Par Cristina Uguccioni, catt.ch/traduction et adaptation: Raphaël Zbinden
Comment décririez-vous la période que traverse le christianisme actuellement?
Brunetto Salvarani: Comme le dit souvent le pape François, nous ne vivons pas une ère de changement, mais un changement d’ère. Le christianisme est aussi concerné. En Europe et plus généralement en Occident, il traverse une période de crise; plusieurs indicateurs le montrent, tels que la baisse du nombre de fidèles et de vocations religieuses, le désintérêt croissant pour la liturgie et les sacrements, la crise de l’édition catholique, ou encore les scandales financiers et sexuels. Mais ce qui rend le tableau vraiment problématique, c’est la difficulté de transmettre la foi d’une génération à l’autre.
Brunetto Salvarani est professeur de théologie de la mission et du dialogue à l’Université d’Émilie-Romagne et aux Instituts de sciences religieuses de Modène, de Bologne et de Rimini. Il a récemment publié un ouvrage intitulé Senza Chiesa e senza Dio (Sans Église et sans Dieu- éditions Laterza).
Certes, la foi reste un don, mais il semble aujourd’hui très difficile d’éveiller chez les personnes de l’intérêt pour les choses de Dieu et de disposer les cœurs à accueillir ce don. Mais attention, la crise n’est pas une question de nombre. Beaucoup de jeunes sont devenus indifférents à Dieu et pensent que l’Église n’a rien d’intéressant à communiquer.
«La flamme du christianisme continue de brûler dans le monde»
Sans doute y a-t-il aussi un problème de langage: celui de l’Église est jugé peu compréhensible. Mais le vrai problème est ailleurs: les jeunes ont besoin de témoins authentiques, d’adultes qui s’efforcent d’être cohérents avec ce qu’ils professent, d’expériences passionnantes qui leur fassent saisir la beauté profonde de l’appartenance au Christ. Malheureusement, les jeunes ne rencontrent pas souvent de témoignages convaincants.
En quoi l’annonce du Royaume de Dieu à des sociétés institutionnellement non religieuses est-elle un défi?
Le théologien jésuite français Christoph Theobald dit que nous assistons à l’exculturation du christianisme du paysage social et culturel européen. C’est une image exacte. Malheureusement, la tâche que le Seigneur nous confie ne semble susciter ni lamentation particulière ni enthousiasme significatif. Ce qui prévaut, je dirais, est une sorte de tiédeur, un manque d’initiative, une forme d’immobilisme. Beaucoup se contentent de se plaindre de la crise actuelle et cultivent une vision catastrophique de l’avenir du christianisme.
Mais la flamme du christianisme continue de brûler dans le monde! Et je reste optimiste. Mais pas d’un optimisme jubilatoire; il y a des décisions à prendre et nous devons agir avec intelligence et passion: cette crise est une opportunité qu’il ne faut pas laisser passer.
Dans votre dernier livre, vous identifiez un certain nombre de questions à traiter en priorité.
Nous disposons d’un précieux trésor: la Bible, que le Concile Vatican II a exhorté à connaître, à étudier et à utiliser pour prier. Après cette période passionnante, nous avons constaté une fatigue et une désaffection à l’égard de la Parole de Dieu, dont la lecture est devenue occasionnelle et non assidue, même s’il y a quelques exceptions. Mais ces exceptions ne parviennent pas à atteindre ce que l’on pourrait appeler la «masse critique».
«Le christianisme a une parole décisive sur la vie après la mort: il faut recommencer à la prononcer»
Il est nécessaire que l’Eglise revienne à la Parole de Dieu, qui est le gouvernail de notre navigation dans le monde. Elle nous donne l’image d’un Jésus dont il est indispensable, pour notre époque, de mettre en évidence deux aspects, historiquement sous-estimés: sa dimension juive et sa dimension humaine. Je crois aussi qu’il est nécessaire que l’Église repense les vertus théologales à la lumière de la période historique que nous traversons, qu’elle réfléchisse à la manière de traduire la foi, l’espérance et la charité dans la vie quotidienne actuelle.
Mais les sujets sur les fins dernières suscitent encore de l’intérêt…
Oui, et un intérêt profond, même chez ceux qui ne croient pas. Malheureusement, il me semble que l’Église ne propose pas cette vision eschatologique avec la conviction et la passion nécessaires. Le christianisme a une parole décisive sur la vie après la mort: il faut recommencer à la prononcer.
«Essayez de vous attacher à Jésus et efforcez-vous d’être cohérent avec ce que vous professez»
Enfin, il faut recommencer à penser, à produire une pensée élevée, capable d’avoir un impact sur la culture contemporaine en répondant aux défis de notre époque. À chaque étape de son histoire, le christianisme s’est toujours mesuré à la culture de son temps et a toujours été à la hauteur de ce dialogue, de cette confrontation. Il est nécessaire de retrouver cette dimension.
Que voudriez-vous dire au croyant lambda, pris dans les multiples tâches de la vie quotidienne, qui se demande ce qu’il doit faire?
Je lui dirais ce que je me dis d’abord à moi-même: essayez de vous attacher à Jésus et efforcez-vous d’être cohérent avec ce que vous professez, essayez d’offrir un témoignage aussi clair que possible. Et essayez de le faire avec d’autres, en redécouvrant la fraternité et l’appartenance à l’Église. À une époque de fort individualisme, où chacun semble vouloir jouer seul le jeu de la vie, nous devons redécouvrir cette appartenance, le «nous» ecclésial, en évitant l’esprit de parti et la facticité, les divisions, les murmures et les médisances. (cath.ch/catt/cu/rz)
Rédaction
Portail catholique suisse
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