tentait un coup d’État pour rattacher Chypre à Athènes. Quelques jours plus tard, l’armée turque débarquait sur le nord de l’île au motif de défendre la minorité turcophone. L’île était déjà séparée par la ligne verte créée par l’ONU en 1964, quatre ans après la déclaration de son indépendance du Royaume-Uni.

Jusqu’à 200’000 réfugiés chypriotes grecs sont alors déplacés vers le sud, dans des camps construits dans l’urgence par le Service spécial pour les soins et la réadaptation des personnes déplacées chypriote créé par le gouvernement chypriote.

De part et d’autre de cette ligne, Chypriotes grecs et turcs vivent aujourd’hui toujours séparés. L’île est partagée entre la République turque de Chypre Nord (RTCN), fondée en 1983 et officiellement reconnue uniquement par Ankara, et la République de Chypre, soutenue par la Grèce.

Des nationalismes très marqués

La question n’a jamais été réglée, malgré le projet de réunification de 2004 du secrétaire général de l’ONU Kofi Annan. Le plan prévoyait la création d’une république fédérale, communautaire et bizonale, mais il avait été refusé à 75% par les Chypriotes grecs lors d’un référendum. L’entrée de la République de Chypre dans l’Union européenne au printemps de la même année n’a pas plus fait bouger les lignes.

Interrogé par Vatican News le 18 juillet 2024, Gilles Bertrand, spécialiste de Chypre et maître de conférences au Centre Émile Durkheim de l’Université de Bordeaux, a affirmé que les obstacles à la réunification sont le fait des nationalistes chypriotes des deux bords. «Les déclarations d’Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy dans les années 2008-2009 contre l’adhésion de la Turquie à l’Union européenne ont aussi fermé des portes», a-t-il estimé.

Le traumatisme des déplacements forcés

Dans la zone sud de la République de Chypre, 80% de la population est grecque orthodoxe. Les Arméniens, catholiques et maronites représentent pour leur part environ 2% de la population. En décembre 2021, le pape François s’était rendu sur l’île, où il avait été accueilli par Chrysostome II, alors archevêque orthodoxe de l’île, décédé un an plus tard – depuis le 24 décembre 2022, le nouvel archevêque de l’île est le métropolite Georges de Chypre.

Ouvert au dialogue œcuménique, proche de la Communauté Sant’Egidio, Chrysostome II était reconnu comme un homme de réconciliation. Ce jour-là pourtant, devant le pape en visite au Saint-Synode orthodoxe de Chypre, il avait évoqué le «nettoyage ethnique» des Turcs. L’archevêque orthodoxe avait déploré le fait que les «200’000 habitants chrétiens qui ont été expulsés de leurs foyers paternels avec une barbarie incroyable» ont été «remplacés par plus du double de colons arrivés du fin fond de l’Anatolie, détruisant ainsi notre culture classique».

Gilles Bertrand estime néanmoins que «l’Église grecque orthodoxe n’est pas un obstacle à la réunification de la République». Si «les derniers archevêques de l’Église étaient plutôt du côté nationaliste, d’autres membres de l’Église ont dénoncé le nationalisme», remarque-t-il. (cath.ch/vn/lb)

Lucienne Bittar

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