«L'Église masculinise l'image de Dieu»

«L’égalité des sexes dans l’Eglise restera difficile aussi longtemps que l’image de Dieu sera purement masculine», souligne Annette Jantzen. La théologienne allemande décrypte l’articulation du «genre» de Dieu dans la Bible et dans le christianisme.

Jacqueline Straub, kath.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden

Annette Jantzen (46 ans) est docteure en théologie et agente pastorale dans le domaine des femmes dans le diocèse d’Aix-la-Chapelle (ouest de l’Allemagne). Elle a écrit plusieurs livres sur la spiritualité féminine et tient le blog www.gotteswort-weiblich.de. Le lundi de Pentecôte, 20 mai 2024, elle tient une conférence sur le thème «Dieu est tellement plus que le Seigneur» dans le cadre de la journée Junia au centre paroissial de Speicher, dans le canton d’Appenzell Rhodes-Extérieures.

Quel est le sujet de votre exposé à la journée Junia?
Annette Jantzen: Il s’agit des images de Dieu dans la Bible. Souvent, nous en avons une représentation masculine. La Bible déploie un large delta en ce qui concerne les divers noms donnés à Dieu. En revanche, notre langage ecclésiastique est un canal étroit. Lorsque les traditions sont rapportées, elles se retrouvent naturellement plus indifférenciées et simplifiées. Ce n’est pas grave en soi. Mais cela devient problématique lorsque le canal prétend représenter le tout.

Pensez-vous que la tradition catholique ait une image appauvrie de Dieu?
Absolument. En ce sens, il peut être très instructif de jeter un coup d’œil dans la Bible. Elle nous montre la réalité du passé dans ce domaine, et révèle également que le problème de la représentation féminine existe déjà depuis longtemps. Les passages qui parlent de Dieu et des hommes d’une manière allant à l’encontre des représentations patriarcales de l’époque sont des aspects particuliers. Ils demandent une subtilité de traduction. Malheureusement, les traductions actuelles lissent souvent les éléments qui ne correspondent pas aux représentations traditionnelles. Il arrive qu’une image féminine de Dieu dans un demi-verset soit supprimée dans l’optique d’une lecture plus ecclésiastique.

«Plus les écrits sont tardifs, plus l’image de Dieu ‘Père’ est fréquente et exclusive»

Où se situe la principale difficulté?
Les textes ont été écrits dans un contexte patriarcal. La Bible devient plus patriarcale au gré des changements d’époque. Les temps bibliques étaient rudes pour les femmes. Et il est malheureux pour nous que les écrits chrétiens du Nouveau Testament aient été rédigés dans cet esprit de l’époque. Il est rare de trouver dans des textes issus d’une société patriarcale une image de Dieu féminisée traitée comme une réalité réellement positive. Mais lorsque c’est le cas, cela doit être relevé et célébré. C’est un aspect des Ecritures qui révèle le sacré. Et il n’est pas correct de vouloir l’effacer.

Vous avez parlé de passages «lissés». Avez-vous un exemple?
Dans le Nouveau Testament, le mot «extase» est traduit de différentes façons: pour les hommes, ce terme est associé à l’enthousiasme, pour les femmes à la crainte. Or, l’extase conjugue ces deux aspects. Il existe de nombreux exemples de traductions guidées par des préjugés.

Quelles sont les représentations de Dieu dans le Nouveau Testament?
Jésus parle de Dieu de manière très variée. Plus les écrits sont tardifs, plus l’image de Dieu «Père» est fréquente et exclusive. Ce n’est que dans l’évangile de Jean que l’image du père est aussi dominante. C’est une expression de la repatriarcalisation du christianisme.

Et dans l’Ancien Testament?
On trouve bien sûr Dieu en tant que roi, juge, mais aussi en tant que mère vautour qui apprend à ses petits à voler. 

«Les images de Dieu dans la Bible doivent être traduites avec soin»

Mais, dans la traduction actuelle, il s’agit d’un aigle – donc à nouveau d’un terme masculin. Il n’y a plus d’allusion à un animal femelle.
C’est vrai. C’est dans la Septante, la première traduction grecque de la Bible hébraïque, que le mot a été modifié. Les Grecs trouvaient en effet les vautours dégoûtants et les aigles formidables, et nous les avons repris tels quels. En cela, la pensée sémitique est différente. Le vautour est un animal qui se trouve à la frontière de la vie et de la mort, c’est pourquoi il est une bonne représentation de Dieu.

