On dit nos sociétés sécularisées, et pourtant la recherche spirituelle occupe toujours l’esprit de nos contemporains et le fait religieux est partout, de l’acceptation du burkini dans les piscines lausannoises, au rôle de l’orthodoxie dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine.
Les médias «séculiers» investissent ces questions, mais il leur manque parfois le savoir-faire des journalistes spécialisés. Ceux-ci doivent-ils être des gens de foi, voire même des théologiens? Peuvent-ils être engagés au service d’une communauté religieuse sans risque de prosélytisme?
Pour répondre à ces questions – et d’autres encore – plusieurs professionnels de la presse religieuse en Suisse romande* se sont donnés rendez-vous le 14 mai 2024, au Musée International de la Réforme de Genève. Cette table ronde – organisée par le Club suisse de la presse (CSP) et Médias-pro sous le titre Quel rôle pour les médias religieux en Suisse romande? – a attiré une cinquantaine de personnes, des milieux des Églises ou/et des médias.
Ces médias ont tous «un lien avec une Église historique officielle et la tradition religieuse, protestante, réformiste ou catholique», a souligné Isabelle Falconnier, directrice du CSP et co-animatrice du débat avec Lucas Vuilleumier, journaliste à Protestinfo. Alors, qu’est-ce qui l’emporte dans leur rédaction? Le service de la foi ou celui de l’information objective? Ce dernier, ont unanimement répondu les participants, avec des nuances dans la façon de concilier les deux.
Dimanche des médias 25-26 mai 2024 et Prix Good News
Depuis 1966, l’Eglise catholique a instaurée une journée mondiale des communications sociales célébrée chaque année. Le dimanche des médias aura lieu cette année en Suisse les 25 et 26 mai. Il est l’occasion de rappeler aux fidèles l’importance des médias au sein de l’Eglise. Dans son message le pape François propose une réflexion sur l’usage de l’Intelligence artificielle. Le dimanche des médias est aussi l’occasion de décerner le Prix good news qui distingue un projet journalistique ayant spécialement contribué à diffuser la Bonne Nouvelle par de bonnes nouvelles dans les médias. Le vote du public est ouvert jusqu’au 26 mai.
«On a recruté Lucas Vuilleumier car on recherchait un journaliste confirmé, mais aussi quelqu’un qui connaissait le milieu des Églises protestantes et, si possible, qui avait une vie spirituelle, qui savait ce que ça voulait dire être croyant», a partagé Anne-Sylvie Sprenger, rédactrice en chef de Protestinfo.
«Nous sommes certes croyants, mais aussi journalistes», a assuré de son côté Bernard Hallet, rédacteur en chef de cath.ch, qui fête ses 10 ans d’existence cette année. «C’est important pour pouvoir communiquer, synthétiser et puis transmettre ce qui est finalement une vie de foi extrêmement riche et complexe.»
Les journalistes de RTSReligion, qui dépendent en partie de Cath-Info et en partie de Medias-Pro, sont des experts reconnus par la RTS, a souligné pour sa part Paolo Mariani, directeur de l’Office protestant des médias. «Nous sommes appelés par le service public à parler de religion et de spiritualité, qu’il s’agisse de bouddhisme, islam, catholicisme, protestantisme… de façon neutre, indépendamment de notre confession. Il n’y a pas de but d’évangélisation, mais un but de décryptage.» Or pour acquérir cette expertise, les journalistes doivent avoir un intérêt marqué pour les questions religieuses et des connaissances théologiques personnelles, avance-t-il.
«Nous sommes certes croyants, mais aussi journalistes. C’est important pour synthétiser et transmettre ce qui est une vie de foi extrêmement riche et complexe.»
Bernard Hallet
Pour l’hebdomadaire chrétien l’Echo Magazine, la question se pose autrement car ce journal est de toujours indépendant, même si, historiquement, il a toujours été proche de l’Église catholique. Depuis 2000, porté par le désir de donner un cadre social et culturel aux valeurs véhiculées par le christianisme, avec toujours pour public cible les familles, un nouvel accent a été mis sur la dimension chrétienne du titre. «Car les gens sont vraiment en quête de sens», a argumenté Dominique-Anne Puenzieux, directrice du titre. «Notre rédacteur en chef actuel et l’une de nos journalistes ont donc été recrutés par rapport à leurs connaissances de la culture chrétienne et leur engagement dans ce milieu.»
Les invités au débat ont aussi souligné le défi de devoir répondre aux attentes de plusieurs publics cibles, en terme générationnel, mais aussi de cultures, pas toujours compatibles.
Financé par les six Églises réformées de Suisses romande, Médias-pro et Cath-Info, par exemple, s’inscrivent en même temps comme des partenaires du service public pour leurs émissions RTSReligions. «Cela demande un travail d’équilibrage», témoigne Paolo Mariani. Pour le directeur de Médias-Pro, c’est quasi impossible de répondre à toutes les demandes avec un seul produit. Depuis cette année, l’accent a donc été mis en outre sur l’offre digitale et les réseaux sociaux.
