Isabella Senghor rêve de synodalité dans le «Deutschfreiburg»

La laïque Isabella Senghor sera, dès le 1er septembre 2024, représentante de l’évêque dans la partie germanophone du canton de Fribourg. Outre renforcer la synodalité, elle entend œuvrer au rapprochement des communautés linguistiques et promouvoir une Église «parmi les gens».

«Je ne vais pas attendre les résultats du Synode pour faire bouger les choses!», lance Isabella Senghor. Le ton calme et enjoué de l’agente pastorale laisse néanmoins poindre une intense détermination. Ce n’est sans doute pas un hasard si elle se retrouve à seulement 32 ans répondante de l’évêque dans une région du diocèse de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF). En l’occurrence, dans la partie germanophone du canton de Fribourg, communément appelé «Deutschfreiburg».

Une carrière donc rondement et rapidement menée pour la jeune Allemande, qui n’est en Suisse que depuis 2019. Isabella est née en Rhénanie du Nord Westphalie, dans une famille catholique, mais «pas très pratiquante», précise-t-elle. «C’est plutôt ma grand-mère qui m’a guidée dans la foi. Elle m’a notamment accompagnée pour ma première communion.»

«Mon souhait est de donner à mes collègues un cadre dans lequel ils puissent donner le meilleur de leur travail»

Une expérience qui marque durablement Isabella. «Après la cérémonie, j’étais tellement émerveillée que pour être enfant de chœur, j’ai laissé tomber toutes mes autres activités.» C’est ainsi, qu’à la stupéfaction de ses parents, elle abandonne la danse, qu’elle pratiquait pourtant depuis son plus jeune âge. Elle accompagne ensuite elle-même les enfants de chœur de la paroisse, dans laquelle elle se décrit comme «très engagée». Dans cette période, elle approfondit beaucoup sa foi.

Formation de journaliste

A l’âge adulte, elle débute des études de théologie, tout en entretenant une passion pour le journalisme, dont elle désire faire son métier. Elle étudie la théologie à Francfort, avec un séjour de six mois à Jérusalem pour approfondir la philosophie. Simultanément, elle obtient une bourse de la fondation Konrad Adenauer pour une formation de journaliste. Suite à celle-ci, elle trouve un emploi à durée limitée dans la chaîne de télévision publique allemande ZDF.

Isabella Senghor | © Raphaël Zbinden

Un de ses anciens professeurs lui parle alors d’un doctorat proposé par le Centre Suisse Islam et Société (CSIS) de l’Université de Fribourg, sur le thème des conflits sociaux. «Le CSIS cherchait trois collaborateurs pour travailler sur la question, un sociologue, un théologien catholique et un théologien musulman. J’ai trouvé fascinant cette possibilité d’avoir trois perspectives différentes sur le même sujet». C’est ainsi, qu’avec son mari, elle décide en 2019 de déposer ses valises à Fribourg. Un choix qui convient aussi très bien à son époux, d’origine sénégalaise.

Son français impeccable a été d’abord acquis sur les bancs d’école. Des bases renforcées par un échange linguistique à Nancy, à 16 ans, et plus tard, un séjour d’un an au Sénégal, comme Missionnaire laïque temporaire, où elle rencontre plus tard son époux.

Au cours de son doctorat, elle entend que le «Deutschfreiburg» cherche quelqu’un pour la pastorale des familles. Embauchée en automne 2023, elle travaille de façon très proche avec Marianne Pohl-Henzen, représentante de la région diocésaine Fribourg germanophone depuis 2020.

Un «trio» de direction

Peu après, cette dernière annonce son départ à la retraite. Alors que le «Deutschfreiburg» est en pleine mutation, une task force est créée pour faire face aux priorités. Isabella Senghor en fait partie. «Mon nom circulait pour la succession de Marianne, et j’ai donné ma disponibilité pour le poste. Mais en précisant que je ne voulais pas occuper ces tâches à moi toute seule.» C’est ainsi qu’est née l’idée d’une direction «tripartite».

La nomination d’Isabella Senghor est approuvée par Mgr  Charles Morerod, évêque de Lausanne, Genève et Fribourg (LGF), en mars 2024. Kathrin Meuwly et Matthias Willauer-Honegger, deux collègues très expérimentés doivent, dès la rentrée 2024, prendre en main à ses côtés certains secteurs du «Deutschfreiburg».

