IMEDIA, adaptation Lucienne Bittar
Le 4 septembre 1997, l’Israélien Rami Elhanan perdait sa fille Smadar dans un attentat suicide palestinien. Le 16 janvier 2007, le Palestinien Bassam Aramin perdait à son tour sa fille, Abir, tuée par un soldat israélien à la sortie de l’école. Ces deux drames ont rapproché les deux pères de famille, qui ont fini par lier amitié. Aujourd’hui militants pour la paix en Terre sainte au sein de l’association «The Parents Circle», ils parcourent le globe ensemble, en se dédiant à cette cause.
Leur histoire a été racontée dans le livre Apeirogon de l’écrivain Colum McCann, qui avait pu échanger avec le pontife lors d’une audience accordée aux artistes le 23 juin 2022. À leur tour, les deux pères – de passage en Italie cette semaine – ont rencontré le pontife ce 27 mars, qui a tenu à saluer leur engagement pendant l’audience générale du jour.
Après sa catéchèse, le pape s’est tourné vers Bassam Aramin et Rami Elhanan assis au premier rang. «Ici aujourd’hui, à cette audience, il y a deux personnes, deux papas, […] un Israélien et un Arabe. Tous les deux ont perdu leurs filles dans cette guerre, et tous les deux sont amis», a déclaré le pontife. Il a salué le «témoignage si beau de ces deux personnes qui ont souffert de la guerre de la Terre Sainte, […] l’amitié de deux hommes qui s’apprécient et qui sont passés par la même crucifixion». Bassam Aramin et Rami Elhanan «ne regardent pas l’inimitié de la guerre», a-t-il ajouté. «Chers frères, merci pour votre témoignage», a alors lancé le pape, visiblement ému, déclenchant les applaudissements chaleureux des fidèles présents.
IMEDIA: Vous avez rencontré le pape ce matin, que vous a-t-il dit ?
Rami Elhanan: Ce fut la rencontre la plus étonnante et la plus excitante que nous avons eue de toute notre vie. J’ai 74 ans et je n’ai jamais rien connu de tel. Il était chaleureux, compatissant, paternel, et cela a vraiment touché nos cœurs. Nous lui avons montré la photo de nos filles, il a presque pleuré. C’était une rencontre très humaine.
Que pensez-vous des propos du pape sur ce conflit en Terre sainte, quel impact ont-ils?
Bassam Aramin: Ils sont très importants, très courageux. C’est un leader et parfois nous attendons plus parce que ce qui se passe là-bas est un génocide, une tuerie, un massacre. Les gens meurent là-bas. Nous lui demandons de prier pour nous, pour la paix au Moyen-Orient, pour la liberté et pour que ce cessez-le-feu ait lieu maintenant. Ses paroles sont donc très importantes et j’espère qu’elles toucheront des millions de personnes, qui élèveront leur voix contre la violence en général.
Rami Elhanan: Le pape a de l’influence, il est comme un père pour des millions et des milliards d’enfants qui le regardent, l’admirent et l’écoutent, et les enfants devraient écouter leur père. Et ces atrocités, qui ont lieu à Gaza et au Moyen-Orient en général, doivent avoir une voix pour dire «stop», pour dire que ça ne mène nulle part, que la violence amène plus de violence. Nous rappelons toujours que les combattants du Hamas qui ont fait le massacre du 7 octobre étaient des enfants de dix et douze ans en 2014, quand les Israéliens ont frappé Gaza.
Où sera le prochain 7 octobre? Qu’adviendra-t-il des familles de ces 40’000 personnes qui ont été tuées? Nous avons besoin de quelqu’un qui dise: «Arrêtez! Arrêtez ! Changez de disque, changez de pensée!» La violence engendre plus de violence, nous devons y mettre fin, nous devons redémarrer, nous devons redéfinir les raisons pour lesquelles nous sommes prêts à tuer et à mourir. Et surtout, nous devons nous respecter les uns les autres, car sans respect, rien ne se passera. Vous devez être capable de respecter votre voisin exactement comme vous voulez être respecté, ni plus ni moins, et ensuite entamer ce voyage vers la paix et le processus de réconciliation.
