François Reusse: un orfèvre au sacré cœur

François Reusse est le créateur de trois objets liturgiques ornant la nouvelle église genevoise du Sacré-Cœur. Portait d’un orfèvre généreux, dont les œuvres ont soutenu la foi jusqu’en Irak.

Dans l’atelier de François Reusse, le grand globe de laiton trône sur l’établi, exposant ses méridiens et tropiques aux reflets dorés. C’est le «squelette» du tabernacle qui sera bientôt installé dans l’église du Sacré-Cœur. Il sera le troisième meuble liturgique à enrichir l’intérieur du grand bâtiment blanc qui s’érige au centre de Genève. Ce dernier a rouvert début juin 2024, après quelques années de rénovation suite à un incendie qui l’avait partiellement détruit en 2018.

François Reusse a signé l’ambon et le baptistère du lieu de culte, qui sont déjà sur place depuis l’inauguration. Ces travaux ont donné lieu à de nombreux besoins de coordination et de coopération, parfois inattendus. «J’ai dû travailler en concertation avec le maître de chantier, les responsables d’Église, les architectes…j’ai même reçu la visite de l’ingénieur du son, parce que l’on ne savait pas où mettre le micro dans l’ambon. Ce sont de tout bêtes détails auxquels il faut penser.»

La forme parfaite

Pour le tabernacle, il s’est lancé dans un projet original. «Je l’ai imaginé comme une sphère, la forme parfaite», explique-t-il à cath.ch. Dans l’atelier au sous-sol de sa maison de Troinex, dans la banlieue genevoise, il travaille depuis des mois à la confection du réceptacle de la sainte eucharistie. Il montre les croquis de ses différentes idées, colombe, croix de feu… qu’il a eues avant de reconnaître l’évidence de la forme ronde. «La sphère représente bien sûr la perfection de Dieu. C’est aussi la forme de notre monde, qu’Il a créé. J’aime bien l’idée qu’Il se trouve à l’intérieur.»

L’orfèvre François Reusse découpant le métal pour ses œuvres | © Raphaël Zbinden

Le globe sera au final recouvert de plaques de bronze et décoré d’une manière encore tenue secrète. Les fidèles du Sacré-Cœur pourront prochainement découvrir le nouveau tabernacle.  François Reusse montre à cath.ch certaines étapes de la confection de l’œuvre, des esquisses du projet au crayon au découpage des plaques de métal qui la façonneront, à l’aide d’un immense ciseau.

Un retraité très actif

Les gestes lestes et ajustés de l’octogénaire témoignent d’une vie entière à dompter la matière. Une vocation apparue «naturellement» au Genevois, son père ayant été également «dans la branche». Après des formations spécialisées en Suisse et en Allemagne, François a repris l’atelier de son père situé dans la maison familiale. Les objets liturgiques ont été une demande régulière au cours de sa carrière, avec des «hauts et des bas».

«A mon âge, je devrais peut-être me reposer, mais l’orfèvrerie me procure tant de plaisir que je ne pense pas à m’arrêter»

«La fréquence de fabrication de mobilier pour les églises a varié suivant les périodes. Aujourd’hui, cela se fait moins, mais j’ai tout de même encore des commandes, comme le démontre celle pour le Sacré-Cœur, pour laquelle je suis d’ailleurs très fier et honoré.» Entre deux calices, l’orfèvre a pu gagner son pain grâce à de menus travaux de bijouterie.

Esquisses de François Reusse pour le tabernacle du Sacré-Cœur | © Raphaël Zbinden

Ces décennies de travail minutieux lui ont forgé un nom dans la région. «Je suis assez connu dans les paroisses, c’est pourquoi, lorsqu’il y a du mobilier liturgique à faire, l’on pense assez spontanément à moi.» C’est ainsi qu’à 82 ans, il constate n’avoir encore jamais été aussi actif dans son travail. »C’est vrai qu’à mon âge, je devrais peut-être me reposer, mais l’orfèvrerie me procure tant de plaisir que je ne pense pour l’instant pas à m’arrêter.»

Un tabernacle pour les chrétiens d’Irak

François Reusse n’a pas déployé ses talents uniquement pour gagner sa croûte. Son art a aussi soutenu des causes qui lui tiennent à cœur. L’une de ses inspirations en la matière l’a ainsi amené jusqu’au Moyen-Orient.

En 2014, il est en effet rempli de compassion lorsqu’il voit à la télévision le malheur des chrétiens d’Irak réduits à l’exode ou à la soumission par Daech. «Leur situation me désolait tellement, je voulais vraiment faire quelque chose pour eux, mais quoi? C’est alors que m’est venue l’idée un peu folle de leur offrir un tabernacle.»

«Pour la grâce, je l’ai déjà reçue en ayant la possibilité de faire ce métier»

L’orfèvre prend alors contact avec Naseem Asmaroo, un prêtre irakien bi-ritualiste (chaldéen-latin) qui officie dans le canton de Vaud. Ce dernier, emballé par le projet, lui propose de l’accompagner à Mossoul, au nord de l’Irak, pour que le Genevois y apporte lui-même son tabernacle. Ce sera chose faite en février 2022. Depuis lors, l’objet réside dans l’église Saint-Paul de Mossoul, attendant de rejoindre, à terme, la cathédrale de la ville. L’édifice est dans son ultime phase de reconstruction, après avoir été pratiquement anéanti dans les combats pour la libération de la cité, en 2017.

Une foi solidement ancrée

François Reusse a renouvelé l’aventure, en fabriquant en 2023 un ostensoir pour les chrétiens d’Irak. L’objet a été consacré par Mgr Najeeb Michaeel, évêque de Mossoul, en 2024 à Mala Barwan, un village des montagnes du Kurdistan abritant une importante population chrétienne. «Cela a été un moment incroyable, très émouvant, se rappelle l’orfèvre.»

Le cardinal Louis Raphaël Sako tient l’ostensoir fabriqué par François Reusse (à d.) | DR

Une richesse pour lui bien plus grande que s’il avait vendu ces deux objets sacrés. Le tabernacle a en effet été le fruit de plus de deux ans de travail, et l’ostensoir de plusieurs mois. Si François Reusse ne peut pas donner exactement leur valeur marchande, il estime que des dizaines de milliers de francs auraient sans doute été en jeu.

Une générosité qui «va de soi» pour un chrétien, assure-t-il. Alors que le catholique genevois se dit «très fidèle, très pratiquant», «bien que sans ostentation». Une foi qu’il a toujours eu «très solidement ancrée», transmise par des parents eux aussi très engagés.

Des objets qui mènent à Dieu

Pour François, il est ainsi naturel de penser que la grâce imprègne son travail. «L’on me demande souvent s’il faut être chrétien ou croyant pour réaliser des œuvres religieuses. Je ne peux pas répondre catégoriquement, mais je pense que ça aide. On a toujours à l’esprit non pas l’utilisation pratique de l’objet, mais ce qu’il va apporter aux personnes. Pour la grâce, je l’ai déjà reçue en ayant la possibilité de faire ce métier. Je ne m’enrichis pas d’argent mais de la joie de créer, de donner.»

Un sens du sacré qui résonne encore plus fort en lui lorsqu’il repense à la consécration de l’ostensoir dans les montagnes irakiennes. «Toute la communauté est venue. Plus de 200 personnes, des plus âgés aux enfants, ils se sont tous agenouillés devant l’ostensoir pour être bénis, avec une ferveur extraordinaire. Cela m’a encore plus persuadé qu’un objet pouvait réellement nous amener vers une forme de transcendance.» (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

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