Trouver des équilibres

«Le souhait est de donner à mes collègues un cadre dans lequel ils puissent donner le meilleur de leur travail. Je vois que cela devient de plus en plus difficile, notamment à cause de la diminution constante des effectifs.»

«Il faut dire aux baptisés: ‘Vous aussi vous pouvez Être Église et vivre votre foi'»

Le travail d’agent pastoral dans le «Deutschfreiburg» est encore compliqué par le fait que, dans certaines zones, telles que Morat ou Fribourg, il est parfois nécessaire d’être bilingue. «Nous sommes une magnifique équipe, nos collaboratrices et collaborateurs font un travail formidable», assure Isabella Senghor. La jeune Allemande redoute toutefois un peu la gestion des conflits qui pourront survenir. «Il est important de trouver des équilibres entre les divers désirs, capacités, charismes des collaborateurs.»

Un berger pour toutes les brebis

«Je souhaite poursuivre une voie déjà ouverte par Marianne Pohl-Henzen, qui est le renforcement de la diaconie. On ne peut pas se contenter d’avoir des belles messes, même si c’est aussi important. L’aide aux plus démunis est un domaine où l’Église est encore crédible. Nous voulons répondre en cela à l’appel du pape François à aller vers les périphéries, pas en faisant du prosélytisme, mais en étant juste des chrétiens parmi les gens»

Mais Isabella Senghor perçoit également ici ce besoin d’équilibre. «Lorsque j’entends la parabole du bon berger qui va chercher sa brebis perdue, je ne peux m’empêcher de me penser: ‘mais que font les 99 autres restées à la bergerie’? C’est là, selon moi, que la synodalité est peut-être la plus importante à développer. Il faut aider les baptisés, les soutenir et les former, il faut leur dire: ‘Vous aussi vous pouvez Être Église et vivre votre foi.»

Même si elle entretient de fortes espérances quant au Synode sur la synodalité, dont la phase finale se déroulera à Rome en automne 2024, elle est certaine que l’on peut «déjà commencer à réaliser des choses» sur place. Notamment un «changement de culture» dans la hiérarchie.

Se comprendre au-delà de la langue

Sur ce plan de la synodalité et d’autres, Isabella Senghor observe un certain nombre de différences culturelles entre francophones et germanophones. «La synodalité se vit depuis longtemps dans l’Église alémanique, on ne peut pas prendre de décision sans l’avis de tout le monde. Cela est encore quelque peu différent  chez les Romands. Je pense que nous avons un peu moins de tabous ecclésiaux, moins de difficultés à nous réunir pour discuter et à tout mettre sur la table.»

«Nos collaboratrices dans les paroisses ont l’impression que leur voix est mieux entendue»

La jeune Allemande est ainsi consciente de la nécessité d’une bonne communication et compréhension entre les communautés linguistiques. Elle se souvient des mots prononcés une fois par Mgr Morerod: «Moi, je ne comprends pas toujours votre [aux Alémaniques] façon de penser, alors aidez-moi à vous comprendre et à bien vous accompagner». «Effectivement, il est très important de faire ce pas vers l’autre pour lui expliquer notre façon de fonctionner, de voir les choses. Et les relations sont déjà très bonnes, mais il est toujours nécessaire de créer des espaces de rencontre.» Une vision également dirigée vers les réformés du canton. «Nous travaillons de plus en plus ensemble. Il est essentiel que nous ne restions pas fixés sur notre identité.»

Une Église plus jeune et plus féminine

Le «Deutschfreiburg» a été un espace pionnier dans plusieurs domaines, dont l’accès des laïcs à des postes de direction des régions diocésaines. Marianne Pohl-Henzen a ainsi été, en 2020, la première laïque à représenter l’évêque dans une région du diocèse de LGF. Un poste auparavant dévolu aux seuls prêtres, sous le titre de ‘vicaires épiscopaux’.

Une évolution pleinement saluée par Isabella Senghor. «Mgr Morerod a montré beaucoup de courage en franchissant ce pas. Je suis en tout cas contente que ma nomination donne l’image d’une Église plus jeune et plus féminine. Je peux dire que cela aide beaucoup nos collaboratrices dans les paroisses. Elles ont l’impression que leur voix est mieux entendue.» (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

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