Le Père Émile Shoufani, un homme de conciliation pas toujours compris

Miné par la maladie, le Père Émile Shoufani – décédé le 18 février 2024 à Nazareth à l’âge de 76 ans – était un apôtre de la réconciliation entre arabes et juifs en Israël. «C’était un grand homme, un prêtre avec un grand rayonnement pastoral, un homme de conciliation… pas toujours compris par certains dans son entourage, qui lui reprochaient d’être justement trop conciliant envers les Israéliens», note le Père jésuite Jean-Bernard Livio.

Par Jacques Berset, pour cath.ch

L’archimandrite de l’Église grecque-catholique melkite à Nazareth se définissait lui-même comme Israélien et pas comme Palestinien. Il avait pourtant été marqué par la tragédie de sa propre famille. Né en 1947 à Nazareth, alors en Palestine sous mandat britannique, Émile Shoufani est expulsé l’année suivante de son village familial par les Israéliens qui tuent son oncle de 17 ans et son grand-père alors que, civils non armés, ils fuyaient les soldats en direction du Liban.

Un engagement au nom de l’Évangile

«Ce n’est pas simple d’être un arabe israélien. Cela demande du courage, mais son engagement était au nom de l’Évangile», confie le Père jésuite, qui tenait à le visiter au collège Saint-Joseph Nazareth à chaque fois qu’il se rendait en Palestine et en Israël. De formation archéologue et bibliste, Jean-Bernard Livio guide depuis près de six décennies des groupes de pèlerins en Terre sainte, la «Bible en mains». Il connaissait bien le «curé de Nazareth» avec lequel il a eu un dernier contact téléphonique en septembre dernier. «Il n’a jamais séparé ses fonctions d’enseignant puis de directeur du collège Saint-Joseph avec celle de curé melkite de Nazareth».

«Il voulait faire connaître aux arabes israéliens la position des juifs après la shoah»

Jean-Bernard Livio

«Il considérait ‘l’autre’ comme important, pas comme un ‘étranger’. Il avait d’excellents rapports avec les autres communautés chrétiennes, mais aussi avec les juifs et les musulmans. Il voulait faire connaître à ses compatriotes arabes la position des juifs après la shoah, ouvrir leur sensibilité à ce qu’ils avaient souffert, affirmant qu’ils n’étaient pas que des agresseurs. J’avais rencontré un homme apaisé et apaisant, sachant qu’il vivait des choses très dures. Les chrétiens arabes israéliens ne comprenaient pas qu’on leur faisait payer le prix de la shoah. Ils avaient du mal à accepter qu’on les accable pour ce qui s’était passé en Europe!»

Découverte de l’horreur des camps de la mort nazis

Mais le Père Shoufani, qui avait découvert, quand il était étudiant en France, l’horreur des camps de la mort nazis et avait entendu les témoignages des rescapés des camps, estimait que pour vivre avec les juifs israéliens, les Arabes devaient chercher à les connaître. «J’ai compris qu’on ne pouvait pas entrer en dialogue avec le peuple juif si on ne connaissait pas cette histoire-là…», déclarait-il à la revue Terre Sainte.

Dans son collège, qui accueille chrétiens et musulmans, il a longtemps organisé des rencontres avec des étudiants juifs. Il avait mis au programme l’enseignement de la shoah. «C’était la première fois en Israël que des élèves arabes, musulmans et chrétiens, découvraient ensemble cette réalité». Chaque année, il emmenait des classes à Yad Vashem, l’institut international pour la mémoire de la shoah à Jérusalem.

Il était convaincu que, pour mieux connaître l’état d’esprit des juifs, il fallait se rendre à Auschwitz et à Birkenau, pour mieux ressentir ce que fut l’holocauste des juifs dans les camps d’extermination nazis. C’est ainsi qu’en 2003, après la seconde intifada qu’il jugeait dévastatrice, il mena le voyage «Mémoire pour la Paix», rassemblant sur le site des camps de la mort près de 700 personnes, chrétiens, juifs, arabes musulmans.

Prix Unesco de l’éducation pour la paix

Cela lui valut la même année le Prix Unesco de l’éducation pour la paix. En Israël, il reçut le doctorat honoris causa de l’Université hébraïque de Jérusalem, titre honorifique que lui décerna en Belgique l’Université catholique de Louvain après son voyage à Auschwitz-Birkenau. En 2014, au Collège des Bernardins à Paris, il reçut le prix de «l’Amitié judéo-chrétienne de France».

«On ne peut pas cautionner la politique de la droite et de l’extrême-droite israéliennes»  

Emile Shoufani

Jusqu’à son décès, toujours engagé pour le dialogue, il voulait, comme citoyen israélien, pouvoir critiquer l’action de son gouvernement, sans que cette critique soit taxée automatiquement d’antisémitisme, une accusation instrumentalisée par le gouvernement Netanyahou et ses alliés, citant des propos du président français Emmanuel Macron. Conciliant un patriotisme arabe affirmé et une loyauté sans faille à l’État d’Israël, Émile Shoufani dénonçait en 2020 dans la revue Terre Sainte ceux qui cautionnent «la politique de la droite et de l’extrême-droite israéliennes et de Netanyahou. Cela revient à soutenir une politique qui participe continuellement à déstabiliser la situation dans le Moyen-Orient, dans les Territoires occupés, et à Gaza. Ce pays et sa politique ont mis la pagaille dans le Moyen-Orient, et on ne peut pas le cautionner!» (cath.ch/be/gr)

Rédaction

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