En visite en Suisse, Mgr Haddad déplore l’exode des chrétiens du Liban

Des dizaines de milliers de villageois ont dû abandonner les zones frontalières du Sud du Liban bombardées presque quotidiennement par l’armée israélienne depuis l’attaque du Hamas le 7 octobre dernier. Mgr Élie Béchara Haddad, archevêque grec-catholique melkite de Saïda, dénonce une politique de la terre brûlée qui s’ajoute à la sévère crise économique qui perdure depuis octobre 2019 et provoque une émigration de masse, qui touche proportionnellement davantage la minorité chrétienne.

Jacques Berset, pour cath.ch

Les combats entre la milice libanaise du Hezbollah et l’armée israélienne ont déjà fait, depuis le 7 octobre dernier, près de 400 morts du côté libanais, dont plus de 70 civils. Au Sud Liban, les villageois chrétiens de Rmeich et d’Ain Ebel ou ceux du village mixte de Debel sont restés sur place malgré les dangers.

Politique de la terre brûlée

Dans la ville de Tyr, où vit une importante communauté chrétienne, la vie reste relativement normale. Mais les villages d’Alma el-Chaab,  Aïta el-Chaab, Yaroun, Safad, par exemple, ont été désertés: les populations bombardées sans discontinuer sont parties plus au nord, notamment à Beyrouth.

L’église grecque-catholique melkite de Yaroun, au sud du Liban, ciblée par l’artillerie israélienne | © Photo ACN

«Nombre de ces réfugiés sont des paysans: leurs maisons ont souvent été détruites, leurs vergers et leurs récoltes brûlées par les bombes au phosphore blanc larguées illégalement par Israël. Les oliviers ont séché, ils sont morts, les champs sont empoisonnés. Ces gens ne savent pas ce qu’ils vont devenir !» Dans certaines localités, des familles entières sont parties, ne laissant derrière elles qu’une seule personne pour s’occuper des biens et les protéger contre le vol.

Netanyahou veut «punir» le Liban

Agé de 64 ans, le prélat libanais était de passage du 20 au 28 avril au Tessin et en Suisse romande à l’invitation de l’œuvre d’entraide catholique «Aide à l’Eglise en Détresse ACN» dans un moment de fortes tensions régionales en raison de la guerre à Gaza.





Mgr Élie Béchara Haddad, archevêque grec-catholique melkite de Saïda, en visite en Suisse | © Lucia Wicki-Rensch. ACN

Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a déclaré que l’éviction du Hezbollah du Sud-Liban était un objectif national. Netanyahou veut «punir» le Liban, mais «il sait pourtant très bien que le Liban ne peut rien faire contre le Hezbollah, qui agit de façon autonome… Ce n’est pas la première fois que tout le Liban paie pour cette raison !»

Aujourd’hui, au Liban, la très grande majorité des Libanais ne vit pas, elle survit, notamment grâce à l’aide extérieure: les familles très pauvres sont de plus en plus nombreuses et ne mangent pas toujours à leur faim. «Un plat quotidien, et la viande, s’il y en a, à peine une fois par semaine».

Le diocèse melkite de Saïda et Deir el-Qamar, que dirige Mgr Élie Béchara Haddad depuis 2007, comptait autrefois 80’000 âmes, aujourd’hui seulement 40’000… Les villages chrétiens de son diocèse situés à l’est de Saïda avaient été détruits durant les années 1982-1985 par les combattants druzes et les milices sunnites s’affrontant aux miliciens chrétiens des Forces libanaises au cours de la «guerre de la montagne» qui avait éclaté le 3 septembre 1983 après le retrait de l’armée israélienne. Dans certains villages druzes et chrétiens, les confrontations avaient commencé dès l’invasion israélienne du Liban le 6 juin 1982.

Une déstabilisation du pays qui pousse les Libanais à émigrer

«Notre diocèse, qui avait été reconstruit depuis, est à nouveau très affecté… Le danger vient de la déstabilisation du pays qui pousse les Libanais à émigrer vers le Canada, les Etats-Unis, l’Australie, mais également vers la France, la Belgique, la Suisse. Les chrétiens ne sont plus qu’un tiers de la population libanaise, mais on s’attend encore à une diminution. Ces sont les jeunes qui partent, mais aussi des familles entières. Heureusement que nous recevons de l’aide extérieure pour nos institutions – écoles chrétiennes, hôpitaux, dispensaires, Caritas locale. La diaspora nous aide, mais aussi des organisations comme «Aide à l’Eglise en Détresse ACN», l’Œuvre d’Orient et d’autres ONG. Cela stabilise la situation, mais ne résout pas le problème, car le Liban est soumis à des interférences extérieures qui ne le laissent pas diriger son propre destin».  