Quelles sont les autres images féminines?
La mère ours, par exemple, ou la mère humaine. Dans le psaume 131, il est dit que l’enfant sevré vient se blottir. Il ne vient plus vers sa mère parce qu’il doit être allaité, mais parce que son âme trouve le repos auprès de Dieu, sa mère. Je trouve également passionnante l’image de la déesse de la terre dans le psaume 139. Les anciens Israélites savaient bien sûr que les enfants ne grandissent pas dans la terre. Il existe aussi des images cosmiques et non visuelles pour Dieu.

On trouve en effet également le nom de Dieu ‘Yahvé’, qui se traduit par «Je suis celui qui suis».
Ce qui est particulièrement passionnant, c’est que le récit qui explique le nom de Dieu travaille avec un jeu de mots qui est neutre en hébreu. Si à un endroit aussi central, dans une langue aussi contrastée, apparaît un mot non contrasté, que l’on peut alors traduire par «je suis celui que je suis», «je suis celle que je suis» ou «je suis ce que je suis», c’est aussi très significatif.

Comment peut-on redécouvrir ces images très diverses de Dieu?
Tout d’abord, elles doivent être traduites avec soin. Celui qui a l’occasion d’apprendre une langue si ancienne et qui peut aussi s’approprier ces textes dans leur version originale a le devoir de les traiter de manière appropriée. Je suis désormais très sensible aux coupures de textes motivés par l’intérêt.

«Il y a certainement des textes de la Bible qu’il serait adéquat de ne plus lire pendant les célébrations»

Les images de Dieu peuvent-elles révolutionner quelque chose?
Elles peuvent être des facteurs très forts d’autonomisation. C’est en effet une affaire entre nous et Dieu, et non entre nous et l’Église. Je peux donc m’imaginer que cela accélère encore les processus d’érosion de l’Eglise, même si je ne l’espère pas. Je pense néanmoins que l’égalité des sexes dans l’Église restera difficile tant que l’image de Dieu sera purement masculine, car elle préfigure une prédominance du masculin. L’Église masculinise l’image de Dieu. Le masculin devient ainsi une norme invisible.

Qu’est-ce qui change lorsque l’image de Dieu n’est plus vue et prêchée de manière purement masculine?
La manière dont nous parlons de Dieu détermine aussi la manière dont nous nous considérons en tant qu’êtres humains. Et cela signifie qu’il y a soudain une place pour une véritable égalité. Tous les hommes n’approuvent pas cela. Quand on est privilégié, l’égalité ressemble à un désavantage. Mais c’est un passage obligé pour les hommes, et plus largement pour les êtres humains.

Avez-vous l’espoir que les diverses images de Dieu dans la Bible aient la force de briser le patriarcat dans l’Église?
Oui, je le pense. Il y a des points sur lesquels on ne peut plus revenir. Les personnes vont plus loin avec ce qu’elles peuvent s’approprier. Il y a certainement des textes de la Bible qu’il serait aujourd’hui adéquat de ne plus lire pendant les célébrations. Par exemple, le passage de l’épître aux Ephésiens où il est dit que les femmes doivent se soumettre à leur mari.

«Nous assistons à une montée du patriarcat dans le monde entier»

On pourrait penser que c’est de la censure. Mais jusqu’à présent, personne n’a parlé de censure du fait que le Cantique des cantiques n’apparaisse jamais dans les lectures dominicales. J’espère que nous en viendrons à une telle approche réfléchie des textes bibliques dans les célébrations. Mais j’ai toutefois des inquiétudes.

Lesquelles?
Les courants fondamentalistes au sein de l’Église catholique, mais aussi au sein d’autres confessions, ont beaucoup de succès. Nous assistons à une montée du patriarcat dans le monde entier, souvent liée à des mouvements d’extrême droite. C’est sur ce terrain que l’on peut espèrer que la diversité des images de Dieu apportent une victoire. (cath.ch/kath/js/rz)

Rédaction

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