Après les propos du pape, faut-il «enterrer» le diaconat féminin?

Lors d’une récente interview à la chaîne américaine CBS, le pape François a semblé exclure l’accès des femmes au ministère diaconal. Des propos qui ont suscité de nombreuses réactions, alors que plusieurs conférences synodales nationales ont mis ce point en exergue en vue de la session d’octobre à Rome.

«Non», a simplement dit François. Le pape a répondu ainsi sans tergiversation à une question de la journaliste américaine Norah O’Donnell, dans un entretien enregistré le 24 avril 2024 et diffusé le 21 mai. La journaliste de CBS lui avait demandé: «Une petite fille grandissant comme catholique aujourd’hui aura-t-elle l’opportunité d’être diacre et de participer comme membre du clergé dans l’Église?» Après sa réponse négative, le pontife a précisé: «S’il s’agit de diacres avec les ordres sacrés [ordonnées, NDLR], non (…) Mais les femmes ont toujours eu les fonctions de diaconesses sans être diaconesses, n’est-ce pas? Les femmes offrent un grand service comme femmes, pas comme ministres […] au sein de l’ordre sacré».

Douche froide?

Les réactions ont été fortes chez de nombreux catholiques, notamment des femmes, qui mettent un grand espoir dans cette réforme. «Je suis triste et en colère», confie ainsi à cath.ch Marie-Christine Conrath, membre du Réseau des femmes en Eglise, en Suisse romande. «C’est une énorme déception, cela montre encore une fois à quel point les femmes ne sont pas reconnues dans l’Eglise. Quand est-ce qu’elle se réveillera?»

Les paroles du pape ont d’autant plus choqué qu’un certain nombre de rumeurs couraient sur une orientation positive de l’évêque de Rome pour le diaconat féminin. La religieuse Linda Pocher, l’une des principales consultantes du pontife en la matière avait récemment assuré que le Saint-Père était «très favorable au diaconat féminin».

Marie-Christine Conrath, membre du Réseau des femmes en Eglise | © Bernard Hallet

Après écoute attentive de l’interview, des observateurs constatent toutefois que François n’écarte pas la possibilité, si ce n’est  »d’ordonner», «d’instituer» des femmes diacres. Un pas qui ne satisfait pas tous les tenants d’une juste place des femmes dans l’Eglise. «Si cette évolution [d’une institution des femmes, ndlr] se confirme, nous la prendrons, car il est sûr que les choses bougent par petits pas, assure Marie-Christine Conrath. Mais ce sont des pas de fourmis. Les responsables de l’Eglise ne se rendent pas compte à quel point ces rôles de ‘seconde classe’ que l’on daigne accorder aux femmes sont blessants. Nous avons l’impression de ne pouvoir être que des servantes silencieuses et soumises, malgré tout le travail que nous accomplissons.»

Pas de diaconat «au rabais»

Claire Jonard, facilitatrice au Synode d’octobre 2023, estime aussi que le pape François a pu esquisser une forme de «troisième voie» pour le diaconat féminin, qui ne nécessiterait pas une ordination. «La question du diaconat féminin est très présente dans les rapports envoyés à Rome par les Conférences épiscopales de nombreux pays. Et, comme c’est le cas dans la synthèse suisse, ces documents exhortent à ne pas aller vers un diaconat ‘au rabais’.» «Une forme spéciale de diaconat ‘pour les femmes’ serait considérée, dans le contexte suisse, comme l’expression d’une relégation des femmes, au même titre que la gradation du diaconat par rapport au ministère ordonné», dit exactement le texte envoyé mi-mai au Vatican (p7).

«Le pape François reste attaché à une vision de l’institution divisée en ces dimensions ‘pétrinienne’ et ‘mariale'»

L’accès des femmes au diaconat est l’une des questions les plus débattues par les participants au Synode sur la synodalité, cette réflexion mondiale censée rendre l’Église plus participative et accueillante, moins centralisée et cléricale. Lors de l’assemblée internationale d’octobre 2023, les membres ont souhaité que «l’on poursuive la recherche théologique» à ce sujet, en s’appuyant notamment sur les résultats des commissions instituées par le pape en 2016 puis 2020.

Si les conclusions de leurs travaux n’ont jamais été rendues publiques, l’on sait, d’après une source vaticane contactée par l’agence I.MEDIA, que les travaux de la deuxième commission – dont les membres sont tenus au secret pontifical – ont été remis au pape fin 2022. Le Synode a demandé dans le document de synthèse d’octobre que ces résultats soient présentés à la prochaine session de l’assemblée, laissant entendre que ce chantier pourrait donc avancer.

Suivre la Tradition ou l’Eglise des origines?

L’assemblée synodale était cependant partagée entre ceux qui considèrent que le diaconat féminin serait «inacceptable car en discontinuité avec la Tradition», ou ceux qui estiment que cela «rétablirait une pratique de l’Église des origines».

