«Maître, nous sommes perdus; cela ne te fait rien?» À première lecture, la remarque des disciples peut paraître un brin insolente. S’il y a quelqu’un à qui le fait que nous soyons perdus fait quelque chose, c’est bien Jésus.
Mais nos professionnels du lac n’en mènent pas large et au lieu d’un bon et franc appel au secours comme on en voit dans les récits parallèles de Matthieu et Luc (« Seigneur, sauve-nous ! Nous sommes perdus » Mt 8,25), ils sont saisis par le contraste entre la situation dramatique de la barque prenant l’eau et le sommeil profond de leur Maître, installé sur le coussin à l’arrière de la frêle embarcation malmenée par le vent.
«A nos professionnels du lac, ce n’est pas aux compétences (inexistantes) de Jésus dans le domaine qu’ils en appellent…»
Nul doute qu’ils aient déjà employé toutes les ressources de leur savoir-faire de la navigation, et ce n’est pas aux compétences (inexistantes) de Jésus dans le domaine qu’ils en appellent.
Leur remarque ne susciterait-elle pas plutôt, et de façon éminemment adéquate, Jésus comme leur Sauveur, lui qui pour l’heure est endormi ? Jésus, faisant fi de leur toupet à le soupçonner indifférent à leur sort (et au sien d’ailleurs), est interpellé dans son identité profonde : il est celui qui peut et veut les sauver du péril et de la mort.
Cela, les disciples le savent de façon confuse mais certaine. Les multiples guérisons et libérations opérées par leur Maître ont révélé de lui plus qu’un éloquent prédicateur du Royaume. Jésus a montré son autorité sur les maladies corporelles et sur les esprits impurs. Alors pourquoi reproche-t-il ensuite à ceux qui en ont été de proches témoins de ne pas avoir encore la foi? Ne l’ont-ils pas puisqu’ils en appellent à lui?
«Pas besoin d’avoir la foi pour croire en un sauveur en acte de sauver. Mais qu’attendre d’un homme qui dort?»
C’est à cause du sommeil. Un sauveur qui dort si profondément dans de si tumultueuses conditions, cela ne dit rien qui vaille. Un sauveur se doit d’être sur le pied de guerre dès que pointe le danger. Pas besoin d’avoir la foi pour croire en un sauveur en acte de sauver. Mais qu’attendre d’un homme qui dort? Cet épisode de la tempête apaisée ne serait-il pas, lui aussi, une parabole du Royaume faisant suite à toutes les paraboles de ce chapitre 4 de Marc? On pourrait l’appeler la parabole du sommeil.
Elle annonce que le Royaume est l’abandon de toute puissance ou capacité humaine, symbolisé ici par le sommeil, comme la semence dort dans la terre avant de germer. Elle annonce un autre sommeil de Jésus : celui de sa mort sur la croix. Et aussi un autre réveil: celui de sa Résurrection. Les disciples seront alors tout autant désemparés puis tout autant stupéfaits: non seulement le vent et la mer lui obéissent mais la mort elle-même. À elle aussi, il dira: «Silence, tais-toi»!
«Quand nous prions devant un crucifix – devant ce Sauveur qui dort –, c’est bien parce que nous croyons que ce sommeil est le pivot du salut»
Si comme disciples du Christ, nous avons l’habitude de prier devant un crucifix, de supplier en toutes nos détresses devant ce Sauveur qui dort sur la croix, c’est bien parce que nous croyons que ce sommeil est le pivot du salut. Il est fondement de notre foi en Celui qui ne dort que pour se réveiller et nous sauver. Il attend de nous que nous ne cessions de le réveiller.
Sr Anne-Sophie Porret OP | Vendredi 21 juin 2024
Mc 4, 35-41
Toute la journée,
Jésus avait parlé à la foule.
Le soir venu, Jésus dit à ses disciples :
« Passons sur l’autre rive. »
Quittant la foule, ils emmenèrent Jésus, comme il était,
dans la barque,
et d’autres barques l’accompagnaient.
Survient une violente tempête.
Les vagues se jetaient sur la barque,
si bien que déjà elle se remplissait.
Lui dormait sur le coussin à l’arrière.
Les disciples le réveillent et lui disent :
« Maître, nous sommes perdus ;
cela ne te fait rien ? »
Réveillé, il menaça le vent et dit à la mer :
« Silence, tais-toi ! »
Le vent tomba,
et il se fit un grand calme.
Jésus leur dit :
« Pourquoi êtes-vous si craintifs ?
N’avez-vous pas encore la foi ? »
Saisis d’une grande crainte,
ils se disaient entre eux :
« Qui est-il donc, celui-ci,
pour que même le vent et la mer lui obéissent ? »
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