Abus dans le diocèse de Sion: décryptage entre ombres et lumières

Les 50 pages du rapport d’audit sur le traitement des abus sexuels dans le diocèse de Sion apportent un précieux éclairage sur la problématique des abus en Eglise, même si des zones d’ombre subsistent. Au-delà des accusations et des mea-culpa, il décortique avec précision des mécanismes souvent complexes, parfois kafkaïens. Et propose quelques pistes de solutions.

Entre écoute, compassion, méandres administratifs, administration de la justice et réparation, le chemin des victimes est long et semé d’obstacles. Eléments d’analyse.

En faisant prévaloir la parole des victimes d’abus sexuels, le rapport démontre, parfois cruellement, le manque d’empathie et d’intelligence émotionnelle des divers responsables ecclésiaux. Le document refuse cependant de généraliser, du fait, surtout, du faible nombre de personnes interrogées.

Une parole complexe

Les auditeurs de Vicario Consulting constatent d’abord le grand écart entre le récit des victimes et leur traitement par l’autorité ecclésiale. «Les deux faces de la même pièce ne s’ajustent pas aisément», relèvent-ils.

La parole des victimes peut elle-même être complexe. «Parfois les récits sont confus, contradictoires, émotionnels, polymorphes, hésitants et il devient difficile pour l’Eglise de reconstruire les faits et d’objectiver les situations.» C’est pourtant son rôle d’accueillir cette parole avec respect et professionnalisme. Ce qui exige des moyens et des compétences qui ont souvent manqué.

Pour les auditeurs, les victimes attendent de l’Eglise une écoute bienveillante, une objectivation des faits, un éventuel soutien psychologique, une assistance administrative, des informations historiques et plus simplement de la compassion ou des excuses institutionnelles. Elles ont eu souvent le sentiment de se heurter à un labyrinthe administratif sans fin, qui ne fait que redoubler leur souffrance et leur méfiance envers l’institution.

Mgr Brunner, cité mais pas audité

Cela a été le cas en particulier sous l’épiscopat de Mgr Norbert Brunner, de 1995 à 2014, «considéré par les victimes comme une ère glaciaire dont Mgr Lovey a hérité». «Tant que c’était l’évêque Brunner, je savais que c’était inutile d’aller le voir», explique le témoignage de Germaine (prénom fictif).

Mgr Norbert Brunner transmet sa charge d’évêque de Sion à Mgr Jean-Marie Lovey, en 2014 | © KEYSTONE/Jean-Christophe Bott

Cité à plusieurs reprises dans le rapport – de même que son vicaire général Bernard Brocard -, l’ancien évêque de Sion n’a curieusement pas été confronté à ces accusations par les auditeurs. La réponse donnée à cette question en conférence de presse, n’était pas satisfaisante.

De fait, l’analyse des auditeurs se limite à l’épiscopat de Mgr Jean-Marie Lovey, soit les dix dernières années, même si le témoignage le plus ancien se réfère à des faits commis en 1938.

Richard Lehner, principal visé

C’est surtout le vicaire général Richard Lehner qui est tancé pour son manque d’empathie, sa non-capacité à entendre la souffrance de l’autre, sa volonté de défendre l’Eglise plutôt que les victimes, son manque de sens diplomatique. «Je ne vois pas pourquoi je devrais vous demander pardon, car je ne suis pas responsable de ce qui s’est passé», dira-t-il à une victime. Même si d’autres louent au contraire son accueil aimable et respectueux.

L’autre reproche principal concerne sa réticence à mettre en place une commission indépendante pour traiter les abus (ASCE). Membre de la première commission d’experts instaurée par Mgr Brunner en 2009, Richard Lehner a gardé la main sur la gestion des abus sexuels jusqu’en 2022. D’abord mis en retrait en novembre 2023, il est aujourd’hui dessaisi de la question.

Mgr Lovey, empathique mais trop spirituel

Mgr Lovey n’est pas exempt de reproches. Les témoignages s’accordent sur sa bienveillance, sa disponibilité et son intégrité. «Plusieurs courriers de pardon souhaités par les victimes et rédigés par l’évêque démontrent clairement sensibilité, empathie, respect et volonté de soutenir les victimes.»

Mais les témoins lui reprochent une approche trop théologique et spirituelle: «Je vais prier pour vous», alors qu’elles attendaient des mesures administratives concrètes. Pour les auditeurs, les victimes investissent l’évêque de la toute-puissance qui inclut un haut degré de moralité, d’exemplarité et de surveillance de ses prêtres. Alors que de fait l’Eglise «rencontre mille difficultés à résoudre les drames humains commis sous sa responsabilité mais hors de son contrôle».

Manque de communication

Autre point épinglé par l’audit le «manque d’articulation entre les demandes des victimes et les actions du diocèse, notamment sous l’angle de la communication et de l’information du suivi des procédures». Dans de nombreux cas, l’autorité ecclésiale a agi, tout en omettant d’informer les victimes ou la communauté ecclésiale, donnant ainsi l’impression de ne rien faire.

L’audit s’attarde entre autres sur un des récents scandales valaisans où un prêtre abuseur (renvoyé depuis de l’état clérical) n’a pas respecté les sanctions imposées par l’évêque. Faute d’une communication adéquate, l’Eglise a ainsi semblé tolérer les errements de ses membres.

Simplifier les points d’entrée  

Au chapitre des recommandations, l’audit en apporte une assez inattendue: il faudrait clarifier et simplifier les points d’entrée afin de permettre aux victimes de témoigner. «Beaucoup de témoignages montrent que la multiplicité des points d’entrée – a priori davantage de possibilités pour les victimes – pose aujourd’hui difficulté.» Une simplification et une meilleur coordination favoriseraient une meilleure prise en charge.

Qu’est-ce qu’un évêque?

La deuxième recommandation originale de l’audit invite à revenir à la dimension étymologique du terme évêque: «Episcopus contient en sa racine grecque la notion de surveillant, supérieur , chef, gardien, magistrat». Que celui qui a des oreilles entende. (cath.ch/mp)  

Enquête sur la paroisse de Fully
Les auditeurs ont recueilli «plusieurs témoignages concomitants troublants qui laissent à penser qu’au sein de la paroisse de Fully, entre 1929 et 1983 sous l’égide du curé des problématiques d’abus sexuels auraient pu être perpétrées.» L’audit suggère au diocèse de lancer une enquête formelle en conséquence. MP

Maurice Page

Portail catholique suisse

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