Gaza: «Le désespoir n’est pas chrétien»

Quelques heures après l’attaque du Hamas contre les kibboutz israéliens, le 7 octobre dernier, George Anton, redoutant les représailles de l’État d’Israël, s’est réfugié à l’église de la Sainte-Famille avec sa femme et ses trois enfants. Le membre du Comité d’urgence de l’Eglise catholique de la Sainte-famille ne veut pas fuir, «pour aller où?» Il aide la communauté à survivre en gardant espoir.

Luc Balbont, pour cath.ch

«Je pressentais que la contre-attaque de l’armée israélienne serait terrible et durable. J’ai donc quitté ma maison et demandé immédiatement à l’Eglise catholique de la Sainte-famille à Gaza de m’accueillir, avec ma femme et mes enfants.» Le 7 octobre 2023, le jour même de l’offensive du Hamas contre les kibboutz israéliens sur le territoire de l’Etat hébreu, Georges Anton se doute de la dureté de la riposte. A Gaza, l’immeuble où il résidait avait déjà été bombardé en 2021, lors d’une offensive israélienne précédente. Et ce chrétien, père de famille de trois enfants, n’entendait pas revivre la même angoisse, en exposant les siens.

George Anton, tenant un morceau d’obus, n’a pas l’intention de quitter Gaza | DR

Premier réfugié de la Bande de Gaza

Les bombardements commencent deux heures après son arrivée à l’église. A Gaza-ville, Rimal, son quartier, est le premier secteur totalement détruit par les bombardements. Et George devient le premier réfugié de la Bande de Gaza.

Aussitôt, George Anton, responsable de Caritas à Gaza, forme avec un petit groupe un Comité qui prend en charge la protection de la communauté catholique. «Nous nous sommes activés tout d’abord à contacter chaque famille, afin de les faire venir à l’Eglise immédiatement.»

Originaire de Saint-Jean-d’Acre

Les guerres et les exils, les Anton en ont vécu un certain nombre. Famille catholique palestinienne originaire de Saint-Jean-d’Acre, au nord de la Palestine, elle est chassée en 1948 par les Israéliens qui conquièrent la région et obtiennent leur indépendance la même année. Le clan se réfugie alors au Liban voisin. C’est d’ailleurs à Beyrouth que Georges naît en 1981.

Le garçon finit par rentrer en Palestine en 1993 avec son père, qui travaille pour l’Organisation de Libération de la Palestine, l’OLP de Yasser Arafat, au lendemain des accords d’Oslo. Accords qui entérinent une coexistence entre les deux ennemis et la création d’un Etat palestinien, qui ne verra d’ailleurs jamais le jour.

En 1995, le père de George se déplace à Gaza avec l’Autorité Palestinienne (AP). La famille Anton finira par s’y installer. «Gaza, confie George,était alors sous autorité Palestinienne, et à l’époque Israël n’imposait pas encore ses volontés. C’était plus facile pour se déplacer, et se rendre en Cisjordanie. Ce qui n’est plus le cas depuis longtemps.»

Agé aujourd’hui de 43 ans, Georges Anton habite toujours Gaza avec sa femme, et ses trois filles, Leila 13 ans, Juliette 11 ans, et Nathalie 9 ans. Il est Directeur de Caritas pour la petite Bande martyre et membre du Comité d’urgence de l’Eglise catholique de la Sainte-famille.

La vie autour de l’église

Depuis le 7 octobre 2023, ce Comité s’attache à structurer et à organiser la vie de la communauté autour de l’église. «On a aménagé les salles de classe en dortoirs pour héberger les gens. On a stocké de la nourriture et de l’eau potable, créé une infirmerie, une pharmacie et même une boulangerie.»Et de préciser:«Ce qui est incroyable, c’est qu’en sept mois de guerre, il n’y a eu aucun mort de faim, ou de soif, les seuls cas mortels ont été provoqués par des maladies incurables, ou par des tirs israéliens. Le patriarcat latin nous a beaucoup aidé, mais aussi la mission pontificale, Caritas, le Catholic Relief Services (CRS), et des donateurs privés. Ce n’est pas notre première guerre, on en a connu bien d’autres. Nous sommes hélas habitués, même si cette guerre reste la plus mortelle pour notre peuple (lire l’encadré).»

