Le pape, «souverain» ou «animateur» de la chrétienté? (1/2)

Quelle place pour le pape dans le monde chrétien? La question est scrutée par le document L’évêque de Rome, publié le 13 juin 2024 par le Vatican. Les théologiens luthérien André Birmelé et orthodoxe Noël Ruffieux croisent leur regard sur le nouvel appel d’air œcuménique venant de Rome.

Le pape de Rome peut-il être le «chef» de tous les chrétiens? Et en tant que «chef», devrait-il être plutôt «souverain infaillible», «porte-parole» ou juste «gentil organisateur» du «Club chrétienté»?

De multiples points de vue existent, que le Vatican a décidé de clarifier en proposant le document d’étude intitulé L’évêque de Rome. Primauté et synodalité dans les dialogues œcuméniques et dans les réponses à l’encyclique Ut unum sint. Concocté par le dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens, et son préfet, le cardinal suisse Kurt Koch, le texte fait figure de première guirlande en vue du 30e anniversaire (en 2025) d’Ut unum sint.

Cette encyclique, publiée par Jean Paul II en 1995, est considérée comme une «borne milliaire» dans le cheminement œcuménique moderne. Son titre signifiant «Qu’ils soient un», tiré de la prière de Jésus dans l’Évangile de Jean (Jean 17:21), encourage notamment tous les catholiques à s’impliquer activement dans la promotion de l’unité des chrétiens, considérant qu’il s’agit d’un aspect fondamental de la foi. Le pape polonais y propose en particulier un dialogue sur le ministère du pape qui est, à ses yeux, un obstacle majeur sur le chemin de l’unité.

Un bon panorama des difficultés

L’évêque de Rome expose ainsi les derniers axes routiers au départ d’Ut unum sint. Une carte géographique jugée «encourageante» par des responsables catholiques. Le Père Hyacinthe Destivelle, official au dicastère pour la Promotion de l’unité des chrétiens, a notamment considéré que le document mettait en valeur «de nouvelles pistes de réflexion sur la manière dont le ministère de l’unité pourrait être exercé dans une Église réconciliée».

Un texte également salué par des spécialistes non catholiques de l’œcuménisme. «Le fait même de pouvoir discuter de tout ceci est une excellente chose», affirme André Birmelé à cath.ch. Le pasteur et théologien luthérien apprécie que Jean Paul II ait, à travers Ut unum sint, «spécifié les divers problèmes qui marquent le cheminement vers l’unité.»

«L’époque ou Luther qualifiait le pape ‘d’antéchrist’ est aujourd’hui largement révolue»

André Birmelé

Du côté orthodoxe, le théologien Noël Ruffieux se rappelle qu’en 1995, la lecture de l’encyclique l’avait «globalement réjoui», surtout «son invitation aux responsables ecclésiaux et à leurs théologiens à instaurer un dialogue fraternel et patient». «Un appel qui n’est pas resté sans réponse», rappelle le Fribourgeois. L’un des mérites de L’évêque de Rome est ainsi de «réunir ces réponses, d’en faire un florilège, qui borde d’espérances et d’écueils le chemin vers l’unité».

Malgré ses qualités, le nouveau document romain trouve aussi ses limites. «Il y a à boire et à manger, note André Birmelé. Certains textes importants me manquent, et je me demande pourquoi y figurent d’autres, qui me paraissent mineurs.» Le luthérien regrette aussi que le document «passe trop de temps sur des choses acquises depuis longtemps.» Pour Noël Ruffieux également, les sources «sont diverses et d’inégale signification ecclésiale».

Un évêque de Rome signe de modestie

Les deux théologiens saluent toutefois le fait que le document s’intitule modestement L’évêque de Rome. La dénomination est loin d’être anodine dans le contexte œcuménique. «En se considérant comme évêque de Rome, avant d’être primus inter pares pour l’ensemble de l’Église catholique, le pape se place dans la conférence mondiale des évêques», relève André Birmelé. «Évêque de Rome est le titre le plus fréquent dans les premiers siècles de l’Église, souligne Noël Ruffieux. C’est dire qu’il est le pasteur d’une communauté qui, pour être eucharistique, ne peut être que locale.»

Une approche donc tout à fait acceptable pour les théologiens non catholiques. «L’époque ou Luther qualifiait le pape ‘d’antéchrist’ est aujourd’hui largement révolue, assure le pasteur français. Depuis que je fais de la théologie, je n’ai jamais entendu quelqu’un contester qu’il y avait un évêque de Rome avec une fonction primatiale dans l’Église catholique.» La notion théologique de «primauté» consiste à reconnaître le pape comme successeur de l’apôtre Pierre, aussi bien sur le siège épiscopal de Rome que comme chef du collège épiscopal. (cath.ch/rz)

La seconde partie de l’article paraîtra le 7 juillet à 17h

La seconde partie de cette article paraîtra le 7 juillet à 17h

Raphaël Zbinden

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