Le pays est ciblé pour ses richesses gazières

Pour Mgr Haddad, le pays est ciblé pour ses richesses gazières qui sont convoitées (le champ gazier de Karish, situé à la lisière de la zone d’exclusivité économique libanaise).  «Israël ne veut pas que le Liban soit un pays pétrolier qui puisse vivre à l’aise en raison de ses richesses». Si, pour lui, les gens du Hezbollah sont des compatriotes – «nous les respectons et nous nous accordons concernant des problèmes humanitaires» – il refuse par contre leur volonté d’«iraniser» le pays. «Je suis tout à fait d’accord avec le patriarche maronite Béchara Boutros Raï, qui veut que le Liban reste à l’écart de tous les conflits internationaux».

Alors que de nombreuses familles chrétiennes ont fui vers des zones plus sûres, les prêtres et les religieux sont toujours là pour accompagner ceux qui sont restés sur place pour s’occuper de leurs maisons, ou qui sont trop âgés ou trop fragiles pour être déplacés. ACN apporte son aide dans cette situation d’urgence, notamment en fournissant des colis alimentaires et une assistance médicale, et en permettant aux élèves chrétiens de la région d’accéder à l’enseignement en ligne. JB

Mgr Élie Béchara Haddad à la tête d’une «Eglise-pont»
Mgr Haddad est archevêque de l’Eglise grecque-catholique melkite, une Eglise de rite byzantin unie à Rome depuis le XVIIIe siècle, qui se veut une «Eglise-pont» entre les communautés – catholiques et orthodoxes, chrétiens et musulmans.
Bonne entente avec la grande majorité des musulmans
Dès sa fondation, l’Eglise melkite est porteuse d’une culture de tolérance et de construction de ponts, souligne Mgr Elie Béchara Haddad. «Actuellement, dans certaines éparchies, les musulmans ont recours à nos évêques pour jouer le rôle de médiateur entre les différentes communautés musulmanes. Mais les défis sont là présents, dans nos quotidiens, c’est une relation qui est à construire et à soigner chaque jour et au fil des années. L’intégrisme et les différents courants fondamentalistes menacent les liens interreligieux et mettent en péril le «vivre ensemble»».
Mgr Élie Béchara Haddad est né le 28 janvier 1960 à Ablah, dans la Plaine de la Bekaa. Il entre tout jeune au couvent Saint-Sauveur, de l’ordre Basilien du Très Saint Sauveur, à Joun, près de Saïda. Il est ordonné prêtre le 9 août 1986, après avoir terminé ses études philosophiques et théologiques à l’Université du Saint-Esprit à Kaslik (1980-1983) et à l’Université Pontificale Grégorienne de Rome (1983-1985). Il est titulaire d’un doctorat en droit canonique et civil obtenu à l’Université Pontificale de Latran, à Rome, en 1994. Il est auteur de plusieurs livres et articles, surtout en droit canonique.
Élu par le Saint-Synode de l’Eglise grecque-catholique melkite le 11 octobre 2006, Mgr Élie Béchara Haddad est ordonné archevêque de Saïda et Deir el-Qamar, le 24 mars 2007, par le patriarche Grégoire III Laham, assisté de l’archevêque Georges Kwaiter et du métropolite Joseph Kallas. Mgr Haddad reconnait que les rapports entre minorité chrétienne et majorité musulmane se sont améliorés après la guerre civile qui a ensanglanté le Liban (1975-1990) et la nouvelle invasion israélienne de juillet 2006. Les dirigeants chrétiens et musulmans s’invitent mutuellement à leurs fêtes respectives et il existe un comité mixte pour les relations et les études islamo-chrétiennes. Mais à Saïda, la petite communauté chrétienne, touchée par l’émigration, a peu d’influence concernant les décisions politiques importantes de la ville. Mgr Haddad considère que ce sont les initiatives solidaires de la vie quotidienne qui rapprochent les croyants, bien plus que les discours politiques. JB

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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