Rédacteur en chef de Réformés, Jöel Burri a rappelé de son côté que ce mensuel est né en 2016 de la fusion des différentes Vie protestante des Églises réformées cantonales et de Bonne Nouvelle, le journal de l’Église évangélique réformée du canton de Vaud. «Réformés doit répondre à toutes les demandes que peut avoir une Église en matière de communication, et elles sont souvent contradictoires. On est le journal des Églises (protestantes), mais on est aussi un gratuit largement distribué pour rester en contact avec les protestants culturels et les distancés. Notre UNE couvre toujours un sujet de société, et en même temps nous proposons toujours des pages `splittées`, c’est-à-dire différentes d’une région à l’autre. Elles proviennent essentiellement des Églises locales, des paroisses avec leurs programmes, le billet du pasteur…»
Pour Bernard Hallet, ce n’est effectivement pas parce qu’on est au service d’une communauté, en l’occurrence les catholiques, que la diversité n’existe pas ou que les autres confessions et religions sont oubliées. «Notre activité d’agence de presse a laissé la place petit à petit à un média web, qui traite l’actualité catholique dans différents formats, avec des décryptages de faits, du magazine, des portraits, dans des articles et des vidéos, et avec une présence sur les réseaux sociaux.» Ce qui permet d’aller à la rencontre des différents visages du catholicisme et des différentes générations et de transmettre ce qui fait sa tradition, mais aussi sa diversité.
Un avis partagé par Anne-Sylvie Sprenger. «On est dépositaire de cette tradition qui accompagne l’humanité depuis plus de 2000 ans. Cette richesse se perd, car sa transmission se fait plus difficilement. Nous ne sommes pas meilleurs que d’autres journalistes, mais nos Églises nous permettent de nous concentrer sur ces sujets.» En d’autre termes, heureusement que les Églises sont là pour financer ce journalisme spécialisé et pour éviter des erreurs que l’on peut voir dans la presse généraliste.
«Nous ne sommes pas meilleurs que d’autres journalistes, mais nos Églises nous permettent de nous concentrer sur ces sujets»
Anne-Sylvie Sprenger
Les journalistes religieux, en sus, bénéficient d’un réseau qui manque aux autres. Ce qui leur permet d’élargir le regard, de ne pas faire appel à chaque fois aux mêmes experts, remarque Joël Burri.
Précisant que les Églises ont par ailleurs des services de communications, Isabelle Falconnier, présidente du Club suisse de la presse, a demandé à ses collègues comment ils abordaient des sujets plus douloureux. «Est-ce difficile de trouver la bonne distance, lorsqu’il faut plonger dans une actualité malheureuse qui concerne une Église avec laquelle vous avez des liens privilégiés comme la question des abus en Églises?»
«Côté cath.ch, on n’a jamais eu de pression de l’Église», lui a répondu Bernard Hallet. «Et de toute façon, ça ne fonctionnerait pas avec nous! Nous avons donc largement abordé ces questions, mais à des rythmes différents.» Avec des articles d’information immédiate, puis un retour sur les faits à travers une réflexion de fond pour chercher à comprendre comment cela a pu se produire. Il s’agissait de décrypter le phénomène des abus, leur caractère systémique, en interpelant des victimes, des sociologues, des théologiens. «Nous devons toutefois veiller à ne pas saturer nos lecteurs, souligne le rédacteur en chef de cath.ch, même si notre travail est nécessaire et salutaire, il permet d’interpeller les évêques, de leur demander comment ils veulent faire évoluer l’institution.»
Du côté de Protestinfo, Anne-Sylvie Sprenger revient sur une affaire soulevée par sa rédaction y a quelques années, celle du président de l’Église réformée suisse de l’époque, Gottfried Locher, appelé à démissionner suite à des accusations d’abus sexuel, psychologique et spirituel par une collaboratrice. «Que faire quand on sait que c’est quelque chose qui va mettre à mal l’Église? Il faut s’accrocher aux règles déontologiques des journalistes, c’est-à-dire croiser les sources, contextualiser, peser l’utilité, ou pas, de révéler l’info ou pas.»
«Certains se sont peut-être dit,`c’est mauvais pour l’Église`, a-t-elle poursuivi. Mais parle-t-on là de l’institution, d’un exécutif, des paroissiens? Servir l’Église, s’il fallait servir l’Église, ce ne serait pas servir l’institution. Ce serait être au service des croyants, qui aussi ont le droit de savoir ce qui se passe dans leur Église. C’est ce contre-pouvoir d’ailleurs qui a aussi été voulu par les Églises.»
Un contre-pouvoir malmené cependant par les réalités financières, mais aussi par les storytelling personnelles et toutes ces chambres d’écho que constituent souvent les médias sociaux. «Mais je veux rester optimiste, lance Joël Burri et croire qu’on va redécouvrir, assez naturellement, qu’un journaliste, ça hiérarchise l’info, qu’une belle UNE qui a été pensée pour vous dire non seulement ce que vous avez envie de lire, mais surtout ce que vous devez savoir, c’est une plus-value incroyable.» (cath.ch/lb)
* Il y avait là: Joël Burri, rédacteur en chef du mensuel Réformés, Bernard Hallet, rédacteur en chef de cath.ch, Paolo Mariani, directeur de l’Office protestant des médias Médias-pro, Dominique-Anne Puenzieux, directrice de l’Echo Magazine, et Anne-Sylvie Sprenger, rédactrice en chef de Protestinfo.
Lucienne Bittar
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