En novembre 2023, l’Abbaye de St-Maurice vivait un véritable séisme avec la diffusion d’un reportage de l’émission de la RTS Mise au Point, qui présentait des accusations d’abus sexuels contre plusieurs chanoines. L’un des cas qui a fait le plus de bruit a été celui du chanoine G.R., fonctionnant également comme curé d’une ville valaisanne.
G.R. était accusé d’attouchements par une femme d’une trentaine d’années alors que cette dernière avait douze ans, au début des années 2000. Des faits aujourd’hui prescrits, pour lesquels la justice a rendu trois fois un jugement de non-lieu. G.R. a été mis en retrait, après l’émission, de son poste de curé, en attendant que les choses se clarifient. Pour ce faire, l’Abbaye de St-Maurice (VS) a mandaté en février 2024 un groupe de travail indépendant, mené par le procureur neuchâtelois Pierre Aubert, afin de faire la lumière sur les abus commis à l’Abbaye ou dans ses institutions.
Quelques mois plus tard, G.R. a cependant exigé, en clamant son innocence, d’être remis en fonction, se lançant dans une grève de la faim. Le prêtre a retrouvé sa place le 8 mai 2024. Une décision prise par l’Abbaye, une institution qui répond uniquement au Vatican, mais à laquelle le diocèse de Sion a aussi dû donner son accord, le chanoine ayant des missions hors du territoire abbatial.
Le retour de G.R. a provoqué des protestations, de la part notamment d’associations de victimes. «Au moment où nous avons pris cette décision nous n’avions aucune nouvelle information. L’attente d’un retour du Ministère public ne justifiait pas alors, selon notre jugement, une prolongation de la mise à pied», explique Jean-Michel Girard, administrateur de l’Abbaye, dans le communiqué du 8 juillet. Il a toutefois été demandé à G.R. de ne plus s’occuper de la catéchèse, souligne le chanoine du Grand-Saint-Bernard à cath.ch, ce dont les parents ont été informés
«L’évêque s’est inscrit dans une démarche d’apaisement, face à d’importantes pressions. Nous avons reçu des pétitions et des lettres anonymes de paroissiens pour réhabiliter le chanoine et il y a eu également l’épisode de la grève de la faim», a expliqué de son côté Pierre-Yves Maillard, vicaire général du diocèse de Sion, dans Mise au Point.
Au moment de la réhabilitation de G.R., une seule accusation à son encontre était connue. Mais une seconde émission de Mise au Point, le 7 juillet 2024, a apporté de nouveaux éléments. Il s’est agi notamment de témoignages sur des comportements inappropriés du chanoine. Plusieurs jeunes femmes se sont plaintes de gestes et de propos inadéquats que le chanoine aurait eus sur elles alors qu’elles étaient adolescentes. Des signalements transmis à l’enquête externe mandatée par Saint-Maurice.
Il était très intrusif et nous disait des phrases du type ‘Quel joli pull, tes seins ressemblent à des collines’. D’autres témoignages diffusés dans l’émission font état d’une proximité corporelle inappropriée et de gestes déplacés. A l’époque, les parents des jeunes filles concernées n’ont pas dénoncé le chanoine: «C’était le curé, une personne importante, respectée», ont-elles expliqué.
De nouveaux signalements contre le chanoine ont également été annoncés, à la police. Selon Mise au Point, la procureure du Valais Beatrice Pilloud a confirmé l’existence d’au moins une nouvelle audition visant le chanoine. La magistrate n’a toutefois pas commenté le caractère pénal, ni les implications en termes de procédure. L’enquête est toujours en cours. Il n’y aurait actuellement aucune condamnation prononcée contre le chanoine. Selon les recherches de Mise au Point, les éléments qui le visent sont prescrits.
«Les nouveaux témoignages rapportés lors de l’émission, qui ont été déposés également au Ministère public, pourront le cas échéant demander de réévaluer la situation de ce chanoine [G.R.] une fois que nous aurons reçu un retour officiel de l’autorité judiciaire laïque», affirme l’Abbaye dans son dernier communiqué.
Aux journalistes de la RTS, G.R. a démenti la réalité des dernières accusations: «Je réfute toute implication dans les faits que vous rapportez et dont j’ignore l’origine et les liens avec ma personne.» Le 8 juillet, l’Abbaye a relayé une citation du chanoine affirmant que: «Si j’ai blessé des personnes par mon attitude au long de mes années de ministère, je leur demande sincèrement pardon du fond du cœur.»
Dans son dernier communiqué, l’Abbaye mentionne la situation des autres affaires touchant des chanoines. «L’Abbaye de Saint-Maurice est en attente de plusieurs retours de la justice laïque ou religieuse, notamment de Rome et du Ministère public [valaisan].» La commission Aubert, destinée à faire toute la lumière sur les actes d’ordres sexuels commis par les membres de sa communauté, doit rendre un rapport d’ici à 2025. «C’est un délai certes long pour les victimes et les accusés, mais nécessaire pour un travail académique de qualité», note l’institution.
Le texte rapporte ainsi que le Père T.R., un prêtre allemand, incardiné dans le Territoire abbatial de Saint-Maurice et vivant à l’Abbaye sous le même régime qu’un oblat, a été le sujet d’une plainte déposée auprès du tribunal de Ratisbonne, en Allemagne. «Après jugement rien n’a été retenu contre ce prêtre. En Suisse cependant, une enquête préliminaire a été initiée par l’Administrateur Apostolique suite à des révélations de comportements inadéquats et ambigus. Cette enquête n’a révélé aucun abus, raison pour laquelle le Père n’est pas suspendu de ces tâches pastorales mais sera soumis à une surveillance accrue.»
Le communiqué rapporte également l’état des lieux pour deux responsables de l’Abbaye: Mgr Jean Scarcella et Roland Jaquenoud. Mgr Scarcella est Abbé de St-Maurice depuis 2015. Il s’est suspendu lui-même de sa charge en septembre 2023. Cette décision a fait suite à la révélation dans la presse de l’existence d’une enquête canonique à son encontre pour des attouchements sur une personne mineure. «Les conclusions de cette enquête ne nous sont pas parvenues et nous attendons un retour de Rome», indique Jean-Michel Girard.
Le chanoine Roland Jaquenoud, prieur de l’Abbaye, a été incriminé dans la première émission de Mise au Point (novembre 2023). Un témoignage anonyme l’accusait d’avoir eu une relation sexuelle avec un novice alors qu’il était chef des novices. La problématique sur cette affaire portant sur la nature du consentement du novice, alors que Roland Jaquenoud était en position d’autorité. Selon l’Abbaye, le chanoine regrette que son cas soit présenté en relation avec des cas d’abus sur mineurs. «Son cas concerne la justice de l’Église qui l’a jugé il y a plus de vingt ans. Il est dans une communauté amie en attendant de reprendre un ministère.»
«À la suite du rapport de l’Université de Zurich (12 septembre 2023), le chanoine M.H. s’est lui-même dénoncé à la justice à la fin du mois d’octobre pour des actes commis il y a plus de cinquante ans dans le canton du Jura», précise encore le communiqué du 8 juillet. Le Ministère public du canton du Jura a mené son enquête. Elle est maintenant close en raison de la prescription du délit. Après dénonciation à Rome, le chanoine M.H. ne célèbre plus qu’en privé et n’exerce plus de ministère, annonce l’Abbaye. (cath.ch/com/arch/rts/rz)
Raphaël Zbinden
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