Claire Jonard est responsable du Centre romand des Vocations | © Maurice Page

Si les historiens s’accordent sur la présence de femmes diacres dans les premiers siècles de l’Église, deux approches s’opposent concernant la nature de l’ordination des diaconesses. La première estime qu’elles étaient ordonnées par imposition des mains et que ce rituel revêtait bien une dimension sacramentelle. La deuxième prend le parti opposé, considérant que le diaconat féminin n’a jamais pu être l’équivalent du diaconat masculin, qu’il n’était pas un sacrement, mais une sorte de ministère institué – comme le sont aujourd’hui les ministères de catéchiste ou de lecteur, qui sont ouverts aux laïcs.

Une interview n’est pas un texte magistériel

A la question de la légitimité du diaconat féminin, se superpose celle de la nature de l’Eglise. Le pape François reste apparemment attaché à une vision de l’institution divisée en ces dimensions «pétrinienne» et «mariale». Une idée développée en particulier par le théologien suisse Hans Urs von Balthasar (1905-1988), dont l’influence sur le pontife est bien connue.  La dimension pétrinienne étant apostolique, dirigée par les évêques, et la «mariale» englobant l’aspect féminin de l’Eglise. Une conception critiquée par nombre d’observateurs pour son côté anachronique et généralisant. Le «non» du pape François tendrait à confirmer qu’il préfère s’en tenir aux grandes lignes de  la Tradition que se diriger vers des changements majeurs.

«Pourrait-on aller vers une ‘solution sur mesure’, qui tiendrait compte des diverses sensibilités ecclésiales?»

L’intervention sur CBS a-t-elle donc définitivement «enterré» l’idée du diaconat féminin, où peut-on encore s’attendre à un revirement? «Le pape aura le dernier mot sur cette question, rappelle Claire Jonard. Mais il faut se rappeler qu’un interview n’est pas un texte magistériel. Il ne valide aucune décision. Je pense que pour donner un avis définitif, il faudra attendre la fin du processus synodal.»

Vers un diaconat «à géométrie variable»?

Il n’est pas impossible que l’épisode de la déclaration Fiducia supplicans (décembre 2023), qui a autorisé la bénédiction des couples irréguliers, ait eu une influence sur le pontife dans le dossier du diaconat féminin. Les réactions extrêmement virulentes qui avaient suivi le document l’avaient amené à chercher le compromis, autorisant les épiscopats africains à ne pas appliquer le texte. Est-ce un François «échaudé» par cette mauvaise expérience qui aurait décidé de jeter un peu d’eau froide sur ses réformes?

Pourrait-on ainsi aller, comme avec les bénédictions des couples homosexuels, vers une «solution sur mesure», qui tiendrait compte des diverses sensibilités ecclésiales? Une telle idée a été énoncée  par la théologienne américaine Phyllis Zagano. Tout en assurant que le diaconat féminin n’est «qu’une question de temps», elle estime que, sans explicitement accepter des diaconesses, le pape pourrait mettre en place une situation dans laquelle un diocèse pourrait procéder à des ordinations diaconales féminines qui seraient ensuite validées par le Vatican.

«Les propos du pape peuvent certainement jeter un trouble sur le vote de l’assemblée synodale»

Claire Jonard

Helena Jeppesen, déléguée suisse au Synode, appelle d’ores et déjà les diocèses du pays à agir de leur propre chef. Il doivent «continuer d’introduire d’urgence ce qui peut se faire liturgiquement sans consécration: les baptêmes, les célébrations de la Parole avec communion, les prédications», assure-t-elle à kath.ch. C’est, selon elle, l’action pragmatique sur place, en plus de la collaboration au niveau du Synode mondial, qui «aura également une influence et changera l’Eglise, peut-être aussi la théologie».

Trouble sur le Synode

Mais, autant que le fond, la forme de l’intervention du pape François interroge. «Je n’arrive pas à comprendre le sens de cela, admet Claire Jonard. Le pape a-t-il voulu ainsi susciter le débat sur ce sujet? Je pense que cela ne rend en tout cas pas plus claire la lecture du processus synodal. Le diaconat féminin est un point qui a été mis à l’ordre du jour par beaucoup de rapports nationaux, il sera de toute façon discuté et inscrit dans l’Instrumentum laboris (instrument de travail). Les propos du pape peuvent certainement jeter un trouble sur le vote de l’assemblée.»

Marie-Christine Conrath est également perplexe. Même si elle assure qu’elle continuera à participer au synode, ce dernier épisode a écorné sa confiance dans le processus. «Si le but est de nous écouter les uns les autres, mais que l’on n’entend finalement pas les femmes, à quoi tout cela sert-il?» (cath/arch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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