Les stalles d’Hauterive ont beaucoup de choses à raconter

«Quand je touche ces pièces exceptionnelles, j’ai un grand respect pour le bûcheron qui a abattu et taillé ce chêne à l’hiver 1478-1479 et pour les artisans qui l’on sculpté vers 1482.» Dans son atelier de Posieux, Aurélien Chenaux s’active depuis plus de deux ans à la restauration des stalles de l’Abbaye d’Hauterive, située à 2 km de là.

Par les larges baies vitrées de l’atelier on voit passer deux randonneurs. La coquille attachée à leur sacs attestent qu’il s’agit de pèlerins de Saint Jacques de Compostelle. Peut-être ont-ils fait une halte à Hauterive?

Ce dragon a retrouvé toute sa rage | © Maurice Page

Avec un pinceau à long manche, Alain Cheneaux applique soigneusement la cire d’abeille dans les lobes de la délicate sculpture. «C’est long et minutieux. Il faut éviter d’en mettre trop. Elle ne sécherait pas et noircirait.» Après le cirage, restera le lustrage avec une brosse douce. Ensuite, la joue de stalle pourra retourner à Hauterive pour le remontage probablement vers la fin de l’année 2024.

Les odeurs de sciure, de vieux bois et de cire règnent dans l’Atelier moderne d’Aurélien Chenaux, les larges panneaux de chêne sculptés qui ont envahi l’espace attendent de passer dans les mains expertes du restaurateur. La jouée latérale des stalles, faite d’un seul tenant, mesure plus de quatre mètres de hauteur, huitante centimètres de largeur et bien dix-huit d’épaisseur, constate l’artisan avec son double-mètre. Elle doit bien peser 200 kilos.

Un véritable jeu de construction  

Le travail de restauration a commencé avec le maître ébéniste Jean-Pierre Rossier, à la fin 2021, avec le démontage des 54 stalles, certainement le premier depuis leur installation à la fin du XVe siècle. «Tout est assemblé comme un jeu de construction avec des entailles, rainures, tenons et mortaises, sans clou.»

Soigneusement numérotée et étiquetée, chaque pièce a subi un nettoyage à la vapeur et au chiffon, et parfois au solvant. «Il était exclu de poncer ou de gratter, en utilisant des outils mécaniques.» Mis a part, les dégâts localisés de quelques insectes xylophages et un peu de pourriture cubique dans les soubassements, les stalles sont dans un très bon état de conservation.

Greffe du nez et de la mâchoire

L’étape suivante consiste à faire les réparations qui s’imposent: recoller une fissure, restituer un élément de sculpture abîmé, remplacer une pièce de bois trop rongée. Toujours avec les outils traditionnels: la scie, le rabot, la gouge à sculpter et la colle de poisson. La tête de ce personnage sculpté sur un accoudoir attend une greffe du nez et de la mâchoire inférieure. Le dragon aux larges ailes, longue queue et griffes acérées, n’a eu besoin que d’un bon nettoyage pour retrouver sa rage.

Sur une table à part sont déposées des corbeilles de fruits, des guirlandes de fleurs et de feuillages élégants. «Ce sont des ajouts que des abbés du XVII et XVIIIe siècles ont déposés au sommet des stalles, souvent avec leurs armoiries.»  

Respecter les marques du temps

Les marques du temps sont respectées. On trouve ça et là les brûlures de la bougie d’un moine qui avait dû s’endormir à l’office. Ou les entailles laissées par un visiteur peu respectueux.

Nettoyée et cirée, chaque pièce du puzzle sera ré-assemblée pour restituer le remarquable ensemble dans lequel les moines d’Hauterive prient depuis plus de 500 ans.

«Au cours de l’ensemble du processus, je tiens chaque élément cinq ou six fois en main et je découvre chaque fois de nouveaux détails», s’enthousiasme Aurélien Chenaux. «Ici les repères taillés par le sculpteur pour tracer son lobe, là la marque du ciseau dans un feuillage, la encore un signe d’assemblage. Tout est taillé dans la masse, il n’y a pas d’éléments rapportés. On peut déceler aussi la main de plusieurs sculpteurs.» Aurélien imagine une large équipe d’artisans autour du maître qui a probablement travaillé sur place. La qualité des stalles est d’autant plus grande que sculpter le chêne est plus difficile que d’autres bois comme le noyer utilisé pour les stalles de la cathédrale de Fribourg.

Passeur entre les époques

Jouer ainsi les intermédiaires entre les époques passionne Aurélien Chenaux. «Lors de la dépose  les moines sont venus regarder notre travail. Ils étaient très intéressés de voir comment les stalles étaient construites. Les échanges ont été très intéressants. Tout ce qui est du bois est de notre ressort, tout ce qui est de la spiritualité leur appartient. Ils nous ont expliqué les images de la Vierge, des apôtres et des prophètes.» En décembre 2023, les moines sont venus en visite à l’atelier. «J’ai été frappé de leur attachement à ces stalles dans lesquelles, ils passent chaque jour plusieurs heures en prière. Elles auraient beaucoup de choses à raconter.» (cath.ch/mp)

Aurélien Chenaux 
Après un apprentissage d’ébéniste dans la restauration de meubles anciens, Aurélien Chenaux s’est spécialisé dans le travail avec les machines de menuiserie numériques avant de revenir à un artisanat plus traditionnel. Il s’est mis à son compte en 2019 et s’est associé à Jean-Pierre Rossier, un ébéniste restaurateur d’art réputé, dont il a repris ensuite les activités. Installé à Posieux, il s’est spécialisé dans la restauration, notamment du mobilier d’église. MP

Les stalles d’Hauterive, un chef-d’oeuvre du Moyen-Age

Les stalles d’Hauterive au musée
Avant d’être réinstallées à Hauterive une partie des stalles font une halte durant l’été au Musée d’Art et d’Histoire de Fribourg. L’occasion de voir la finesse de leur exécution et d’approcher le travail de restauration. «Les stalles ont été le point de cristallisation du chantier de restauration de l’église abbatiale d’Hauterive» explique Stanislas Rück, chef du service des biens culturels du canton de Fribourg. Elles sont une œuvre totale qui regroupe l’architecture, la sculpture, la peinture, et la musique puisque les moins s’y réunissent plusieurs fois par jour pour chanter les offices. Elles sont un instrument théologique, par les représentations du Christ, des prophètes et des apôtres, et liturgique au service du chant grégorien. Elles forment une structure qui accueille, protège, réchauffe. Elles sont le lieu de la rencontre entre le monde terrestre et le monde céleste. MP

> Musée d’art et d’histoire, du 28 juin au 1er septembre 2024.

Maurice Page

Portail catholique suisse

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