Le Café scientifique du 27 mars fait la part plus belle à l’émotion et au témoignage qu’à la raison et à la science. «Je n’ai pas l’impression d’être dans un Café scientifique, mais dans un Café mortel», assure l’assistant social Patrick Genaine. Il fait référence aux manifestations créées par Bernard Crettaz, grand spécialiste de la mort, décédé en 2022. Effectivement, Dans une salle où il a fallu ajouter de nombreuses chaises, aussi bien les intervenants que les auditeurs expriment dans une grande liberté leurs expériences, leurs doutes, leur espérance, leurs chagrins, mais aussi leurs joies, en rapport à la ‘faucheuse’. La présence de nombreux jeunes a surpris les orateurs, démontrant s’il le fallait que le sujet suscite un vif intérêt dans toutes les couches de la population.
La mort est-elle si obscène qu’il faille à tout prix la cacher? D’où vient notre besoin de la maîtriser? Comment entourer la personne en fin de vie? Trois questions sur lesquels le modérateur Fabien Hunenberger lance la discussion. Le directeur de Cath-Info part d’une expérience personnelle pour activer le débat. L’histoire de son «Oncle Olivier», une personnalité rayonnante et largement connue, qui a décidé que ses obsèques se feraient dans la plus stricte intimité. Une démarche qui «suscite encore des discussions dans sa famille plus de deux ans après», assure Fabien Hunenberger. Il confie retenir une «petite blessure de ce choix» venant d’une personne à laquelle il aurait aimé pouvoir dire adieu.
Garder le lien avec ceux qui sont partis est fondamental, rappelle le dominicain Michel Fontaine, infirmier et théologien, tout en remarquant que cela peut prendre des formes très différentes. Une approche originale est présentée par Patrick Genaine. Intervenant psychosocial et thérapeute, il a créé le «téléphone du vent», installé dans un endroit paisible surplombant le lac de Neuchâtel. Dans cette cabine téléphonique non-connectée, tous peuvent venir gratuitement s’entretenir avec un proche disparu.
«L’agonie n’est pas un combat forcément dramatique»
Michel Fontaine, OP
Le concept a été imaginé en 2010 par le Japonais Itaru Sasaki. Marqué par la mort d’un de ses cousins, il ne savait pas très bien comment gérer ce qu’il vivait. Le «téléphone du vent» d’Itaru Sasaki avait connu une fréquentation extraordinaire suite à la catastrophe du 11 mars 2011, lors de laquelle des milliers de personnes avaient perdu des proches de façon très soudaine et inattendue, sans pouvoir leur consacrer des obsèques habituelles. «Le lieu n’est jamais innocent, jamais anodin», note Patrick Genaine. «Avoir un endroit où rencontrer le défunt, même s’il est complètement symbolique, est extrêmement important». Pour l’intervenant psychosocial, le rituel est un «démarrage propice du travail de deuil. Il permet d’aller de l’avant.»
La question de la temporalité liée au deuil est soulevée par les intervenants. «Le temps du mourir requiert un autre rythme que le temps usuel», relève Bernard Schumacher. Pour le professeur d’éthique à l’Université de Fribourg, «on estime aujourd’hui que la mort rapide est une bonne mort. Mais n’est-ce pas en fait une ‘perte de temps’ essentielle, peut-être la plus essentielle?». L’éthicien se demande ce que cela signifie pour notre société de ne pas pouvoir prendre le temps avec nos mourants et nos morts. «Quelque chose de fondamental n’a-t-il pas été perdu, ce temps avec autrui que l’on accueille simplement comme un cadeau?»
La place de la mort peut être différente sous d’autres latitudes. Une personne d’origine africaine, présente dans la salle, assure que «chez nous, dans certains cas, le décès est quelque chose de joyeux, cela peut devenir une fête.» «Si l’on pense que la mort est un passage vers quelque chose de beau, alors on peut s’en réjouir», rebondit Michel Fontaine. «On peut même certainement en rire, ajoute-t-il, tout en restant bien sûr attentif à la façon dont les personnes touchées peuvent le comprendre.»
Au cours de ce Café scientifique, plusieurs participants évoquent le suicide assisté. Une dame, qui s’affirme croyante, estime que cela a pu être le bon choix pour un de ses proches, face à la souffrance à laquelle il faisait face. A l’instar des funérailles dans l’intimité, ce phénomène pose question quant au statut de la mort dans nos sociétés. Ne concerne-t-elle que l’individu et pas la collectivité?
«Les morts ne s’appartiennent pas à eux-mêmes, mais aux vivants, affirme Bernard Schumacher. Notre vie n’est jamais individuelle, la dimension de communauté est toujours présente. Qu’on le veuille ou non, nous jouons tous cette pièce de théâtre qu’est la vie sociale.»
Christophe Künzli, conseiller funéraire à Fribourg, confirme que les enterrements dans l’intimité sont parfois sources de frustration pour la famille élargie. Même si les obsèques dans un cercle restreint peuvent être une volonté du défunt d’exprimer son humilité et sa modestie, de garantir la «sincérité» de la cérémonie, faut-il en priver la communauté? S’interroge Fabien Hunenberger.
Pour Michel Fontaine, malgré l’individualisme qui grandit dans nos sociétés, le besoin existe de se réapproprier la mort, et, au-delà «le sens profond de notre vie». L’agonie n’est pas un combat «forcément dramatique», et qu’elle peut être un temps pour «rassembler les fondamentaux de sa vie». Pour le dominicain, le suicide assisté est typiquement un désir de contrôler la mort, de la «maîtriser comme un problème à régler».
«Mais la vie est-elle la maîtrise?», s’interroge Bernard Schumacher. Pour l’éthicien, le deuil peut servir à devenir «disponible à quelque chose d’imprévisible», et finalement constituer «une expérience de lâcher prise». La vie serait ainsi, pour le professeur, «la dé-maîtrise de la maîtrise». «Ne sait-on plus mourir parce que l’on ne sait plus vivre?», se demande-t-il finalement. (cath.ch/rz)
Raphaël Zbinden
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