Des jeux extérieurs d’enfants, des forsythias, ces «arbustes de Pâques » jaune flamboyant: l’entretien se déroule en plein cœur de Genève, dans le jardin d’une maison entourée d’immeubles. C’est là que vit avec sa famille Nicolas. Sur la petite table devant nous, un café arabe est servi, signe d’un intérêt manifeste pour le Moyen-Orient.
Ce Fribourgeois d’origine, né à Lausanne, a fait un master en études du Moyen-Orient à l’Université de Genève. En parallèle, il a poursuivi une «carrière militaire de milice». Devenu officier, il a rejoint les Bérets bleus des Nations Unies (des soldats opérant sans arme, ndlr) comme observateur militaire en Bosnie, puis au Moyen-Orient, entre Israël, la Syrie, le Liban, l’Égypte et la Jordanie, en 2020 et 2021. Des années qui ont marqué son cheminement spirituel. Le regard du catéchumène est sérieux, le ton un peu sec au départ, mais le sourire et le rire ne sont jamais bien loin.
Vous allez être baptisé dimanche de Pâques. Avez-vous eu, enfant, une culture religieuse?
Nicolas: Mes deux parents sont catholiques, mais ma mère n’est pas du tout portée sur la religion. Par contre, elle a un grand respect pour la personne du Christ. C’est pour elle une figure historique marquante, porteur d’un fantastique message. Mon père a toujours été croyant. Il s’est même récemment rapproché encore davantage de l’Église. Mes parents ont décidé de ne pas nous baptiser, mon frère et moi, pour nous laisser libres de choisir. Et c’est ce choix que j’expérimente aujourd’hui avec mon parcours de catéchuménat.
Y a-t-il eu pour vous un déclencheur?
La foi m’a continuellement accompagné, sans que je puisse forcément la nommer comme telle. J’ai toujours eu un rapport inspirant ou inspiré à la transcendance. Et puis, j’ai rencontré ma femme. La foi fait partie de sa vie. Nous avons décidé de nous marier à l’Église car cela a du sens pour les deux, et ça tombe bien, car et on ne peut le faire qu’une fois! J’ai décidé en parallèle d’entreprendre la démarche du catéchuménat. Ce qui est magnifique, c’est que je vais me faire baptiser en même temps que notre fille dimanche matin.
Vous avez fréquenté les chrétiens d’Orient, qui vivent leur foi de manière vivante et communautaire. Ce n’est pas nécessairement ce que vous trouverez ici.
On se fait une image très triste d’églises suisses vides ou fréquentées que par les vieilles générations. Mais j’ai été étonné de voir durant tout mon cheminement qu’elles pouvaient être pleines, ici aussi, en particulier durant le carême. De petits, de jeunes, de vieux… Il y a beaucoup de gens engagés. Même s’il est vrai que les jeunes en Suisse se sentent globalement moins concernés, et c’est pour ça que j’ai accepté de témoigner. Je me dis qu’en tombant par hasard sur votre article, une personne en recherche de sens pourrait être inspiré par ma démarche peut-être, plutôt que de se dire «à quoi bon».
Vous avez probablement vécu des situations difficiles lors de vos missions d’observation militaire à l’étranger. Ont-elles eu une influence sur votre recherche spirituelle?
Oui, mes collègues et moi avons traversé des choses dures. Cela exige de trouver des réponses et du sens. Mais ce questionnement m’a aussi accompagné dans des moments de routine très solitaires. Au bout d’un moment, quand on est au cœur de la mission, on se questionne sur l’utilité effective de notre contribution. J’ai essayé néanmoins d’y trouver du sens et c’est cette recherche qui m’a amené à franchir le pas. Le baptême, ce sera comme la concrétisation, la consécration de tout ce cheminement.
Votre démarche serait donc plus d’ordre individuel que collectif?
Pas seulement. L’aspect «héritage collectif» est important à mes yeux. J’ai toujours été passionné par l’histoire antique. J’ai même étudié le latin et le grec au collège, ce que je n’ai jamais regretté. Le christianisme a une histoire de 2000 ans et c’est assez extraordinaire tout ce qu’il nous a apporté au niveau social, culturel, juridique. On ne jure que par les droits de l’Homme aujourd’hui – qu’on appelle droits «humains» parce qu’on ne sait plus faire d’étymologie – mais on oublie qu’ils ne pourraient pas exister sans le christianisme. C’est leur fondement. L’égalité entre les individus a aussi été sacralisée en quelque sorte par le christianisme. La fraternité existait certes probablement avant, mais c’est le commandement d’Amour du Christ, d’une certaine manière, qui l’a imposé.
Évidemment, des épisodes historiques terribles ont eu lieu au nom de l’Église – souvent en s’attribuant ce qui revenait en réalité à César -, mais ils sont assumés. Il n’y a pas de négationnisme.
En vous faisant baptiser, vous voulez donc aussi signifier l’importance qu’ont à vos yeux les valeurs et la culture véhiculées par le christianisme?
Oui, ce sont nos racines. Pour notre dernière rencontre du catéchuménat, le jour des dimanche des Rameaux, nous nous sommes installés pour un moment de silence dans l’église. Puis nous avons écouté ensemble la finale de La Passion selon saint Matthieu de Bach. Si ça, ce n’est pas directement inspiré par la transcendance! Bach d’ailleurs signait toutes ses partitions d’un: «Seul à Dieu revient la gloire». Bien de grands compositeurs ont été inspirés par le christianisme. Aujourd’hui, on veut se défaire de manière impropre de la religion. Avec une ingratitude totale.
«Nous avons écouté ensemble la finale de La Passion selon saint Matthieu de Bach. Si ça, ce n’est pas directement inspiré par la transcendance!»
Vous avez travaillé dans des pays où l’identité religieuse a été ou est encore une source de division. Dimanche, vous deviendrez catholique. Ce constat ne vous a donc pas découragé.
Dès que la politique vient fourrer son nez dans ce genre d’affaires, le message originel est dévoyé. Mais c’est à ce message-là que je veux appartenir en franchissant le pas. C’est lui qui compte, et non ce qu’on en fait.
Quand j’étais au Moyen-Orient, j’ai lié une amitié sincère et profonde avec un interprète palestinien orthodoxe. Je suis toujours en contact avec lui. C’est très étrange de voir comment sa compréhension du conflit entre les Palestiniens et l’État d’Israël a changé, passant d’un conflit de nature politique à un conflit éminemment religieux.
Ce contexte de tensions interethniques ou interreligieuses est encore plus prégnant en Bosnie. Les populations de la région ne cessent de souffrir. Il y a eu les guerres balkaniques, l’occupation allemande dans les années 1940 et les conflits de l’ex-Yougoslavie des années 1990. Les gens qui ont vécu cette dernière guerre essayent de transmettre à leurs enfants un «plus jamais ça». Mais cela ne fait pas suffisamment effet. Des jeunes reviennent avec des revendications identitaires et religieuses, en opposition les unes avec les autres. Ça fait un peu froid dans le dos… Alors, oui, je sais que la religion peut être dévoyée, mais cela ne doit pas nous empêcher de revenir au cœur du message d’amour et de bienveillance du Christ. (cath.ch/lb)
Lucienne Bittar
Portail catholique suisse
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