Formatrice de formateurs de maisons religieuses et de séminaires, la sœur thérapeute avait dû mener un long travail de persuasion, sur plusieurs années, pour convaincre des religieuses africaines de lui parler d’abus commis par des prêtres. Elle avait finalement mené des entretiens avec neuf personnes concernées dans cinq pays d’Afrique subsaharienne pour son enquête.
Les religieuses en Afrique sont en contact étroit avec les prêtres, a expliqué Sœur Mary Lembo, de la Congrégation des sœurs de sainte Catherine d’Alexandrie. Elles leur feraient confiance et chercheraient conseil et aide auprès d’eux. Il peut en résulter des «relations asymétriques». Certains prêtres complimentent les femmes, tandis que d’autres les isolent, rapporte l’agence KNA. Il y a aussi souvent une certaine naïveté. «Les religieuses ont parfois l’impression qu’un prêtre ne peut pas les blesser», a expliqué Sœur Mary Lembo.
Experte en la matière, la sœur togolaise avait obtenu une mention spéciale du Prix de Lubac 2021 pour sa soutenance de thèse, à la charnière de la psychologie et de l’anthropologie de la vocation chrétienne. Un livre issu de son travail, Religieuses abusées en Afrique, faire la vérité, avait ensuite été publié en français (Salvator, 2022). Sa thèse de doctorat est à présent publiée en allemand sous le titre Sexueller Missbrauch von Ordensfrauen in Afrika .
Lors de la conférence organisée à cette occasion par l’œuvre de bienfaisance catholique Missio à Aix-la-Chapelle, la sœur togolaise a affirmé que la sexualité reste un tabou social en Afrique. Ce qui explique pourquoi les abus dans l’environnement ecclésial n’ont guère été abordés jusqu’à présent.
En parler, c’est s’attirer le mécontentement de nombreuses consœurs «qui font preuve de peu de compréhension». De plus, de nombreuses femmes continuent à avoir peur et ne voudraient pas nuire à l’image de l’Église. Pour sa propre protection et celles des sœurs concernées, Mary Lembo ne cite pas les pays dans lesquels elle travaille.
Elle demande aussi, pour mieux protéger les religieuses, une réforme des programmes de formation. Les religieuses et les prêtres devraient pouvoir développer une approche mature et respectueuse des limites de la sexualité et de l’amitié. Les personnes concernées devraient être mieux accompagnées, insiste-t-elle, même après des avortements – qui ne sont pas rares – et après un éventuel départ de l’ordre.
Missio Aachen avait réalisé en 2019 une grande enquête sur les abus commis sur les femmes religieuses, avec l’aide d’experts externes. L’enquête avait été menée auprès d’organisations ecclésiastiques d’Afrique, d’Asie et d’Océanie. «Elle montre clairement qu’il ne s’agit pas de cas isolés», avait déclaré alors Dirk Bingener, président des Œuvres pontificales missionnaires à Aix-la-Chapelle, lors de la présentation des résultats en septembre 2020.
Les participants à l’enquête avaient fait état de la peur, de la honte et d’une culture du silence et de la dissimulation. Ils avaient aussi déploré la stigmatisation des victimes après les agressions. Parallèlement, les réponses montraient que les structures de pouvoir patriarcales et le cléricalisme hérité du passé constituaient les principaux défis. «Nous devons voir la souffrance des religieuses abusées, la reconnaître et en faire un sujet de discussion dans l’Église universelle, c’est l’une des principales préoccupations de nos partenaires», avait insisté le président de Missio Aachen.
Un appel réitéré le 7 juin 2024. Tant pour Dirk Bingener que pour Mary Lembo, il faut absolument mettre l’accent sur la formation. Le thème de la gestion des abus devrait être ancré dans la formation des prêtres dans les pays concernés. Missio Aachen soutient elle-même 28 projets sur ce thème en Afrique et en Asie. (cath.ch/kna/missio/lb)
Lucienne Bittar
Portail catholique suisse
https://www.cath.ch/newsf/le-tabou-des-abus-sexuels-sur-des-religieuses-en-afrique-doit-tomber/