Madagascar: le «Christ des dépotoirs», pense à sa succession

Icône de la charité dans l’océan Indien, le Père Pedro Opeka est certainement l’homme le plus connu de Madagascar. Après un demi-siècle de présence sur la Grande île, «le Christ des dépotoirs» pense à sa succession. A 75 ans, le prêtre argentin, dont l’œuvre passionne le pape François, reçoit cath.ch dans son village-école d’Akamasoa, dont l’oeuvre fête ses 35 ans.

Max Savi Carmel, à Madagascar, pour cath.ch

Après une heure de route depuis Antanarivo, le vieux bus délabré entame la dernière pente. Il nous faut encore 15 minutes de marche pour arriver à Akamasoa. Un village dont l’entrée est marquée par un poste de police. «Mais avant tout, c’est une maison d’amour et de charité», souligne le Père Pedro qui nous reçoit sur un banc dans la cour. «Mon bureau est en plein air», ironise-t-il, avec un large sourire que sa barbe blanche peine à dissimuler.

Un arbre géant nous offre son ombre. »C’est le plus ancien témoin de ma présence ici», se souvient-il. »Il a été planté au début de notre œuvre». Alors que l’on débute à peine l’entretien à bâtons rompus, survient la fin des cours. La bousculade de centaines de ses 20’000 élèves et étudiants autour du Père Pedro nous impose une trêve. «Ce sont mes gardes de corps», sourit le prêtre, saluant chacun par son prénom. Sacrée mémoire pour un septuagénaire qui aura vu passer un demi-million de personnes ici en trois décennies.

L’Abbé Pierre de l’océan Indien

Le journaliste Max Savi Carmel en compagnie du Père Pedro Opeka | © DR

«Il aurait pu faire une brillante carrière au sein de l’Eglise, il a préféré rester simple prêtre», relève une religieuse des Filles de la charité. Le Père Pedro a en effet refusé toute promotion pour se consacrer à son œuvre. Frappé par le phénomène des enfants de rue, très présent à Antanarivo, la capitale de Madagascar, il a construit ses premières maisons en 1989. «Sur un véritable dépotoir», se rappelle-t-il.

Aujourd’hui, près de 40’000 personnes sont logées dans ses 22 villages étendus sur un peu plus d’un millier d’hectares. «Le surnom de l’Abbé Pierre de l’océan Indien lui va à merveille», commente la religieuse. «Mais on devrait faire mieux encore», lance l’Argentin né de parent slovènes, en éternel instatisfait. Au-delà de son statut d’apôtre de la charité, Pedro est aussi un «phénomène spirituel» qui, chaque dimanche, célèbre la messe devant 10’000 personnes. Ce qui fait de son église du haut de la colline Manantenasoa le lieu de culte catholique le plus vivant  et le plus fréquenté de toute la zone africaine.

Des messes pleines à craquer

«Les gens viennent de partout» constate Marie Odette, présidente d’Akamasoa. «Je devais aller à Tamatave (Est), mais je suis restée à Antanarivo pour assister à cette messe unique et vivante», avoue Harivola. Comme cette Malgache de 26 ans née en Suisse, de nombreux touristes se bousculent pour voir le Père Pedro chaque dimanche. «A 8h30» précise Sandrine qui préfère «venir au moins 30 minutes plus tôt» pour être certaine d’avoir une place. Cette ancienne professeure de mathématiques de l’île de la Réunion, qui vit à Madagascar la moitié de l’année, ne «raterait pour rien au monde la messe dominicale» de ce prêtre à la silhouette encore très sportive.

«J’ai joué au football à un niveau professionnel au début de mon ministère à Madagascar», confirme Pedro, qui a aussi travaillé dans les rizières malgaches. Un touche-à-tout que «l’amour du Christ pour les pauvres a définitivement touché», déclare Sandrine.

Un modèle pour le pape

Alors qu’il n’avait jamais osé en rêver, sa paroisse a reçu,  en 2019, la visite du pontife en personne. Une rencontre «inattendue et inoubliable», insiste le prêtre, qui montre de son téléphone portable des images de l’événement.

«Nous partageons l’Argentine», s’écrie-t-il, «mais surtout l’amour du pauvre». La visite du pape à Akamasoa, le 8 septembre 2019 – dans ce pays qui compte cinq millions de catholiques –  a été «un événement national historique»,  insiste Pedro. «Le Saint Père est venu à nous, comme le Christ vers les pauvres.» Dans l’église, François a prié pour «que se répande dans le monde la lumière d’Akamasoa» qui est pour le pape » la manifestation de la présence de Dieu au milieu de son peuple pauvre».

Depuis lors, à travers la nonciature apostolique, le pontife prend régulièrement des nouvelles de «son compatriote, devenu ami». Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés au Vatican, en mai 2018. A Akamasoa, des photos des deux Argentins sont plaquées partout, comme autant de marques de reconnaissance.

Une succession «laissée au Christ»

Mais, déjà au moment de la visite du pape, «l’après-Pedro» était dans toutes les têtes. Car, à 75 ans, le prêtre commence à ressentir le poids des annés. Sa succession est souvent évoquée par la presse locale, qui craint qu’elle ne soit tumultueuse. «Elle sera linéaire, calme, sans vagues, comme le voudra le Christ» affirme de son côté le principal intéressé. «Tout est déjà en place, ma présence est juste symbolique» s’efforce-t-il de rassurer.

Dans un pays miné par diverses crises, dont la criminalité infantile et l’extrême pauvreté, Akamasoa a construit 5000 maisons en 35 ans. L’institution, qui est venue en aide à 600’000 Malgaches, est souvent le dernier recours pour de nombreux démunis. L’association est déjà présidée par une Malgache, Marie Odette, qui, selon Pedro, »gère tout». Et le prêtre reste confiant: »Après moi, le Christ fera d’Akamasoa ce qu’Il veut, pour le bien des pauvres». (cath.ch/msc/rz)

Pedro Opeka est né le 29 juin 1948 à San Martín, près de Buenos Aires, de parents d’origine slovènes. Il entre chez les lazaristes en 1965. Il fait un premier séjour à Madagascar entre 1970 et 1972. De 1972 à 1975, il étudie la théologie à l’Institut catholique de Paris. Il est ordonné prêtre en 1975 à Buenos Aires.
Pedro Opeka retourne à Madagascar en 1976. Il fonde en 1989 l’oeuvre humanitaire d’Akamasoa, qui s’efforce principalement d’offrir un logement décent et un travail aux plus démunis, ainsi qu’une éducation aux enfants.
Le 8 septembre 2019, il reçoit le pape François à Akamasoa, près d’Antananarivo, dans le cadre de la visite du pontife dans l’océan Indien. MSC

Rédaction

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