«Nous rappelons toujours que les combattants du Hamas qui ont fait le massacre du 7 octobre étaient des enfants de dix et douze ans en 2014, quand les Israéliens ont frappé Gaza.»
Rami Elhanan
Cela se passe n’importe où dans le monde, il y a beaucoup d’endroits dans le monde où les ethnies vivent ensemble, en Belgique et aux États-Unis, où que vous regardiez. Il n’est pas nécessaire de s’entretuer. Il faut abandonner la mentalité victimaire, arrêter de regarder en arrière et de creuser ses blessures, se débarrasser du complexe de supériorité juif et regarder ses semblables comme des égaux.
Votre mission est-elle devenue plus importante depuis le 7 octobre ?
Bassam Aramin : Oui, absolument plus cruciale. Nous devons redoubler d’efforts pour prouver que notre appel à faire la paix et non à s’entretuer est la bonne chose à faire. Surtout que nous savons déjà qu’il y aura encore plus de haine et de vengeance pour préparer un prochain 7 octobre. Ce sera le cas si nous ne faisons pas la paix, si nous n’arrêtons pas ce massacre maintenant, et si nous ne reconnaissons pas que nous pouvons vivre ensemble sur cette terre, comme Rami l’a dit. Dans le cas contraire, nous partagerons la même terre comme deux grandes tombes. Il n’y aura pas de paix sans justice. Et nous avons besoin de paix.
Notre amitié est plus importante que jamais, surtout dans cette folie, cette effusion de sang, pour prouver que nous continuons à croire que nous sommes frères. C’est notre conviction, il nous appartient de changer à tout moment. Nous disons toujours que lorsque nous parlons, nous nous rappelons que nous sommes des êtres humains.
«Si nous ne faisons pas la paix… nous partagerons la même terre comme deux grandes tombes.»
Bassam Aramin
Pourriez-vous nous raconter la façon dont la perte de vos enfants vous a rapprochés?
Rami Elhanan: Nous nous sommes rencontrés en 2005 [neuf ans après la mort de sa fille dans un attentat suicide]. Mon fils aîné Elik, qui est aujourd’hui professeur à l’Université de New York, était à l’époque un soldat dans l’armée israélienne, mais il est devenu un refuznik , car il a refusé de servir dans les territoires occupés. Avec d’autres Israéliens et Palestiniens, il a créé un mouvement appelé «Combattants pour la paix».
Bassan était présent à cette réunion et je voulais voir ce miracle d’anciens criminels de guerre israéliens et d’anciens terroristes palestiniens se réunir et faire la paix. Nous nous sommes ainsi rencontrés. Il dit toujours – et il a raison – que je suis tombé amoureux de lui. Nos familles se sont réunies, sont devenues très proches. Ils sont venus chez nous et nous avons été chez eux.
Le 16 janvier 2007, sa fille a été abattue par un policier israélien. Ma femme et moi nous sommes immédiatement rendus à l’hôpital et nous sommes restés assis près de son lit pendant deux jours, et lorsqu’elle est décédée, j’ai eu l’impression de perdre ma fille pour la deuxième fois.
Cela a créé une alliance, une alliance de sang, un pacte que nous pouvons partager. Nous nous comprenons mutuellement, nous n’avons pas besoin de mots pour cela, nous nous regardons dans les yeux et nous ressentons la douleur de l’autre. C’est la base d’une amitié qui est bien au-dessus du conflit. C’est le lien le plus puissant qui puisse exister entre des êtres humains.
Bassam Amarin: Quoi qu’il arrive, nous ne serons jamais séparés, nous avons notre propre État, nous nous respectons mutuellement, nous vivons en paix les uns avec les autres. C’est ce que nous voulons dire: que nous pouvons être des amis, des frères, de véritables partenaires pour la paix et que nous pouvons vivre en paix, chacun de son côté ou même ensemble. (cath.ch/imedia/ic/cd/lb)
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