«Le faible taux de participation (autour de 51%, ndlr), combiné à la forte augmentation des partis nationalistes et eurosceptiques, en particulier dans les pays fondateurs de l’Union européenne (UE), témoigne d’un fort mécontentement à l’égard des performances de l’UE», note la COMECE dans un communiqué. «Bien que ce chiffre soit conforme [voire supérieur, ndlr] à celui des élections européennes précédentes, il reste insuffisant et indique un désintérêt persistant et un manque d’engagement de la part des citoyens de l’UE», poursuit la commission catholique.
Les évêques se réjouissent dans le même temps qu’une majorité pro-européenne se maintienne au Parlement. En effet, le Parti populaire européen (PPE), qui regroupe à l’échelle du continent des partis du centre, de centre droit et de droite d’inspiration démocrate chrétienne et libérale-conservatrice, a gardé sa majorité. Le groupe mené par l’Allemande Ursula von der Leyen a obtenu plus de 400 sièges sur les 720 du nouveau Parlement européen. La COMECE salue le fait que «la majorité des votants ait exprimé son soutien au projet européen et un fort désir de plus d’Europe». En mars, la Commission avait déjà appelé les citoyens européens à voter pour défendre le projet européen et les valeurs chrétiennes.
Les élections achevées, les épiscopats européens notent cependant avec une pointe d’inquiétude la montée en puissance de l’extrême droite, principalement dans les pays fondateurs de l’UE, tels que la France et l’Allemagne. Même si la poussée de ces partis a été moins importante que prévue, elle déplace nettement vers la droite le curseur de la politique européenne.
«La Conférence des évêques de France (CEF) a appelé à ‘ne pas se tromper d’enjeux’»
En France, la liste du Rassemblement national (RN) de Marine Le Pen a réalisé une percée historique en gagnant plus de 31% des voix. Ce résultat a amené le président Emmanuel Macron à dissoudre l’Assemblée nationale et à convoquer des élections législatives pour le 30 juin 2024.
De l’autre côté du Rhin, le parti nationaliste Alternative für Deutschland (AfD) a rassemblé près de 16% des voix. Les partis de la «droite dure» ont également largement augmenté leur représentativité en Autriche, en Italie, aux Pays-Bas et en Hongrie.
A noter que les pays nordiques de l’Union ont au contraire enregistré un recul de l’extrême droite et un renforcement des partis de gauche.
Pour la COMECE, l’essor des partis nationalistes et eurosceptiques «témoigne d’un fort mécontentement à l’égard des performances de l’UE. Les résultats de ces élections nous incitent tous, en particulier les députés européens nouvellement élus et les futurs commissaires, à œuvrer pour réduire le fossé perçu entre l’Union européenne et ses citoyens et à apporter des réponses adéquates à leurs véritables préoccupations».
Un ton plutôt neutre pour la Commission, alors que les épiscopats de nombreux pays, dont ceux de France et d’Allemagne, se sont clairement distancés – avant le vote – de l’extrême droite. Quelques jours avant le scrutin, la Conférence des évêques de France (CEF) a appelé à «ne pas se tromper d’enjeux» lors des élections européennes. «Nous n’avons pas le droit de construire notre Europe comme un ensemble d’États repliés sur leur identité.»
«Vous ne pouvez pas vous contenter de regarder vers l’intérieur»
Matteo Zuppi et Mariano Crociata
En Allemagne, à l’occasion du dernier Katholikentag (Journée des catholiques), du 29 mai au 2 juin 2024, l’Église dans le pays a réaffirmé l’incompatibilité de l’extrémisme de droite avec la foi chrétienne. La Conférence des évêques allemands (DBK) a appelé en février 2024 à ne pas voter pour l’AfD. Plusieurs évêques, dont Mgr Georg Bätzing, évêque de Limbourg et président de la DBK, ont participé aux manifestations contre la montée de l’extrême droite, qui ont essaimé dans tout le pays.
À la veille des élections, le cardinal Matteo Zuppi de Bologne, président de la Conférence épiscopale italienne (CEI), et Mgr Mariano Crociata, évêque de Latina et président de la COMECE, ont publié une lettre publique largement perçue comme inspirée du pape François, rapporte le site américain Crux. «Certains voudraient nous faire croire que nous serions mieux isolés, alors que n’importe lequel de vos pays, même un grand, serait fatalement réduit à la position la plus faible.» Ils ont également insisté sur la question de l’immigration. «Vous ne pouvez pas vous contenter de regarder vers l’intérieur (…); vous devez vous sentir suffisamment bien pour aider le monde, pour combattre l’injustice, pour lutter contre la pauvreté», ont écrit les deux prélats italiens.
Même s’il est difficile de l’évaluer exactement, il semble que les mots d’ordre des épiscopats n’aient pas eu d’effets substantiels sur les votes européens. Contrairement à ce que les prélats ont souhaité, les enjeux majeurs de ces élections ont bien été la migration et la sécurité, avant les questions de solidarité et d’écologie. Les partis «écologistes» ont subi un fort recul dans une grande partie des pays européens.
L’autorité morale du pape François, qui a également fourni beaucoup d’efforts à promouvoir la conscience du sort des migrants, l’égalité sociale et la sauvegarde de la création ne semble pas avoir eu beaucoup plus de poids. «Tout cela pourrait poser de sérieux défis à l’agenda diplomatique et politique du Vatican sous le pape François», note ainsi le vaticaniste John Allen sur Crux (10 juin).
«L’influence politique croissante des forces de droite en Europe pourrait aider François sur plusieurs autres fronts»
John Allen
Le communiqué laconique de la COMECE, reconnaissant le besoin de «réduire le fossé» entre les citoyens européens et l’UE, serait-il le signe d’un changement de «stratégie» de la hiérarchie catholique? Se montrera-t-elle plus «compréhensive» face aux peurs et aux problèmes auxquels font face les Européens? Des perspectives envisageables, alors que certains points de l’agenda conservateur rejoignent également les préoccupations des épiscopats européens et du Vatican.
«L’influence politique croissante des forces de droite en Europe pourrait aider François sur plusieurs autres fronts», fait ainsi remarquer John Allen. «Notamment en Ukraine, où François et certains groupes populistes partagent un même scepticisme quant au soutien occidental à la prolongation de la guerre avec la Russie, ainsi que l’opposition notoire du pape à la ‘théorie du genre’, à l’euthanasie et à l’avortement.» (cath.ch/com/crux/ag/arch/rz)
Raphaël Zbinden
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/pour-les-eveques-deurope-lue-doit-apporter-des-reponses-adequates/