Georges croit en sa mission, et à la force spirituelle de sa communauté. Les membres du Comité d’urgence, les prêtres et les parents s’efforcent d’expliquer aux enfants pourquoi il est important de rester, et de ne pas s’exiler, de maintenir une présence chrétienne. Surtout ne pas fuir comme en 1948 ou en 1967, pour reconstruire Gaza dès que la guerre sera finie, afin d’assurer notre avenir dans un État palestinien pacifique et reconnu.

«La résistance est d’abord dans les têtes»

Chez George et les chrétiens de la Sainte famille, le désespoir ne semble pas être à l’ordre du jour: «Les catholiques palestiniens doivent comprendre qu’il ne faut pas désespérer, affirme-t-il, mais avoir le courage de supporter les épreuves, de porter sa croix, et de continuer à croire que demain sera un jour de résurrection. Le désespoir n’est pas chrétien. Un peuple qui fuit n’a pas d’avenir. La résistance est d’abord dans les têtes, et les armes ne sont pas la seule solution.»

George Anton (à g.), ici avec un ami qui l’aide à déblayer une rue après un bombardement israélien, | DR

«Fuir, pour aller où?» se demande Georges. Pour être exploité dans un pays étranger, qui ne sera jamais le nôtre, et qui ne nous reconnaitra jamais pleinement. Si les Palestiniens émigrent, la Palestine disparaîtra. Il n’y a pas d’exil heureux. Il faut prendre exemple sur les Ukrainiens, qui résistent pour exister. Notre présence, même dans ce moment difficile est un signe d’espoir. La présence de l’Église, aussi minime soit-elle, est un miracle qui permet d’entretenir la possibilité d’un renouveau.

700 chrétiens à Gaza

«Je n’ai rien à voir avec la politique martèle Georges. Je suis civil. Je veux juste avoir le droit de vivre sur ma terre, de prier dans une église au milieu des miens et de mon peuple, avec des droits. De Rome, le pape François nous appelle tous les jours pour nous soutenir et nous redonner la force de continuer à vivre.» Au cours de ses échanges, George cite souvent un verset de la Bible, ou des passages de l’Evangile qu’il connait par cœur, pour corroborer ses propos.

Aujourd’hui il reste 700 chrétiens à Gaza, dont, sans doute, moins d’une centaine de catholiques. C’est peu, mais l’importance se mesure-t-elle seulement au nombre de pratiquants, ou bien réside-t-elle dans l’effet produit dans les sociétés où vivent des communautés chrétiennes? Pour Georges, les chrétiens ont une présence capitale dans le monde, surtout à Gaza en cette période tragique. «Ainsi quand j’entends des musulmans dire qu’ils ne quitteront jamais Gaza, tant que l’Église sera présente, s’émerveille George, je pense à Jésus, mourant seul sur sa croix…» Pouvait-on alors s’imaginer que plus de 2000 ans après sa crucifixion, on compterait plus de deux milliards de chrétiens dans le monde. (cath.ch/lbo/bh)

Un lourd bilan provisoire
Un bilan provisoire de plus de 35’000morts côté palestinien, dont un grand nombre de femmes et d’enfants (70% avance-t-on). Des statistiques données par le ministère de la Santé du Hamas, mais non contestées par l’ONU. Par comparaisons, en 1967 le bilan de la guerre des Six jours était de 10’000 à 15’000 morts dans les armées arabes, et celui de la Guerre du Kippour en 1973 s’élevait à environ 20’000 pertes, principalement égyptiennes. LB

Rédaction

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/gaza-le-desespoir-nest-pas-chretien/